Une polémique assez éloquente secoue actuellement la toile et le secteur culturel concernant le conquérant musulman Okba Ibn Nafie et le roi berbère Aksel. La ministre de la Culture y a pris part suite au tollé provoqué par une simple publication de la Direction de la culture de Béjaïa. Au lendemain de la fête de l'Aïd el-Kebir, la page officielle de la Direction de la culture de Béjaïa expliquant l'origine d'une tradition bien connue en Algérie. En effet, plusieurs régions du pays pratiquent encore cette coutume consistant à s'essuyer le visage avec la peau encore sanguinolente de la bête sacrifiée. Les historiens mais aussi les anciens de Kabylie du pays chaoui et d'ailleurs racontent que ce geste symbolique séculaire est un hommage au duel ayant opposé le chef berbère Aksel (Koceïla) au général musulman Okba Ibn Nafie qui a conquis l'Afrique du Nord au VIIe siècle. Selon certains historiens, Aksel était à la tête d'une coalition berbéro-byzantine chargée de repousser la conquête arabe mais il finit par se convertir à l'Islam sur la promesse d'une totale égalité entre Arabes et autochtones. Or, le général Okba aurait fait subir au dignitaire berbère et à ses hommes humiliations et traitements dégradants, jusqu'à le contraindre à dépecer un mouton, tâche habituellement dévolue aux serviteurs. La légende populaire mais aussi le récit d'Ibn Khaldoun dans la Moqaddima racontent que le chef berbère s'est alors essuyé la main pleine de sang dans sa barbe, signifiant une inéluctable vengeance qui s'accomplira en 684 lorsque Aksel tua Okba près de Biskra. Dans une publication récente sur sa page Facebook, la Direction de la culture de Béjaïa a simplement rapporté l'origine présumée de ce rituel de l'Aïd el-Kebir encore largement pratiqué en Algérie. S'ensuit une vague d'indignation des internautes contre ce que beaucoup ont vu comme une atteinte aux symboles de l'islam, voire un propos raciste ! La ministre de la Culture Malika Bendouda réagira elle-même dans un Tweet en qualifiant cette publication de ramassis d'« interprétations superstitieuses et inacceptables » et d'annoncer que son département a « ordonné l'ouverture d'une enquête, la suppression de la publication et des sanctions contre la personne responsable. Nous soulignons la nécessité de bannir tout ce qui provoque la division entre Algériens et l'atteinte aux symboles historiques ». Le feuilleton se poursuit sur plusieurs jours notamment avec la mise au point et les excuses de la Direction de la culture de Béjaïa qui nie toute volonté d'attenter à l'image de Oqba Ibn Nafie et annonce des mesures disciplinaires à l'encontre du Community-manager auteur de la publication ainsi que son retrait de la gestion de la page officielle. Cette controverse, qui a largement dépassé la sphère des réseaux sociaux pour atteindre les autorités culturelles, n'est pas aussi anodine qu'elle n'y paraît. Le message virulent et l'exigence de sanctions émis par la ministre révèlent à quel point le récit historique en Algérie est toujours sujet aux crispations et instrumentalisations politiques et idéologiques. Malgré la reconnaissance officielle de la langue et de la culture amazighes, les querelles identitaires qui agitent la société remettent constamment l'Etat dans son prétendu rôle de garant de l'unité nationale et de gardien des constantes. Or, l'intervention musclée de la ministre et la réaction timorée de la Direction de la culture soulignent à quel point les équilibres sont fragiles parce que, justement, établis sur un faux consensus. Il n'est pas question de savoir qui de Okba ou d'Aksel était « le gentil » de l'histoire car tout porte à croire qu'il n'y en a aucun ! Mais le tabou persistant autour de la résistance berbère à la conquête arabo-musulmane et du caractère belliqueux de celle-ci ainsi que la mise au pilori de toute remise en cause du récit officiel voulant faire des rapports entre conquérants et autochtones une histoire d'amour tranquille guidée par la lumière de l'Islam ne font qu'ajouter à l'hystérisation de l'Histoire à l'ombre de la propagande, du dogmatisme et la promptitude des foules à se laisser chauffer par une mise en scène purement idéologique. S. H.