Ayant par négligence «zappé» le surtitre qui aurait pu lui éviter de s'enflammer, l'animateur de cet espace a été bluffé par le titre d'un papier de son journal ainsi repris in extenso : «La CNR Annaba met des ordinateurs à la disposition des retraités.» Mon Dieu, que c'est mignon, mon Dieu, que c'est touchant. Se sont alors précipitées plein d'images dans la tête du rédacteur. Incapable de renoncer à cette manie tenace qui lui a joué bien des tours, de vite s'enflammer face aux belles choses, aux rêves un peu fous et aux sentiments les plus doux, il s'est encore enfiévré pour pas grand-chose. Qu'à cela ne tienne, ce qu'il y a bien dans les grosses désillusions, c'est qu'elles arrivent à la fin. Entre-temps, on aura quand même passé un bon moment, la tête pleine d'images, souvent poussées plus loin, dans les extrapolations les plus belles, les plus vertueuses, les plus utiles. Mais avant de se projeter dans le rêve, il a quand même opéré un retour dans la vraie vie. D'abord parce que même si la Caisse des retraites d'Annaba avait vraiment offert des ordinateurs à ses «chibanis», il serait resté le... reste du pays, l'effet boule de neige n'étant pas vraiment une «tradition» nationale quand il s'agit des belles initiatives. Ensuite, parce que nos retraités, à Annaba et ailleurs, ne passent pas inaperçus et il suffit d'être un tant soit peu attentif à la vie ordinaire pour savoir de quoi le quotidien d'un retraité lambda est fait. Ils sont souvent tristes et ont le visage marqué par de longues années d'efforts rarement récompensés. On les voit avec leurs cannes et leurs lunettes rafistolées, assis sur un bout de carton ou un bidon de peinture dans un environnement urbain qui n'a rien prévu pour eux. On les voit à la poste où ils vont retirer les billets de leur rachitique pension dans des conditions souvent pénibles. On les entend soupirer discrètement en évoquant les enfants oublieux et le pays ingrat. On les voit au marché évitant comme la peste les étals de viande, de poisson et de certains fruits. Ils ne vont pas à la pêche, ils ne vont pas en cures thermales, ils ne vont pas en vacances. Alors, on les a imaginés devant des ordinateurs, les doigts tremblants et maladroits sur le clavier, les yeux hagards de curiosité et la tête dans un nuage qu'ils n'ont jamais imaginé un jour. Passé ce beau délire inspiré par une négligence de lecture, on revient sur terre. La désillusion est dans le corps du texte et au cœur de la réalité : la Caisse des retraites d'Annaba n'a fait qu'installer quelques ordinateurs dans ses services, pour que les retraités puissent «donner leur avis» sur la qualité des prestations. C'est déjà pas mal ? Peut-être, quand on rêve au rabais. S. L.