La crise sanitaire n'ayant rien épargné, le doute était légitime quant aux ambitions de Sonatrach sur, entre autres plans, la relance de ses investissements, comme c'est le cas d'ailleurs pour toutes les compagnies pétrolières du monde. Des compagnies qui, comme le confiait le P-dg Toufik Hakkar, il y a une semaine, ont souffert d'un désinvestissement qui a atteint pas moins de 1 000 milliards de dollars en 2020 à cause de la crise sanitaire. 2020 a été une année noire pour toutes les compagnies pétrolières du monde, dramatique même pour certaines comme ExxonMobil qui, il y a dix ans, détenait le record mondial de capitalisation avec plus de 45 milliards de dollars, mais a perdu 40% de sa valeur boursière lors de la dévastatrice année 2020, accusant une dépréciation record d'environ 20 milliards de dollars en fin d'année. La chute des cours du brut liée à la pandémie a entraîné des temps durs comme les majors et les compagnies de toutes les dimensions dont celles de la stature de Sonatrach n'en ont jamais connu. Frappées de plein fouet par la chute de la consommation, toutes les compagnies, majors et autres, ont procédé presque machinalement à la réduction de leurs investissements dans l'exploration et la production de pétrole, tout en revoyant la valeur de leurs actifs, comme cela a été le cas pour Shell avec 22 milliards de dollars, 17,5 milliards pour BP, alors que le français Total a réduit la valeur de ses investissements de 8 milliards de dollars au Canada. Tous ont aussi procédé à des coupes dans leurs effectifs, ExxonMobil annonçant la suppression de 14 000 emplois d'ici à la fin de 2021, et Shell devrait réduire ses effectifs de 9 000 collaborateurs. «Si on arrête d'investir, le prix du pétrole va monter à 100 dollars» Toutes ces compagnies, pour se redresser, doivent changer leur modèle, selon les spécialistes, et cela commence par redonner à l'investissement de la place, certes pas dans la proportion qui était la sienne avant que les états-majors décident de fermer les vannes durant les longs mois où frappait de plein fouet l'incertitude qui happait fortement le marché pétrolier du fait des rebondissements de la pandémie de Covid-19 avec tous ses variants, mais une place pour booster la chaîne de valeur rudement happée par les effets multiples induits par la pandémie. Pour tout dire, même les spécialistes des questions économiques hors hydrocarbures voyaient et voient encore d'un très mauvais œil la baisse de l'investissement, voire carrément la cessation de l'investissement dans le monde du pétrole. «Si on arrête d'investir, le prix du pétrole va monter à 100 dollars», martelait le P-dg de Total il y a quelques mois, lui qui reprenait à son compte l'idée du «rallye pétrolier», c'est-à-dire une flambée des prix du pétrole, répandue chez les analystes américains qui, à ce jour encore, parient sur un baril de pétrole dépassant les 100 dollars dans les mois et les années à venir en raison de la baisse de production induite par la réduction des investissements dans l'amont, et du «penchant» forcé ou volontaire pour les énergies vertes ; de nombreux conseils d'administration des plus grandes compagnies pensant plus que jamais auparavant à l'après-pétrole, celui-ci ainsi que le pétrole et le gaz de schiste étant promis au déclin. «L'ère du pétrole n'est pas encore terminée, bien que la consommation dans les économies occidentales développées ait eu tendance à baisser au cours de la dernière décennie», s'égosillait à expliquer Karin Kneissl, la nouvelle patronne du conseil d'administration de Rosneft, le géant pétrolier russe, il y a quelques mois lors d'un rendez-vous économique mondial à Saint-Pétersbourg, en plein dans le contexte on ne peut délicat que traverse l'industrie pétrolière et parapétrolière mondiale. Les énergies renouvelables sont en train de gagner des parts importantes dans les stratégies des plus grandes compagnies pétrolières mondiales qui, à vrai dire, n'ont d'autre alternative que de se plier aux exigences des accords internationaux des COP relatifs à la lutte contre le changement climatique. Un nouvel axe d'investissement qui prend de l'ampleur même si depuis quelque temps s'impose l'avis selon lequel «le sous-investissement dans le pétrole préparait le terrain à un grave déficit d'approvisionnement» pour alerter contre une offre réduite de pétrole, donc des prix pouvant monter à des niveaux affolants. C'est pour dire que l'investissement dans les énergies fossiles, le pétrole et le gaz a encore de beaux jours devant lui. 33 milliards de dollars attendus : de quoi conforter la stratégie de Sonatrach C'est un contexte que la compagnie nationale Sonatrach a enduré au même titre que toutes les autres, avant de voir la conjoncture s'éclaircir grâce notamment à l'exploit consistant, d'abord, à surmonter la perte de 40% de ses revenus durant l'année 2020 et ensuite parvenir à la fin de cette inénarrable année à équilibrer ses recettes et ses dépenses pour sortir de la zone rouge. Puis vint le temps de l'éclaircie induit par le retour de la demande, certes pas flamboyante mais de quoi alimenter le redémarrage de la machine économique mondiale, et la chute des investissements qui a fait qu'il y a moins de nouveaux gisements, donc moins de pétrole disponible, en plus du contrôle de la production grâce aux accords dans le cadre de l'Opep+, le tout donnant lieu à une remontée quasi mécanique du prix du baril. Scénario qui a permis à Sonatrach de rattraper ses pertes puis se retrouver dans un «confort financier», comme le qualifiait Toufik Hakkar, et désormais se tourner vers l'investissement dans l'exploration et la production, les deux axes majeurs identifiés pour entrer de plain-pied dans le programme quinquennal courant jusqu'en 2025, programme ayant requis une enveloppe globale de 40 milliards de dollars. Un programme très ambitieux confirmé la semaine dernière par le chef du gouvernement et ministre des Finances devant les députés lorsqu'il confiait qu'une des parts belles de son plan d'action est accordée à l'investissement dans le secteur des hydrocarbures qui passera d'un peu plus de 7 milliards de dollars présentement à près de 10 milliards de dollars d'ici deux ans. Une perspective qui appuie la démarche de Sonatrach qui s'est engagée, dans les cinq prochaines années donc, dans un programme ambitieux de 40 milliards de dollars, dont 51% en dinars, qui concerne plusieurs gisements. Il s'agira, entre autres objectifs, de dynamiser la production nationale, notamment avec la mise en production de nouveaux gisements dans les régions sud-ouest et sud-est. Ces unités de production permettront, d'une part, de répondre aux besoins croissants du marché local – qui pourraient atteindre 70 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP) à partir de 2024 – et, d'autre part, de maintenir un niveau d'exportation supérieur à 90 millions de TEP par an. Il y a plusieurs mois, le plan établi par Sonatrach avait identifié comme investissement l'exploitation de 18 nouvelles découvertes de gisements et la mise en service d'importants projets et d'infrastructures gazières, à l'instar du gazoduc Medgaz destiné à connecter Hassi R'Mel à Cordoue dont les installations ont bénéficié d'une extension et qui entrera en exploitation avec son nouveau potentiel dans quelques semaines. Ceci en parallèle aux imposants investissements prévus dans l'industrie de la pétrochimie et, bien entendu, le développement des vieux gisements pour maintenir leur niveau de production actuel et le renouvellement des réserves épuisées. Une œuvre de longue haleine puisque c'est en grande partie à partir des revenus générés par ces investissements que dépendra le programme de réforme économique globale qu'entend mener l'Algérie. Des revenus qui, selon les perspectives de la direction de Sonatrach, devraient permettre d'engranger jusqu'à 33 milliards de dollars à l'issue de cet exercice. De quoi appréhender le futur immédiat sous de bons auspices, la tenue des marchés du pétrole et du gaz confortant pleinement la stratégie du groupe qui nourrit l'Algérie. Azedine Maktour