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GILBERT MEYNIER
�Ecrire l�histoire de l�Alg�rie loin des injonctions�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 05 - 04 - 2007

Le Soir d�Alg�rie : Pourquoi vous �tes-vous attaqu� � une histoire g�n�rale de l'Alg�rie alors que vous �tes sp�cialis� dans la p�riode du mouvement national ? Gilbert Meynier : Je ne suis pas, depuis le d�but de ma recherche, sp�cialiste de la p�riode du mouvement national. Je dois d�abord pr�ciser que le premier sujet de recherche dans lequel je me suis lanc� �tait l�Alg�rie et la Guerre de 1914-1918 et au premier quart du XXe si�cle, et non � proprement parler les origines du mouvement national, m�me si celui-ci transpara�t, encore dans les limbes, dans mon livre L�Alg�rie r�v�l�e, la premi�re guerre mondiale et le premier quart du XXe si�cle, Droz, Gen�ve, 1981, 797 p., r�sum� de ma th�se de doctorat d�Etat, et plus encore dans le livre sign� avec Ahmed Koulakssis, L�Emir Khaled, premier za��m ? (l�Harmattan, 1987, 379 p.).
Et ensuite, je me suis int�ress� plus largement � l�histoire de la France coloniale, en me pr�occupant surtout des structures et de l�id�ologie coloniales. J�ai �t� l�un des auteurs de l�Histoire de la France coloniale, publi�e par Armand Colin en 1990 et r��dit� en 1996 par Press Pocket. Mais il est vrai que, au d�but des ann�es 90, je me suis lanc� pendant douze ans dans l�histoire du FLN, ce qui a abouti � mon Histoire int�rieure du FLN 1954- 1962, Fayard Paris, 2002, 812 p., r��dit. 2004, et Casbah Editions, Alger, 2003 ; et aussi � la r�alisation, en collaboration avec mon ami Mohammed Harbi, du FLN, documents et histoire 1954-1962, Paris, Fayard, 2004, 898 p., et Casbah Editions, Alger, 2004 A l�origine de la d�cision d��crire L�Alg�rie des origines, dernier petit livre de vulgarisation, il y a une anecdote familiale : mes enfants, rassembl�s il y a trois ans environ pour un anniversaire, m�on demand� tout � trac si, pour eux, je ne pourrais pas un peu arr�ter d��crire des pav�s illisibles, ou lisibles seulement par quelques initi�s, et me lancer dans des livres plus courts, plus simples, et destin�s � un plus large public que celui des sp�cialistes. L�, j�ai �t� un peu piqu� au vif. J�avais aussi envie de quitter un peu les rivages connus, voire pour moi ressass�s, du XXe si�cle alg�ro-fran�ais et alg�ro-alg�rien, et d��tudier une p�riode o� n�existaient ni Alg�riens ni Fran�ais puisque les nations et les Etats modernes n�existaient pas : donc d��tudier les anc�tres des Alg�riens dans une petite histoire en trois volumes, qui commencerait n�cessairement par cette Alg�rie des origines, de la pr�histoire � l�av�nement de l�Islam, qui en constitue le premier. C��tait aussi pour moi me rajeunir, renouer par exemple avec le latin, que j�avais tant �tudi� et lu dans le secondaire et � l�universit�, puisque j��tais � l�origine un historien sp�cialiste du Moyen-Age europ�en, et que les documents que je consultais sur cette p�riode �taient tous en latin � un latin bien �volu� par rapport � celui de Cic�ron, et m�me de saint Augustin. Enfin, avait germ� l�id�e en moi qu�on ne pouvait �tre un historien vrai de l�Alg�rie si l�on ne dominait pas � si l�on ne tentait pas de le faire en tout cas � l�ensemble des si�cles et des mill�naires, qui ont accouch� de la nation alg�rienne d�aujourd�hui. Apr�s tout, c�est ce qu�avait fait Charles-Andr� Julien avec l �Afrique du Nord. Je ne pr�tends bien s�r pas me comparer � Charles-Andr� Julien ; mais je pense avoir peu ou prou succomb� au m�me type de d�sirs : pour conna�tre la fin, il faut comprendre, aussi, le d�but. Mais l�inverse, aussi, est vrai : ceux qui ignorent leur pass� ne peuvent pas vraiment comprendre leur pr�sent. Cela ici et l� : j�ai donc pens� aux Alg�riens d�aujourd�hui, et aux originaires d�Alg�rie, de part et d�autre de la M�diterran�e, en esp�rant leur donner un outil de r�flexion sur eux-m�mes : on n�est soi-m�me que si l�on arrive � se rendre compte de toutes les strates, conscientes, et bien souvent inconscientes, qui ont s�diment� la m�moire des humains et des peuples. Nous savons par la psychanalyse que le pr�sent et le pass� r�cent ne sont pas forc�ment ce qui est le plus important, mais qu�il existe bien des �m�moires�crans �, lesquelles incitent bien souvent les pouvoirs et les id�ologies qui les sous-tendent � les refouler, et � ne nommer que ce qui est pr�sentable, c�est-�-dire jug� conforme � la culture des peuples que les pouvoirs ont d�cid� ce qu�elle devrait �tre, en ce qu�une culture sous surveillance est moins susceptible de les d�stabiliser. Et j�avais lu tant d��neries sym�triques, que ce f�t dans les simplismes de l�historiographie coloniale officielle de bonne conscience narcissiste, que ce f�t dans les vulgarit�s de l�histoire officielle h�ro�co-obscurantiste alg�rienne, qu�il m��tait apparu urgent de donner la parole � l�histoire d�gag�e des contraintes de pouvoir et d�id�ologie � on excusera le pl�onasme � pour rendre les Alg�riens, les originaires d�Alg�rie, mais aussi les Fran�ais, � eux-m�mes : � un eux-m�mes partag�, non certes pas par une fantasmatique m�moire commune, mais par une histoire susceptible de parler aux uns et aux autres car ne m�prisant ni ne valorisant ni les uns ni les autres. Pour �tre juste, je dois rendre justice � tous ces historiens qui, avec conscience, ont travaill�, souvent sans �clats, mais avec pers�v�rance et talent, sur l�histoire de l�Alg�rie, loin des injonctions de l�histoire officielle et des conflits m�moriels : Alg�riens, Fran�ais, mais aussi Anglais, Allemands, Italiens, Hongrois, Palestiniens�
Dans votre avant-propos, vous clarifiez les donn�es qui ont conduit � une lecture instrumentale de l'histoire de l'Alg�rie, notamment dans sa tr�s longue p�riode d'avant l'Islam, par le pouvoir nationaliste arabo-musulman. Pourquoi ce "maquillage", et qui en sont les auteurs les plus visibles ?
On sait que, en histoire, les identit�s, au sens fixiste et invariable du terme, n�existent pas. N�existent que des identifications, c�est-�-dire des processus dynamiques. M�me si existent en histoire de fortes continuit�s, les identit�s changent minute par minute. Par ailleurs, ce n�est pas, par exemple, parce que quelqu�un d�tient une carte d�identit� portant qu�il est fran�ais qu�il n�a pas dans son pedigree, aussi, d�autres identit�s, �ventuellement plus pr�gnantes que la fran�aise stricto sensu. En aucun cas la nationalit� ne recouvre � 100% l�identit�. Si les Alg�riens se sont aussi manifestement ancr�s � l�identification � la fois arabe et musulmane � dont on sait qu�elle devint le credo du culturalisme des ulama dans l�entre-deux guerres �, avant de devenir en pratique le slogan identitaire du nationalisme alg�rien, il faut au moins remonter aux Croisades : il y eut, � partir de la reconqu�te de la M�diterran�e sur les Arabes par le capitalisme marchand italien, laquelle prit la forme d�un jihad chr�tien � les Croisades �, invention des clivages Nord-Sud, Est-Ouest, et chr�tient�-islam. Les oppositions se mirent � s��noncer en bin�mes tranch�s, o� l�inconciliation et le ressentiment devinrent des moteurs de l�id�ologie. Ahmed �Tawfiq� al-Madani, pour la p�riode multis�culaire de conflits alg�ro-espagnols de l�Alg�rie ottomane, parle de �al isti�m�r al sal�biyy � (le colonialisme crois�). C�est donc assez naturellement que le d�barquement fran�ais de juillet 1830 fut vu comme une resuc�e des Croisades. Et le r�gime bigot de Charles X, au cr�puscule de la Restauration fran�aise, n�avait-il pas lui-m�me �voqu� les pr�c�dents des Croisades pour exalter le d�barquement de Sidi Fredj ? Au surplus, le syst�me colonial institua une telle rupture historique que les Alg�riens se sentirent tenus de se raccrocher avec ce qui �tait palpable et tangible ; et pour ce faire, il n�y avait gu�re que la religion, religion dont la charge sacrale �tait indissolublement support�e par le vecteur de la langue arabe. Le regrett� Jacques Berque l�appelait le �bastion de repli� des Alg�riens. C��tait plus que leur carte d�identit�, c��tait leur civisme, c��tait leur Moi profond, cela en quelque point d�Alg�rie qu�on se trouv�t. �S�accrocher �� �tant souvent synonyme, en histoire, de vouloir conserver pieusement, voire de fossiliser : c�est ce qui a fait dire au grand historien marocain Abdallah Laroui : �Le plus grand m�fait de toute colonisation ? Ce n�est pas de stopper l��volution historique, c�est d�obliger le colonis� � la refaire en sens inverse.� La seule strat�gie concevable � opposer aux colonialistes oppresseurs consista naturellement � s�immerger dans le sacr�, � se poser, comme l�exprime bien Mohammed Harbi, plus comme des croyants que comme des citoyens, � sur-magnifier l�islam et l�arabe, seuls fourniments jug�s aptes, en dignit� et en prestige, � rivaliser avec les arrogants mod�les du narcissisme colonial. De ce point de vue, la culture berb�re, populaire et marqu�e d�oralit�, dut para�tre ne pas faire vraiment le poids. Et l�on sait que, � la fin des ann�es quarante, quand de jeunes intellectuels t�m�raires voulurent tenter de poser au MTLD la question du contenu pluriel de la nation alg�rienne, ils furent bureaucratiquement mis au pas et/ou expuls�s par le z��m Messali : on rappellera que Messali, qui avait �t� dans les ann�es vingt un des rares arabophones de l��migration, avait �t� appel� par une �crasante majorit� berb�rophone � pr�sider les destins de l�Etoile Nord-Africaine. A vrai dire, les d�bats portaient aussi sur le mode de fonctionnement du MTLD, et ils posaient m�tonymiquement, avec le pluralisme culturel, la question de la d�mocratie : la purge �antiberb�riste� de 1949 permit � Messali d��liminer politiquement son rival du parti, le docteur Mohammed Lamine Debaghine, pourtant arabophone et musulman croyant. On sait que la vision qu�avait Messali de l�histoire de l�Alg�rie diff�rait, sur un point au moins, assez peu de celle des manuels d�histoire de l�Alg�rie ind�pendante, con�us � partir de Boumediene et de Chadli : ce qui pr�c�dait l�islam, en Alg�rie, �tait, sans grands d�veloppements, renvoy� � la j�hiliyya � l�ignorance textuelle de l�islam, mais avec un champ s�mantique renvoyant aussi peu ou prou � la sauvagerie des origines. On conna�t la suite : poser peu ou prou la question d�une identit� berb�re en Alg�rie fut g�n�ralement, au FLN, assimil� � une obsc�nit� qui frisait la tra�trise. Revendication identitaire et aspirations politiques sont rest�es m�l�es lors du Printemps berb�re de 1980 et les �v�nements de Kabylie de 2001. Et la cr�ation en 1995 du bien formel Haut-Conseil de l�amazighit� et les quelques d�clarations r�centes d�ouverture du pr�sident Bouteflika n�ont pas fondamentalement chang� la situation. Ces propensions id�ologiques, caract�ristiques du pouvoir autoritaire dominant l�Alg�rie ind�pendante, ont �t� syst�matis�es dans l�Histoire officielle. Chaque nation poss�de ou a poss�d� ses historiens officiels fondateurs, lesquels, plut�t que des historiens, ont �t� des fabricants d�histoire nationale. Cette fabrication peut appara�tre aujourd�hui, en effet, comme un �maquillage� au regard d�une histoire qui se veut autant que possible scientifique, c�est-�-dire respectant un minimum de r�gles � la critique externe des documents, leur critique interne, leur confrontation entre eux� On sait que, en France, l�histoire, dite alors �positiviste� (on dit, aujourd�hui, plut�t �histoire m�thodique� ) est n�e pratiquement au moment de l�Affaire Dreyfus : il s�agissait d�examiner et d�interpr�ter les documents qui prouvaient la culpabilit� ou l�innocence du capitaine Dreyfus, officier juif condamn�, dans un contexte de paroxysme antis�mite en France, par un d�ni de justice reposant sur des pi�ces fabriqu�es � des faux donc, on a fini par le savoir. Le ma�tre fabricant d�histoire nationale, en France, a �t� Ernest Lavisse (1842-1922). Il a �difi� � la fin du XIXe si�cle la galerie officielle des portraits de l�histoire nationale, en commen�ant par le chef gaulois Vercing�torix, et en finissant par Napol�on Bonaparte. Son coll�gue alg�rien, que Lavisse a tr�s vraisemblablement inspir�, a �t� Ahmed �Tawfiq� al-Madan� (1898- 1983), depuis son best-seller Kit�b al-Jaz�ir (1932), jusqu�� sa Harb al-thal�thimi�at sana bayna �l-Jaz�ir wa-Isb�ny�, 1492-1792) ( la Guerre de trois cents ans entre l�Alg�rie et l�Espagne, vers 1967). Les Fran�ais n�avaient eu, eux, qu� une �guerre de cent ans� ; les Alg�riens, � qui on en b�tit une de 300 ans, avaient donc fait trois fois plus fort que les Fran�ais. C��tait de bonne guerre pour compenser en dignit� et poids historique le discours impudent du nombrilisme colonial/national fran�ais. Ahmed �Tawfiq� al-Madan� a, lui aussi, construit sa galerie officielle de portraits nationale, de Jugurtha � l��mir Abd El Kader � on notera la remarquable ressemblance entre Jugurtha et Vercing�torix, �trangl� dans une prison de Rome, tout comme son fr�re en malheur Jugurtha, seulement 58 ans plus t�t : du point de vue de l�histoire nationale au moins, Alg�riens et Fran�ais sont fr�res en traumatisme des origines. Ahmed �Tawfiq� al-Madan� tenait que toute civilisation venait d�Orient � de Carthage, d�origine ph�nicienne (on dirait aujourd�hui libanaise), aux Arabes. Cela r�pondait aux assertions autosatisfaites du colonisateur fran�ais qui posait que toute civilisation venait d�Europe (de France surtout), et qui se voyait en Afrique du Nord en digne successeur de l�Empire romain. Cela correspondait aussi � un fonds multimill�naire de l�gendes o� les Nord-Africains se disaient descendants des Canan�ens (on dirait aujourd�hui les Palestiniens). Pour lui, Carthage �tait une prestigieuse anc�tre, annonciatrice des Islamo-Arabes ; et l�Empire romain n��tait vu qu�en pr�c�dent oppresseur du futur isti�m�r fran�ais. Il est �vident que, pour l�historien s�rieux d�aujourd�hui, il ne s�agit l� que d�assertions sans grand fondement scientifique, car �mises dans un air du temps de revendication anticoloniale nationaliste, et ne reposant sur aucune preuve tangible indiscutable : on sait, en particulier, que la p�riode romaine, dans le territoire de la future Alg�rie, n�eut pas grand-chose � voir avec la colonisation fran�aise, con�ue sous le signe du national fran�ais et du capitalisme : dans l�Antiquit�, n�existaient ni nations ni capitalisme. Mais les cr�ateurs d�histoire nationale et ses chantres ont toujours davantage �t� r�put�s pour leur aptitude � donner forme � des mythologies fondatrices que pour leurs constructions scientifiques : lorsque, dans le premier volume de ses M�moires de guerre, paru en 1954, le g�n�ral de Gaulle dit que la France est faite pour les �succ�s achev�s� et les �malheurs exemplaires �, il ne fait qu��noncer une vision personnelle emphatique reproduisant inconsciemment l�itin�raire du martyre ; il ne fait pas plus �uvre d�historien que Ahmed �Tawfiq� al-Madan� lorsque ce dernier dit que, intemporellement, les Alg�riens sont � la fois des dah�iy� (victimes) et des abt�l (h�ros). Et, s�en �tonnera-t-on, ils disent � peu pr�s la m�me chose : l�un et l�autre campent dans la posture nationale sur le mode du visionnaire r�trospectif. Depuis Ahmed �Tawfiq� al-Madan�, il y a eu nombre de chercheurs alg�riens qui ont aspir� � prendre sa suite. M�me si certains furent davantage de vrais historiens que lui, certains autres n�ont pas pleinement recueilli le message inspir� du fondateur, en ce qu�ils l�ont bien souvent r�tr�ci aux dimensions d�un conformisme correspondant davantage � une langue de bois islamoarabe �troite qu�� un prurit national, et en ne retenant pr�cis�ment que ce qui pouvait servir � conforter un discours officiel simplifi� susceptible d��tre divulgu� dans l�institution scolaire et couch� dans les manuels d�histoire. Il y a eu des figures officielles c�l�br�es par le fondateur qui n�ont pas �t� vraiment retenues parce qu�elles semblaient
insuffisamment cadrer avec les lignes politiques du moment. Belkacem Sa�dallah ou le regrett� Amar Hellal sont sans doute davantage historiens au sens propre du terme que le fondateur, mais leur �uvre reste encore passablement marqu�e d�id�ologie islamo- arabe, mais moins peut-�tre que celle d�un vieux savant comme Abderrahmane al-Jil�l�, qui persiste dans l�assertion selon laquelle les Alg�riens seraient indubitablement des Y�m�nites originels, et moins encore que feu Mouloud Kassem Na�th Belkacem qui ne craignit pas d�affirmer que, avant 1830, l�Alg�rie �tait une �superpuissance�, et qui dressa dans Al As�la des pan�gyriques dithyrambiques du Discours � la nation allemande de Fichte (1808), sortis de leurs conditions de production et de leur contexte.
Vous r�habilitez, d'une certaine mani�re, le pass� amazigh de l'Alg�rie au point o� vous �tes promu, pour reprendre votre mot, "la coqueluche des Berb�res". Y a-t-il une v�rit� en histoire ?
Je ne sais pas si je r�habilite le pass� amazigh de l�Alg�rie. En tout cas, ce n��tait pas le but du jeu lorsque j�ai entrepris la r�daction de ce petit livre. Indubitablement, l�Alg�rie est profond�ment marqu�e par l�empreinte de l�islam et de l�arabe, et cela m�me dans telles r�gions r�put�es berb�res : l�Aur�s, r�gion berb�rophone, est l�une des r�gions o� la pr�dication de l�isl�h a �t� parmi les mieux accueillies en Alg�rie d�s avant la Seconde Guerre mondiale. Avec Mohammed Khider (n� � Alger mais originaire de Biskra), c��tait le Kabyle Hocine A�t Ahmed qui, dans le groupe des neuf chefs historiques du FLN, ma�trisait le mieux l�arabe classique. De haute lign�e maraboutique, il �tait le petit-fils du chaykh Mohand El Hocine. Et, � la p�riode classique du Maghreb, comme l�a montr� Nedjma Abdelfettah, la Kabylie put �tre appel�e �la montagne savante� tant le r�seau de ses z�wiya(s) et ses liens avec la ville de culture qu��tait alors Beja�a �taient importants : que cela plaise ou non, la langue de haute culture, dans ce fief de la berb�rophonie militante, n��tait pas le berb�re, mais bien l�arabe. Et parmi les chantres d�monstratifs de la langue arabe, le dernier n�a sans doute pas �t� le Kabyle Mouloud Kassem Naith Belkacem, d�j� nomm� : il n�est pas rare que ce soient des petits louveteaux d�une horde minoritaire qui tendent � hurler plus fort que les loups, cela pour �tre plus loups que les loups.D�j�, dans l�Antiquit� romano-africaine, plusieurs indices montrent que, souvent, les romanis�s d�Afrique du Nord se voulaient volontiers plus romains que les Romains. Pour autant, il est absurde de nier les origines probablement mill�naires, sans doute bien autochtones, des Berb�res � on disait �Maures� ou �Libyques� dans l�Antiquit�. Elle est attest�e par des inscriptions, qui existent, m�me si elles ne surabondent pas, par des alphabets � le tifinagh est probablement un des plus anciens alphabets du monde �, en m�me temps qu�existent des permanences �tonnantes, aussi bien dans l�alimentation � la pr�gnance du bl� et de l�huile d�olive �, dans les tabous (par exemple l�anciennet� attest�e bien avant l�islam du tabou sur le porc), dans les formes du sacr� populaire (l�adoration des pierres dress�es dans des grottes ou des anfractuosit�s rocheuses, les p�lerinages aux maz�r�t, dans des lieux et sous des formes d�une �tonnante continuit�). On sait, par exemple, que saint Augustin tonnait en chaire en latin contre les purgamenta (les d�chets) que repr�sentaient pour lui ces cultes impies qui souillaient le monoth�isme chr�tien dans des termes que n�aurait sans doute pas d�savou�, en arabe, le cheikh Ben Badis dans ses d�nonciations du chirk qui souillait le monoth�isme musulman... un mill�naire et demi plus tard. Rassurez-vous : je sais pertinemment qu�il y a des abrutis et des gens ouverts d�esprit aussi bien parmi les berb�rophones que parmi les arabophones ; qu�entre eux n�existe pas de muraille de Chine, et que, h�ritiers d�une m�me histoire, tous sont Alg�riens, m�me si ce peut-�tre selon des modalit�s plurielles : tous portent une v�ture qui ne requiert pas forc�ment le m�me doigt sur la m�me couture du m�me pantalon � surtout si ce pantalon est militaire. Si j�ai dit sur le ton de la plaisanterie que j�avais l�impression d��tre devenu la coqueluche des Berb�res, c�est simplement parce que, en effet, par rapport � mes pr�c�dents livres, qui ne m�avaient pas valu de sollicitations exag�r�es, j�ai �t� l� fr�quemment contact� pour des �missions de radio, de TV, des interviews dans la presse ou pour des conf�rences, par nombre de journalistes ou associations qui ne cachaient pas leur sympathie pour la mouvance berb�re, ou qui s�en r�clamaient. La raison en est simple, me semble-t-il : ce livre se veut �tre un vrai livre d�histoire, � la port�e du plus grand nombre � m�me si je suis interview� par un berb�rophone, j�ose dire que, aujourd�hui, pour l�Alg�rie, il serait bon qu�il puisse �tre traduit en arabe. Comme tel, il tente de faire le point sur une p�riode souvent m�connue, voire ignor�e des Alg�riens, et des originaires d�Alg�rie demeurant en Europe ou ailleurs : celle qui a pr�c�d� l�arriv�e des conqu�rants islamo-arabes. C�est, ou ce fut l� presque objet de tabou. Comme me le disait un ami alg�rien : �Il y avait donc une vie avant le 1er Novembre 1954 ? Avant le 5 juillet 1830 ? Avant 1516 (prise d�Alger par Arroudj) ? Avant 698 (prise de Carthage par Has�n b. Nu�m�n) ? Oui il y avait une vie, et cette vie avait ses caract�ristiques dont proc�de � plus d�un titre par des traits marqu�s la vie des Alg�riens des temps ult�rieurs. Sauf � exacerber les crispations de tels obscurantistes, j�ai sereinement conscience de n�avoir pas fait �uvre impie en l��crivant. La v�rit� en histoire c�est d�abord l�honn�tet� de l�historien qui a affaire � des documents, lit des livres d�histoire, les examine et les soup�se selon la m�thode historique la plus rigoureuse possible, et rend finalement sa copie apr�s tout ce long travail d�approche et d�analyse. L�historien n�a comme ennemis que les faussaires, les mythomanes, et les imb�ciles gourmands de jugements faux. Comme l��crivait mon ma�tre et ami, le regrett� Pierre Vidal-Naquet, on pourrait supposer que, avec une science et une culture �gales, des historiens ayant affaire exactement au m�me corpus documentaire, �criraient exactement le m�me livre. Et il ajoutait que, �videmment, il n�en �tait rien : la personnalit� humaine est l� qui aiguille les r�ponses, et dans cette personnalit�, il y a les valeurs qui constituent, aussi, l�historien : pour Pierre Vidal-Naquet, qui a si inlassablement lutt� contre la torture colonialiste, des historiens qui estiment qu�il est bon, qu�il est mauvais ou qu�il est indiff�rent qu�on torture des gens, qu�on interne et d�porte des homosexuels ou des malades mentaux, qu�on extermine des gens en raison de leur suppos�e race ou de leur religion, ou de leurs positions politiques�, n��criront � coup s�r sur le m�me sujet en aucun cas le m�me livre ; cela sur quelque sujet que ce soit, sur quelque pays que ce soit. Comme tout le monde, l�historien sait que, pour l��tre humain, cet ins�n des Arabes, la V�rit� avec un grand v n�appartient qu�� Dieu s�il y croit, au corpus de valeurs universelles auxquelles il se r�f�re s�il n�y croit pas.
Vous avez examin� toutes les th�ses sur les origines des Berb�res. Quelles sont-elles et qu'est-ce qui les fragilise ?
Je ne me sens pas pleinement comp�tent sur ce sujet et je ne suis pas s�r que les vrais sp�cialistes aient d�finitivement tranch�. Sur le plan de la g�n�tique, les g�n�ticiens arguent que les populations du nord de l�Afrique ont, par exemple, des caract�ristiques voisines de celles de leurs voisins et notamment des peuples du Moyen-Orient, qu�on retrouve entre eux des similitudes de g�nes, des aptitudes � contracter sensiblement les m�mes maladies�, qu�ils sont � la fois des blancs et des Africains noirs ; bref, qu�il s�agit d�un peuple m�tis. Je n�ai pas autorit� pour juger ces th�ses �man�es de tr�s honorables savants. Je dirai simplement que tout ce qui peut mettre en exergue des particularit�s de ce type �veille chez moi, en m�me temps attention mais aussi m�fiance, et je ne suis pas certain que la g�n�tique soit � m�me de d�finir ce qu�est un peuple. Les questions relatives � la culture, et notamment � la langue, me paraissent devoir, plus encore, retenir l�attention, m�me si elles n�excluent pas forc�ment les donn�es de la g�n�tique. La majorit� des peuples europ�ens appartiennent � la famille des langues dites indo-europ�ennes, dans laquelle, par exemple, figurent aussi bien l�urdu du Pakistan, le persan, le kurde, que l�anglais, l�allemand ou l�italien. Pour autant, les Anglais, les Allemands et les Italiens ne sont pas proches g�n�tiquement des Pakistanais, des Iraniens et des Kurdes, lesquels, d�apr�s les g�n�ticiens, seraient proches des Maghr�bins. De ce point de vue, les linguistes semblent penser aujourd�hui que le berb�re, en ses diff�rents parlers, qui s��chelonnent d�est en ouest de l�oasis se Siwa, en Egypte (l�ancienne oasis du dieu Ammon, dans l�Antiquit�) jusque chez les Zenaga de Mauritanie, et du nord au sud, de Kabylie aux Touareg du Niger et du Mali), appartient � la famille linguistique dite chamito-s�mitique : elle comprendrait, outre le s�mitique, dont font partie entre autres l�arabe et l�h�breu, le couchitique de la Corne de l�Afrique et l��gyptien ancien � qui a �volu� sous la forme du copte, aujourd�hui rel�gu� � la seule liturgie de l�Eglise copte. Incontestablement, donc, il y a de ce point de vue des proximit�s avec le Proche- Orient et avec l�Afrique de l�Est. Ce qui est excitant pour l�esprit, c�est que ces affinit�s sont recoup�es par de tr�s anciennes l�gendes dans lesquelles, on l�a dit, les Nord-Africains se disent descendants des Canan�ens (Palestiniens). Les pr�historiens ont pu mettre en �vidence nombre d�autres analogies entre l�actuel Maghreb et le Proche-Orient ou l�Egypte ; et l�hypoth�se de d�placements de populations, venues de l�est, n�est pas � exclure. Le dernier livre de Boualem Sansal, Petit �loge de la m�moire, commence par l��vocation des origines �gyptiennes des Alg�riens. Ahmed �Tawfiq� al-Madani a pu broder sur ce fond �oriental� tr�s ancien, dont saint Augustin (IVe � Ve si�cles) affirme avoir lui aussi eu connaissance dans les environs de sa Thagaste (Souk Ahras) natale ; et Ibn Khaldoun a repris la m�me antienne un mill�naire plus tard. Sauf qu�identifier des parent�s et des ressemblances ne revient pas forc�ment � d�montrer l�existence de r�els courants migratoires : les Qu�b�cois parlent bien le fran�ais, qui est une langue latine. Ils ne sont pas pour autant des originaires d�Italie. Nombre de gens ne jugent donc pas d�raisonnable d�imaginer que le peuplement actuel du Maghreb est peu-�tre bien un peuplement autochtone d�origine � nonobstant les apports des Vandales, biens s�r des Arabes, de quelques Normands au Moyen�ge. Mais, pas plus que les �invasions germaniques � en Europe � la fin de l�Antiquit� et au d�but du Moyen-Age, les principales vagues des conqu�tes arabes (VIIe � VIIIe si�cles, et XIe si�cle � les Ban� Hilal et les Banu Sulaym) n�ont d� d�placer des foules d�mesur�es : plus que submersion, il y dut y avoir osmose sociale et culturelle entre les Berb�res et les nouveaux venus. A la diff�rence de tous les autres conqu�rants, les Arabes n��taient pas venus par voie de mer, ils �taient parvenus � destination � travers l�int�rieur profond du Maghreb, et ils portaient avec eux des modes d�organisation de type communautaire tribal qui purent parler aux gens du pays, facilitant avec eux l�accomplissement d�une sorte de synergie historique.
Vous montrez qu�� bien des �gards, ce qui allait devenir l'Alg�rie a �t� plus d�velopp� que ce qui allait devenir la France. Qu'est-ce qui explique alors le retard pris par la rive sud au point o� elle en devient colonis�e ?
En effet, on sait que, bien avant la p�riode romaine, qui vit une v�ritable floraison de villes, les villes ne manquaient pas sur le territoire de l�actuelle Alg�rie. Et, d�s la p�riode de l�influence punique (carthaginoise) et des royaumes maures et numides, il existait un v�ritable tissu urbain. A la diff�rence, par exemple, de la voisine d�en face, la Gaule (aujourd�hui la France), o� n�existaient gu�re de villes que sur la fa�ade m�diterran�enne (Massalia, l�actuelle Marseille, �tait une ancienne fondation de Grecs de Phoc�e (Asie Mineure) datant du VIe si�cle av. J. � C.), existaient d�j� Iol (Cherchell), Rucuscuru (Dellys), Rusicade (Skikda), Hippo Regius (Annaba), Cirta (Constantine), etc. Toujours par rapport au voisin d�Outre- M�diterran�e, il semble que l�agriculture, d�j� fond�e surtout sur le bl�, ait plus pr�cocement remplac� les activit�s de cueillette ; et on sait que ce fut dans le sillage de Carthage que la culture de la vigne apparut. Existait cependant un contraste notable avec les contr�es du bled, plus dans l�int�rieur du Tell, o� les activit�s et les modes de vie pastoraux pr�valaient davantage. Ce contraste persista sans doute � l��poque romaine. La Gaule s�urbanisa au Ie si�cle av. J. � C. (Lugdunum, capitale de la Gaule, l�actuelle Lyon, fut fond�e en 43 av. J. � C.). Mais on sait que, avec la Tunisie, le tiers oriental de ce qui deviendra l�Alg�rie, plus la vall�e du Ch�liff et la c�te, �tait peut-�tre la r�gion de l�Empire romain au r�seau urbain le plus serr� et sans doute le plus prestigieux. Les ruines romaines d�Alg�rie sont peut-�tre les plus spectaculaires de toutes celles qui ont �t� retrouv�es autour du Bassin m�diterran�en. L�agriculture resta florissante et m�me accrut notoirement son potentiel, cela � tel point que, dans le courant du IIe si�cle, l�ensemble Africa (Tunisie, l�Ifriqyia des Arabes) � Numidie (Constantinois) avait d�tr�n� l�Egypte dans son rang de premier �grenier de Rome�. L�Afrique du Nord exportait beaucoup, et c�est la raison pour laquelle tant de capitaux ont �t� disponibles pour construire et embellir tant de villes. Ce fut aussi une des raisons de la d�g�n�rescence de l�Empire romain : comme partout, les richesses produites ne furent pas r�investies dans le circuit productif, mais employ�es � des r�alisations �dilitaires et de prestige. C�est en Alg�rie-Tunisie qu�a �t� retrouv�e la collection la plus riche d�inscriptions latines, cela � raison de 50 000, et on y trouve de m�me sans doute la plus belle collection de mosa�ques. A partir du IIe si�cle, le christianisme se r�pandit rapidement � l�Afrique du Nord. Cela � un point tel que, du temps d�Augustin, au tournant du 4e et du 5e si�cle, on y trouvait la plus forte densit� de si�ges �piscopaux � c�est-�-dire d��v�ch�s. A ce moment, il y aurait eu plus de 600 �v�ques, ce qui signifie que, m�me si la chr�tient� y �tait d�chir�e entre catholiques et �donatistes�, ce fut une des r�gions qui connut le plus l�influence chr�tienne. Le monoth�isme y �tait d�j� familier et, en changeant de religion, les anc�tres des Alg�riens n�eurent pas forc�ment l�impression de faire un grand pas : on l�a dit, la coupure islam-christianisme ne s�inscrira dans les esprits que bien plus tard. On sait que l�Alg�rie connut des Etats locaux berb�res (Zirides, Hammadides) et des dynasties religieuses d�origine marocaine (Almoravides, Alomhades), et qu�elle fut un foyer non n�gligeable de civilisations � l��poque musulmane � partir de la fondation, en 670, de Kairouan par Oqba b. Naf�a; cela m�me si les centres musulmans les plus prestigieux furent situ�s, cette fois, davantage � l�est (kh�lifat ommeyade de Damas, puis abbaside de Baghdad) ou � l�ouest (kh�lifat ommeyade de Cordoue, en Andalousie�). Les ruines de cit�s musulmanes de cette �poque (Qala�a des Beni Hamm�d, XIe si�cle) sont nettement moins nombreuses que les ruines romaines parce que la plupart des villes ont continu� ult�rieurement leur d�veloppement : il n�y eut donc pas la c�sure qui s��tait produite apr�s l�Empire romain, avec l�invasion vandale (Ve - VIe si�cles). Aussi, subsistent aujourd�hui de cette �poque nombre de superbes mosqu�es � Tlemcen, Alger, Mila, etc. Les activit�s de production agricole et les �changes furent r�orient�s en fonction des nouvelles donn�es g�o-politiques instaur�es avec la conqu�te islamo-arabe : davantage d��changes est-ouest, alors que, � l��poque romaine, ils avaient principalement �t� sud-nord; �changes avec l�Andalousie, aussi : l�historien ne peut consid�rer, � cette �poque, l�Andalousie et le Maghreb que comme des parties, tr�s proches, d�un m�me corps. Le contexte, en M�diterran�e, fut radicalement diff�rent de celui de l�Empire romain : la conqu�te islamo- arabe fut non seulement conqu�te de terres, expansion d�une nouvelle foi et de la langue arabe, diffusion, aussi, d�une nouvelle civilisation ; elle aboutit aussi � une ma�trise par les bateaux musulmans de l�ensemble de la M�diterran�e : pendant pr�s d�un demi-mill�naire, la M�diterran�e fut un �lac musulman� (Fernand Braudel). D�autres circuits commerciaux transsahariens, aboutissant dans les villes du Nord, firent la richesse, comme le commerce de l�or, provenant d�Afrique centrale. Ce fut l�apog�e d�une ville comme Tlemcen, c�l�bre pour ses milliers de m�tiers � tisser. Une certaine scl�rose g�n�rale et un certain figement dans le domaine de la pens�e s�install�rent presque partout dans l�aire islamo-arabe � partir des XIe � XIIe si�cle � � l�exception de quelques cas, comme ces cit�s timourides d�Asie centrale. Il reste que ce fut un Maghr�bin, Abderrahmane Ibn Khaldoun � mort en 1406 � qui fut sans doute le dernier grand penseur � avoir fait �uvre originale � l�aube d�une p�riode de scl�rose, cela avant le mouvement de la Nahda qui irradia de l�Empire ottoman et d�Egypte au XIXe si�cle. Pour expliquer les raisons du d�clin, il faut donner la parole � Fernand Braudel, le grand historien de la M�diterran�e. Le premi�re Croisade aboutit, en 1099, � la prise de J�rusalem. Il y eut au total huit Croisades � la derni�re fut lanc�e � et �choua � en 1270. Cette tentative � en grande partie manqu�e, en tout cas pr�caire � de reconqu�te religieuse eut toutefois pour r�sultat une reconqu�te commerciale : les marchands v�nitiens transport�rent les crois�s en Orient, et ils en profit�rent pour �liminer les musulmans du commerce maritime m�diterran�en. En deux si�cles, la M�diterran�e cessa d��tre un lac musulman. L�initiative, d�sormais, venait du nord de la M�diterran�e, plus du sud. Toutes les r�gions bordant la M�diterran�e s�appauvrirent et d�clin�rent, particuli�rement sur ses rivages m�ridionaux. Les Arabes, qui contr�laient encore le commerce caravanier des routes asiatiques de la soie et des �pices, virent ce contr�le s�amenuiser du fait de l�ouverture maritime europ�enne � d�abord portugaise et espagnole en direction de l�Inde �, en contournant l�Afrique � partir du d�but du XVIe si�cle. D�s le XVe si�cle, les bateaux portugais avaient commenc� � aller chercher l�or dans le golfe de Guin�e. La voie maritime affaiblit consid�rablement la vieille route saharienne de l�or, et les cit�s prosp�res de nagu�re, comme Tlemcen, commenc�rent � s��tioler. Le coup de gr�ce fut port� par l�ouverture maritime europ�enne en direction de l�Am�rique. Et l�, la France et surtout l�Angleterre y jou�rent les premiers r�les. A partir des XVIIe � XVIIIe si�cles, l�Atlantique se mit � remplacer progressivement la M�diterran�e comme centre majeur des circuits d��changes mondiaux. Les innovations vinrent d�sormais d�cisivement, non plus d�Italie, mais d�Europe du Nord � Angleterre, Pays Bas, Allemagne du Nord �, � c�t� de quelques ports fran�ais (Nantes, Bordeaux) : c�est l� que s�y installa la r�forme protestante. C�est l� que prit essor le capitalisme moderne. La M�diterran�e, principalement sur ses rivages sud, fut exclue des circuits d��changes majeurs. Il en r�sulta, pour l�Alg�rie par exemple, l�organisation de la rente corsaire au XVIe si�cle. Et des ports europ�ens comme Marseille tent�rent de guetter l�occasion pour redonner vie � leurs activit�s marchandes. On sait que le r�le des milieux commer�ants marseillais fut d�terminant pour d�cider le pouvoir parisien � l�exp�dition d�Alger de juillet 1830. Malek Bennabi avait dit, en son temps, que l�Alg�rie avait �t� colonis�e parce qu�elle �tait colonisable. Ce penseur musulman voyait, � tort sans doute, comme raison � cet �chec l�abandon par l�islam des saints principes de l�islam. Mais colonisable parce qu�affaiblie, oui : il suffit de lire les livres du grand historien ottomaniste alg�rien Lemnouar Merouche pour s�en convaincre. Au XVIIIe si�cle, l��conomie alg�rienne �tait pr�caire, la pr�dation par le beylik ext�nuait les paysans, les famines, aggrav�es par cette pr�dation, faisaient des ravages. Bref, tout d�mentait l�apparente victoire repr�sent�e par la reprise d�Oran sur les Espagnols en 1792. Braudel a montr� combien les circuits d��changes mondiaux et la vivification de la pens�e sont deux param�tres d�une m�me �quation. Dans l�ensemble, il y eut recroquevillement. Non que les humains ne continu�rent pas � penser et � produire, mais ils le firent souvent dans la r�p�tition de formes ant�rieures, non dans l�innovation. C�est ce qu�on constate d�j� dans le faste d�cadent de la Venise du XVIIIe si�cle, c�est ce qu�on remarque dans la mis�re napolitaine. Et la parabole nord-m�diterran�enne (proven�ale) du Secret de Ma�tre Corneille (un moulin � vent qui ne tourne plus, faute de bl� � moudre parce que le bl� va se faire moudre plus au nord) d�Alphonse Daudet, au XIXe si�cle, est assez typiquement une parabole m�diterran�enne. Le ph�nom�ne �tait dans une certaine mesure identique, mais il �tait sans doute plus prononc� encore sur les rivages sud.
Propos recueillis par Bachir AGOUR
Biobibliographie de Gilbert Meynier
Gilbert Meynier est un historien fran�ais n� en 1942 � Lyon. Il est actuellement professeur �m�rite � l�universit� de Nancy 2 depuis 2002.
C'est un sp�cialiste de l'histoire de l'Alg�rie sous la domination fran�aise.
� L�Alg�rie r�v�l�e, la premi�re guerre mondiale et le premier quart du XXe
si�cle, Gen�ve, Droz, 1981.
� En collaboration avec Liauzu Claude, Sgro�-Dufresne Maria et Signoles
Pierre, Enjeux urbains au Maghreb, Paris, l�Harmattan, 1985.
� En collaboration avec Koulakssis Ahmed, L��mir Khaled, premier za��m?,
Paris, L�Harmattan, 1987.
� En collaboration avec Ageron Charles-Robert, Thobie Jacques et Coquery-
Vidrovitch Catherine, Histoire de la France coloniale, vol. 2, Paris, Armand
Colin, 1990 (r��dition Press Pocket 1996).
� En collaboration avec Planche Jean-Louis (dir.), Intelligentsias francis�es
(?) au Maghreb colonial, Cahiers du Gremamo, Universit� Denis Diderot-Paris
7, Paris, 1990.
� L�Europe et la M�diterran�e, G. Meynier (dir.), Paris,
l�Harmattan/Confluences M�diterran�e, 1999.
� L�Alg�rie contemporaine. Bilans et solutions pour sortir de la crise, G.
Meynier (dir.), Paris, l�Harmattan/le Forum IRTS de Lorraine, 2000.
� Histoire int�rieure du FLN, Paris, Fayard, 2002.
� En collaboration avec Harbi Mohammed, Le FLN, documents et histoire
1954-1962, Paris, Fayard, 2004.
� Alg�rie dans l�histoire pour ceux de l�-bas et d�ici, du N�olithique � nos
jours, vol. 1 : Du N�olithique � l�av�nement de l�Islam, Paris, Editions Bouch�ne
(� para�tre).
� L�Alg�rie des origines : De la pr�histoire � l�av�nement de l�Islam, Paris, La


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