Les choses restent encore tr�s floues en C�te d�Ivoire. Ces �lections ont encore compliqu� une situation extr�mement dangereuse. Deux pr�sidents pour un seul pays. L�arm�e soutient Gbagbo alors que Guillaume Soro, l�ancien chef des �rebelles� du Nord, vient de d�missionner de son poste de Premier ministre. La France, les Etats-Unis, le FMI, l�Union africaine semblent accorder leur pr�f�rence � Ouattara. Mais les membres du Conseil de s�curit� n�arrivent pas encore, � la suite du veto de la Russie, de s�entendre sur une position commune. Depuis d�j� longtemps, la question du pouvoir r�el et des fronti�res dans ce pays, comme d�autres territoires africains, se pose avec acuit�. La pr�sence d�une multitude de tribus et de langues emp�che toute conciliation durable et tout compromis politique et g�ographique. La colonisation a dramatiquement aggrav� les choses en instrumentalisant des conflits intertribaux et en multipliant les lieux de pouvoir marqu�s par une certaine all�geance � l�espace colonial. Le contact tragique avec la colonisation a engendr� de nombreux conflits et des r�alit�s syncr�tiques mettant en avant les jeux claniques et tribaux associ�s � des formes europ�ennes �parses. Ainsi, la g�ographie elle-m�me correspondait aux choix coloniaux et au d�sir de mieux dominer cette r�gion. Il n�est nullement possible de comprendre les enjeux actuels en C�te d�Ivoire si on n�interroge pas l�histoire de l�Afrique noire, ses contingences historiques et les relations avec la France. Les accords de Marcoussis et d�Accra, d�ailleurs organis�s par la France, ne pouvaient �tre que fragiles et circonstanciels. Ce n�est pas l�OUA, impuissante et trop inf�od�e aux anciennes puissances coloniales, qui pourrait r�gler ce probl�me, d�autant plus que les consid�rations socio-historiques sont importantes et les enjeux g�ostrat�giques fondamentaux, donnant � l�ancienne puissance coloniale le pouvoir de r�gler cette question avec le soutien du Conseil de s�curit�. Les derniers �v�nements montrent tout simplement que les r�alit�s g�ostrat�giques sont importantes. L�Union africaine est inoffensive et trop peu op�ratoire dans ce type de situations(1). La mission africaine conduite par le pr�sident sud-africain est incapable de r�soudre un probl�me qui remonte finalement � plusieurs d�cennies( 2). C�est vrai que Houphouet Boigny, install� gr�ce aux Fran�ais, a tout fait pour b�tir son pouvoir sur des �quilibres pr�caires tout en privil�giant les relations avec la France. Sa mort en 1993 a mis fin � des d�cennies de pouvoir marqu� par un compromis intertribal et une forte r�pression visant les diverses oppositions politiques. Les relations trop fortes avec l�ancien colonisateur marquent le terrain dans ce pays d�une dizaine de millions d�habitants qui a vu le pr�sident actuel, Laurent Gbagbo, se faire �lire gr�ce au soutien du Parti socialiste fran�ais( 3). La droite a toujours consid�r� ce dirigeant comme un trublion, un personnage trop peu cr�dible. D�ailleurs, le pr�sident fran�ais ne semble pas trop l�appr�cier. Gbagbo et ses partisans ont toujours soup�onn� le gouvernement fran�ais de soutenir la r�bellion. Ce qui expliquerait, peut-�tre, en partie le bombardement par les forces gouvernementales des positions militaires fran�aises et la r�action fran�aise d�truisant les avions de ce pays. Mais en dehors de cet acte, la C�te d�Ivoire semble condamn�e � des violences continues d�autant plus que les acteurs ne sont pas dispos�s � dialoguer s�rieusement. M�me le fameux gouvernement d�union nationale, n� apr�s les accords de Marcoussis, en France, il y a quatre ann�es, n�est pas r�ellement op�rationnel ; la m�fiance domine et le dialogue est v�ritablement absent entre les factions repr�sent�es dans un gouvernement mythique et illusoire. Le dernier �v�nement va accentuer encore plus l�inimiti� et la m�fiance entre une partie des Ivoiriens et les Fran�ais. Ce qui se passe aujourd�hui en C�te d�Ivoire tire son origine des paradoxes et des ambigu�t�s de ce pays. Les acteurs actuels, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, ont toujours connu des relations tr�s conflictuelles, m�me au temps de B�di�, pr�sident de l�Assembl�e nationale et successeur potentiel de Houphouet Boigny, disparu en d�cembre 1993, Alassane Ouattara, Premier ministre, ancien gouverneur de la BCEAO (Banque centrale des Etats de l�Afrique de l�Ouest) et futur directeur adjoint du FMI, impos� aux autorit�s ivoiriennes par le FMI, et Laurent Gbagbo, dirigeant du Front populaire ivoirien, ancien universitaire, longtemps interdit de s�jour � Abidjan avant de participer � l��lection pr�sidentielle d�octobre 1995 marqu�e par une fraude massive et la mise en place de structures et de textes x�nophobes, excluant ainsi de la course au nom d�une ivoirit� mythique un concurrent potentiel, M. Alassane, musulman de son �tat et d�origine burkinab�. Les derniers �v�nements sanglants ont commenc� juste apr�s les attaques des forces gouvernementales contre l�opposition arm�e du Nord, r�gion musulmane, ce qui est une violation manifeste des accords de Marcoussis et d�Accra. Paris aurait donn� pr�alablement son aval pour de telles attaques avant de se raviser, provoquant une situation tragique. C�est dans ce contexte de division tribale et ethnique et d�absurdes situations que les choses se d�roulent. L�ancien pr�sident charismatique et autocrate, Houphouet Boigny, a cultiv�, en quelque sorte, ces inimiti�s pour conserver son pouvoir et les nombreuses richesses que sa famille d�tient toujours, notamment de tr�s nombreuses concessions de cacao et de caf�. On sait que ce pays est le premier fournisseur mondial de cacao et le troisi�me producteur de caf�. D�j�, quand il a �difi� ce qu�il a pompeusement appel� �Notre Dame de Yamassoukro�, qui avait co�t� la bagatelle de deux milliards de francs fran�ais, il disait �tre fier de ce �grand monument de la chr�tient� qu�il avait financ� en puisant dans ses �conomies �personnelles�. Mais comme la corruption a pignon sur plantations, les Ivoiriens n�arrivent pas encore � se retrouver dans un pays qui a connu de terribles campagnes r�pressives et des aventures somptuaires se chiffrant � des milliards de francs. En 1991, le g�n�ral Guei, alors chef d�Etat-major de l�arm�e, avait violemment r�prim� les �tudiants au campus d�Abidjan, ce qui avait provoqu� la mise en place d�une commission officielle d�enqu�te qui avait d�clar� la responsabilit� totale de Guei, mais Houphouet Boigny avait, cela allait de soi, d�fendu son prot�g� qui devait par la suite redoubler de z�le en cr�ant un corps sp�cial de r�pression, la Firpac (Force d�intervention para-commando) destin�e � corriger les �fauteurs de troubles� et les grandes manifestations de m�contentement se multipliant dans ce pays. Lors des �lections d�octobre 1995, Henri Konan B�di� avait confectionn� des textes sur mesure pour passer ce cap en mettant en �uvre un code �lectoral x�nophobe, s�articulant autour de la notion de non-ivoirit� dans un pays qui compte plus de 33% d�habitants d�origines diverses. Mais peut-on parler dans ce cadre d��trangers quand on conna�t les nombreux brassages ethniques et la fragilit� des fronti�res entre les pays limitrophes ? Dans ce climat d�l�t�re et de fraude g�n�ralis�e, B�di� r�colte 96,5% des voix, moins bien que le �p�re� Houphouet Boigny habitu� aux 100%, sans que les voix officielles fran�aises ne soient le moins du monde d�rang�es. C�est normal, la �vitrine de la France en Afrique�, comme on l�appelait, profite �norm�ment aux entreprises fran�aises. L�empire Bouygues, par exemple, contr�le l�eau, l��lectricit� et les t�l�communications. Mais cette fois-ci, de grandes manifestations avaient eu lieu faisant une vingtaine de morts et de centaines de bless�s. L�opposition avait, lors de ces �lections, suivi le mot d�ordre de boycott actif. Le g�n�ral Guei, contre toute attente, refuse de r�primer les manifestants. B�di� ne perd pas son temps, il l�expulse de l�arm�e le 7 janvier 1997. D�ailleurs, ce militaire va pousser, un peu moins de trois ann�es apr�s, l�ancien pr�sident � la porte de sortie et prend tout simplement le pouvoir. Ce sont surtout les attitudes x�nophobes d�une partie des dirigeants en place qui vont mettre s�rieusement le feu aux poudres et provoquer de grandes manifestations de m�contentement d�autant plus que le Nord musulman est trop d�laiss� et vivant une d�sastreuse situation �conomique et identitaire. Les risques de guerre civile ne sont pas d�finitivement �cart�s dans un pays qui continue encore � d�pendre de la France, dont la pr�sence est trop forte et symboliquement importante. Les choses n�ont donc pas chang� dans ce territoire marqu� par de profondes c�sures ethniques et religieuses. L�exclusion de la candidature de Ouattara, il y a quelques ann�es, a engendr� un vent de contestation dans le Nord musulman, repr�sentant plus de 40% de la population alors que les chr�tiens ne d�passent pas les 30%. Dans un pays, encore peu pourvu du sentiment national, les relents religieux et ethniques sont latents. Ce n�est donc pas �tonnant que le sentiment religieux et les manifestations ethniques font leur apparition. Alassane Ouattara, patron du RDR (Rassemblement des r�publicains), n� d�une scission au sein du parti au pouvoir depuis 1960, qu�il a rejoint tardivement, le PDCI (le Parti d�mocratique de C�te d�Ivoire, dont la cr�ation remonte � 1946), se consid�re grug� par une �lection dont personne ne conna�t les chiffres exacts, d�autant plus que tout le monde savait que les jours de Guei �taient compt�s et que le socialiste Robert Gbagbo, tr�s proche du PS fran�ais et membre de l�Internationaliste socialiste depuis 1992, �tait, de toute fa�on, assur� de la victoire avant le scrutin, puisque soutenu par le gouvernement fran�ais de l��poque. Apr�s les �lections remport�es par Gbagbo, Ouattara a continu� � exiger l�organisation de nouvelles �lections libres, appelant par la m�me occasion � l�abrogation du texte sur la non-ivoirit�. Soutenu par les Sud- Africains qui d�fendent le m�me point de vue, le candidat du RDR (Regroupement pour la R�publique), qui n�oublie pas non plus que Gbagbo a exig� sa d�mission du poste de Premier ministre en 1992, ne lui fera pas de cadeau. La tension est � son comble. Les choses ne sont pas pr�s de rentrer dans l�ordre. M�me si un accord a lieu entre les deux parties, il ne durera pas longtemps. Aujourd�hui, Gbagbo sait qu�il est tr�s fragile et que Sarkozy et l�UMP ne lui feront pas de cadeau. Dans le contexte actuel, le pr�sident fran�ais aimerait se d�barrasser ainsi de l�actuel pr�sident, connu pour son hostilit� � la droite fran�aise qu�il a toujours soup�onn�e de vouloir d�stabiliser son pouvoir. M�me les Am�ricains, qui connaissent bien Ouattara pour avoir exerc� les fonctions de directeur adjoint du FMI, seraient ravis de le voir � la t�te de l�Etat ivoirien. Cette solution n�est pas sans risques. Le syndrome d�un conflit g�n�ralis� est toujours pr�sent, risquant d�embraser �ventuellement toute la r�gion tout en provoquant d�extraordinaires sc�nes de x�nophobie, d�ailleurs latentes(4). La situation est fort complexe et le dernier �pisode de cette semaine n�arrange point les choses, envenimant encore davantage des relations franco-ivoiriennes qui n��taient d�j� pas au beau fixe. Dans les deux camps, la haine a pris le dessus. Ce qui exclut tout accord. Certes, des rencontres de fa�ade auront lieu, mais ne d�boucheront pas sur des r�sultats durables et d�finitifs. La c�sure est trop profonde. Ce qui se d�roule aujourd�hui en C�te d�Ivoire pose fortement le probl�me de la colonisation et des jeux de fronti�res encore non s�rieusement d�limit�es et des relations franco-africaines encore travers�es par les relents de la m�moire coloniale. La r�alit� ivoirienne de ces derniers jours met en lumi�re la fragilit� des exp�riences d�mocratiques en Afrique noire et r�v�le les pesanteurs ethnocentriques et les relents x�nophobes marquant le territoire politique. Quels que soient les �v�nements, les derniers changements op�r�s en Afrique sous la pression des transformations internationales, des organisations financi�res internationales (FMI et Banque mondiale) et de certains pays occidentaux, enclins aujourd�hui � exiger un certain �vernis� d�mocratique, les choses s�rieuses, trop t�tues, ne semblent pas �voluer dans le bon sens. Les crises interethniques sont souvent encourag�es dans des p�riodes de crise et de conflits par les capitales europ�ennes qui d�fendent tout simplement leurs int�r�ts, au d�triment d�une Afrique qui n�est jamais partie, contrairement � ce titre d�un ouvrage de Ren� Dumont : l�Afrique noire est mal partie, �crit vers le d�but des ann�es soixante. Les exp�riences dites d�mocratiques (pratiques �lectorales) n�ont, jusqu�� pr�sent, pas permis l��mergence d�un sentiment national pouvant mettre un terme aux solidarit�s claniques et aux tr�s forts liens ethniques. La communaut� ethnique tient le haut du pav�. Les conflits communautaires d�sagr�gent l�appareil d�Etat et rendent toute gestion d�mocratique s�rieuse peu probable. Le pr�sident fonctionne tout simplement comme un chef de clan. C�est ce qui renforce et aggrave le sentiment x�nophobe des populations africaines frapp�es par la famine, l�analphab�tisme, les guerres civiles, les �pid�mies et la mis�re. Ces populations, souvent analphab�tes, observent impuissantes, des exp�riences �d�mocratiques� peu s�rieuses, impos�es par les Europ�ens et les Am�ricains qui conditionnent l�octroi de toute aide financi�re � la mise en place d�institutions �d�mocratiques � servant directement leurs int�r�ts imm�diats. La derni�re crise entre Paris et Abidjan, d�il y a deux ann�es, n�est nullement un acte isol�, mais contribue s�rieusement � mettre en lumi�re les relations des pays africains avec l�ancienne puissance coloniale et les fragiles et pr�caires �quilibres sociologiques et politiques traversant les soci�t�s africaines trop prisonni�res d�une Histoire tragique et de configurations sociologiques particuli�res. A. C. (1) L�Union africaine, qui vient de mandater le pr�sident sud-africain, Thabo Mbeki, pour trouver une solution � la crise qui secoue actuellement la C�te d�Ivoire, se trouve dans l�impossibilit� d��tre respect�e par les parties en pr�sence. Les choses sont plus complexes. L�UA, elle-m�me prisonni�re de ses relations avec les anciennes puissances occupantes, semble respecter une sorte de modus vivendi qui fait de l�ancien colonisateur le patron r�el de ses anciennes colonies faisant partie de sa zone d�influence. Certes, des regroupements comme ceux r�unissant l�Afrique du Sud qui fonctionne comme espace de leadership, l�Alg�rie et le Nigeria pourraient plus ou moins transformer les choses au cas o� ils seraient reconnus comme t�te de p�le de l�Afrique, mais il est certain que les anciennes puissances occupantes saborderont toute possibilit� de changement en instrumentalisant des r�gimes africains comme le S�n�gal ou le Cameroun, par exemple, pour briser ce type de rencontres pouvant mettre en danger leurs int�r�ts. (2) On ne sait pas ce que ferait Mbeki qui a d�j� �t� charg� de la m�me mission dans la crise des �lections ivoiriennes d�il y a quelques ann�es. (3) La C�te d�ivoire est un pays d�une dizaine de millions d�habitants dont le tiers est constitu� d��trangers. Les affrontements religieux et ethniques sont r�guliers depuis la mort de Houphouet Boigny. Trop marqu�e du sceau de la d�pendance, la pr�sence fran�aise est toujours importante. Foccart, Jean-Christophe Mitterrand ou Coty faisaient souvent le d�placement, donnant des �conseils� et orientant les choses. Plus de soixante mille Fran�ais r�sident toujours dans ce pays. Il faut ajouter � cela le millier de soldats et de conseillers militaires install�s depuis 1960, ann�e de l��ind�pendance � et du d�but du r�gne sans partage de celui qui se faisait appeler le �p�re de la nation�, F�lix Houphouet Boigny, tout en n�omettant pas de collecter, pour son profit personnel, des sommes faramineuses, sans qu�aucune capitale occidentale s�en inqui�te. Les affaires sont les affaires. Il faut ajouter d�autres contingents de soldats envoy�s apr�s la derni�re crise pour �prot�ger les ressortissants fran�ais�. Les choses n�ont pas chang� depuis Foccart. (4) Encore une fois, la C�te d�Ivoire, o� cohabitent des Syro-libanais (environ 100 000 personnes), des Burkinab�s, des Guin�ens, des Togolais, des Ghan�ens et des B�ninois et les autochtones, risque l�implosion, la fracture entre le Nord, qui s�est caract�ris� lors de la derni�re �lection pr�sidentielle par une tr�s forte abstention, et le Sud, essentiellement peupl� de chr�tiens, semble s�aggraver et s��largir progressivement. Est-il possible pour Gbagbo de gouverner dans ce contexte, soutenu par une partie du conseil constitutionnel ? La commission �lectorale a pris fait et cause pour Ouattara, qui aurait obtenu 54% des voix.