Le nouveau ministre de la Justice semble décidé à régler le gros conflit avocats-magistrats. Un dossier lourd qui empoisonne, depuis de très longs mois, le monde de la justice, et qui se répercute de manière très négative sur le justiciable, victime directe des grèves répétées qui éclatent dans le secteur. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Il faut aussi dire qu'en dépit de sa gravité, ce conflit est resté latent tout au long de ces deux dernières années, et il n'a fait que s'enliser en l'absence d'une gestion adéquate. On a ainsi rarement, pour ne pas dire pratiquement pas, enregistré de déclaration publique sur le sujet en provenance de la tutelle et du prédécesseur de Abderrachid Tebbi, qui semblait davantage verser dans la discrétion pour calmer les situations. À l'inverse, Tebbi a décidé, lui, de s'exprimer publiquement et de mettre le dossier (l'un des premiers auxquels il s'attelle) sur la table. Sa rencontre avec les responsables de l'Union nationale des Ordres des avocats, Unoa, (samedi dernier) n'est pas fortuite, elle a été traduite comme étant l'amorce d'un processus de règlement du problème, puisque le garde des Sceaux a profité de l'occasion pour s'exprimer au sujet du dernier incident entre avocats et magistrats ayant conduit à une nouvelle grève. Abderrachid Tebbi a renvoyé dos à dos les deux parties en conflit, qui a dégénéré suite à un incident survenu au tribunal de Dar-el-Beïda. Au début du mois de juillet, le véhicule d'un avocat avait été transféré à la fourrière sur ordre du procureur adjoint de ce tribunal, car il considérait que la voiture gênait le passage. Abedrrachid Tebbi impute cette situation à l'obstruction des voies de dialogue entre les deux parties. « Ce qui s'est passé est grave, dit-il, ceci veut dire que les canaux du dialogue sont fermés, autrement, le problème aurait été réglé avec un simple coup de téléphone ». « Tout le monde a fauté dans cette affaire, poursuit le ministre. Je n'ai pas de détails sur l'affaire, mais je reproche à tout le monde d'avoir compliqué la situation pour une situation banale. Selon les avocats, l'un d'entre eux a laissé son véhicule garé dans le parking du tribunal en dehors des heures de travail. Où est le mal si on le lui avait rendu ? Pourquoi en arriver à solliciter la police et compliquer la situation ? » Abderrachid Tebbi semble à ce moment fustiger le comportement du magistrat auteur de cet incident, mais il enchaîne immédiatement en s'en prenant aux avocats, en qualifiant de fait « grave » le boycott des audiences du tribunal de Dar-el-Beïda durant une semaine, décision suivie par le boycott des autres juridictions d'Alger le mardi 6 juillet. Les deux actions ont été suivies par l'organisation d'un rassemblement devant le tribunal de Sidi-M'hamed. « Je suis étonné. Je ne comprends pas comment un problème de parking devient une affaire d'Etat ! Pour un petit problème de parking, on fait intervenir le procureur de la République, le procureur général, le ministre. On en arrive à bloquer la voie publique », s'indigne le ministre. Pour l'heure, aucune réaction des avocats ni des magistrats n'a suivi cette déclaration. Sera-t-elle suivie de contacts francs, d'actions destinées à rétablir les ponts entre avocats et magistrats ? Dans un récent entretien au Soir d'Algérie, Me Sellini, bâtonnier d'Alger, avait fait état de rupture profonde avec « certains magistrats qui se croient tout permis (...) Quant à nous, nous nous battons pour le respect des droits de la défense». Parmi les droits bafoués cités, Me Sellini avait insisté sur les difficultés d'accès aux dossiers (et certaines pièces maîtresses) de leurs clients. Ce qu'il faut enfin savoir est que le dossier avocats-magistrats n'est pas une nouveauté pour Abderrachid Tebbi. Du temps où celui-ci se trouvait en fonction à la Cour suprême, il avait contribué à rétablir, dans l'ombre, le contact entre les deux parties lors du gros conflit qui avait paralysé la justice durant un mois en 2019. Lors de la passation de consignes avec son prédécesseur, le nouveau garde des Sceaux a insisté sur « la nécessité de travailler dans un climat de calme et de sérénité ». La fin du conflit avocats-magistrats constitue l'élément essentiel de cette paix recherchée. Tebbi est à la recherche d'apaisement dans son secteur, une démarche qui semble s'insérer dans un plus vaste processus. Depuis le 5 juillet dernier, le chef de l'Etat a prononcé une grâce amnistiante au profit de 179 personnes, parmi lesquelles cent un détenus du Hirak. A. C.