De Tunis, Mohamed Kettou Cette décennie, que d'aucuns qualifient de «noire», n'a vu naître aucun projet générateur d'emplois ni pour le citoyen lambda, encore moins pour les détenteurs de diplômes. La grogne se fait, aujourd'hui, entendre dans la rue tunisienne. Les raisons sont innombrables : politique, économique et sociale. Jamais, depuis l'indépendance en 1956, la Tunisie n'a connu une aussi mauvaise situation économique. Même la crise des années 80 n'a pas été aussi catastrophique. Par le passé, le pays était parvenu à sortir rapidement de la crise grâce à la sagesse de ceux qui géraient les affaires économiques. Aujourd'hui, la donne a changé en la jugeant par les chiffres. La dette extérieure atteint 109 milliards de dinars (1 euros=3,3 DT) , soit l'équivalent du budget de l'Etat. La dette à court terme est de l'ordre de 27,5 milliards de dinars, dépassant les réserves en devises qui plafonnent à 21,2 milliards de dinars. Les revenus du pays en dollars ont baissé de 40% depuis 2011, sans parler de la dégringolade, au même taux du pouvoir d'achat et de l'augmentation galopante du chômage. Ces chiffes gagnent en crédibilité quand ils sont communiqués par un grand économiste de l'ère Ben Ali, l'ancien ministre de l'Economie et gouverneur de la Banque centrale. Des chiffres qui annoncent une «catastrophe» en ce sens qu'ils hypothèquent l'avenir des générations futures. Il y a dix ans que Ben Ali est parti, chassé par une jeunesse qui revendiquait la dignité. Dix ans plus tard, elle se voit flouée par un régime «démocratique» dont elle n'a récolté que la liberté d'expression et le chaos aux plans politique, économique et social. Cette décennie, que d'aucuns qualifient de «noire», n'a vu naître aucun projet générateur d'emplois ni pour le citoyen lambda, encore moins pour les détenteurs de diplômes d'enseignement supérieur dont des titulaires de doctorat. Côté gouvernants, on parle encore de «période de transition», une transition qui s'éternise contrairement aux transitions vécues dans d'autres pays qui ont connu la chute de leur régime politique. Alors qu'à la chute de l'ancien régime, le pays vivait une certaine aisance financière avec des réserves de 15 milliards de dollars et une somme similaire en dinars, les caisses sont aujourd'hui vides. Ce qui a poussé Hedi Jilani, ancien président de l'organisation patronale UTICA, à s'inquiéter «du climat délétère de l'environnement des affaires», tout en appelant «à une union sacrée pour sauver l'économie nationale». Ceux qui croyaient à l'amélioration de leurs conditions de vie, en particulier les jeunes, sont, aujourd'hui, les premières victimes de ce changement du régime et de l'arrivée de nouveaux dirigeants qui n'ont accordé aucun intérêt à leurs doléances. La raison est que les nouveaux dirigeants sont dépourvus, sauf cas rares, de capacité de bien gérer la chose publique et de savoir-faire économique. Ce sont les conséquences de l'adoption d'un régime politique dominé par le parti islamiste Ennahdha. Celui-ci fait et défait les gouvernements à sa guise, sans tenir compte des potentialités du pays et des revendications des citoyens. Jusqu'à quand la fuite en avant au détriment d'une jeunesse qui ne voit plus le bout du tunnel ? Une bonne partie parmi les médecins, ingénieurs ou autres diplômés est aujourd'hui en Europe. Les autres espèrent trouver une vie meilleure à travers la «harga», au risque de perdre la vie en mer à l'aide d'une embarcation aussi ivre que le bateau Tunisie. Cinq ministres limogés Dans le but de trouver une solution au blocage de la vie politique et économique, le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, a procédé, hier lundi, au limogeage de cinq ministres tout en mettant de côté la liste des onze ministres nommés récemment. Il s'agit des ministres de la Justice, de l'Industrie, de l'Agriculture, des Domaines de l'Etat et de la Jeunesse et des Sports. Ces départements seront dirigés, par intérim, par des ministres en fonction. Ainsi, Mechichi aurait mis fin au blocage né du refus du Président Kaïs Saïed de recevoir quatre des ministres nommés par Mechichi dans le cadre du remaniement auquel il avait procédé en janvier dernier, et qui font l'objet de suspicions de corruption ou de conflit d'intérêts, selon le président de la République. M. K.