[email protected] Ce qu'il y a de positif avec les pannes d'internet, et ne croyez pas que j'en redemande, c'est qu'elles vous permettent de faire autre. Si tant est que vous soyez parvenus, bien s�r, � surmonter votre frustration et � venir � bout de la pile de journaux papier que vous �tes oblig�s de parcourir. Cette transhumance forc�e qui n'a rien � voir avec les migrations libyennes, femmes et enfants g�t�s r�unis, vers Djanet, vous donne n�cessairement l'opportunit� de regarder ailleurs. Ce que j'ai fait, comme vous pouvez le constater : d'abord, cette gu�guerre d�clench�e sur Facebook contre la cha�ne qatarie Al-Jazeera. Merci, chers confr�res, de bien vouloir ouvrir les yeux sur le r�le n�faste de cette t�l�, aussi ordinaire qu'aurait pu l'�tre Radio Goebbels. J'ai toujours dit tout le mal que je pensais de cette cha�ne et de son jeu de �la barbichette� anim� par le tandem ma�tre-�l�ve, form� par Karadhaoui et Bengana. Je suis donc � l'aise pour m'�tonner, � loisir, de cette soudaine vague d'hostilit� contre la cha�ne du Qatar et contre son �mir. Je peux comprendre qu'on en veuille � Karadhaoui, pour cause de rupture unilat�rale de liens du mariage sacr�, mais ce d�ploiement ne me dit rien qui vaille. Il ressemble trop � ces campagnes o� l'on s'�gosille � vilipender l'ennemi de l'instant, qui peut avoir �t� l'ami d'hier, et qui sera peut-�tre le fr�re de demain, sait-on jamais. Je sais aussi ce que l'on doit � l'h�te, surtout quand il ne fait que passer comme tous les autres, mais je doute que ce soit la meilleure fa�on de rendre hommage � A�cha et � sa fille, Safia, dont on est toujours sans nouvelles du p�re. Cette lev�e en masse, cette fureur iconoclaste et ces tirs � vue ressemblent trop � une riposte orchestr�e. Que Bouteflika ait aim� Karadhaoui et le Qatar et qu'il ne les aime plus, c'est son affaire, mais qu'il aime encore assez Kadhafi pour faire des gestes �humanitaires � � l'�gard de sa suite, je crois que nous avons notre mot � dire. Quant aux appels � la d�mission, lanc�s par des internautes, heureux connect�s(1), aux journalistes alg�riens employ�s par Al- Jazeera, ils suent la mauvaise foi. Si ces confr�res migrent vers Al-Jazeera, c'est qu'on leur offre de meilleures conditions de salaire, de travail et de vie. Que diable ! On ne va pas leur reprocher de vouloir vivre mieux alors que d'autres affichent sans vergogne leur soudaine richesse, sous le label �Fadhl Rabbi�. Chers confr�res qui �tes � Al-Jazeera, restez-y m�me si cela vous g�ne aux entournures, ne c�dez pas � cette fi�vre nationaliste, jamais spontan�e et toujours �quivoque ! Ne d�missionnez que si vous trouvez mieux, et n'esp�rez pas que ce soit en Alg�rie, o� l'ouverture sera probablement plus encadr�e et plus contr�l�e que l� o� vous �tes, tout en restant tr�s hypoth�tique. Quand Ouyahia vous parle d'ouverture, en agitant la main droite, surveillez bien sa main gauche, celle qui tient le cadenas. Ceux qui nous mentent � longueur de jour et d'ann�e connaissent, toutefois, nos points faibles principaux : une religiosit� f�brile et aveugle connect�e, si je puis dire, � un nationalisme ombrageux et souvent frapp� de c�cit�. C'est pour cela qu'ils nous donnent � voir et � lire � profusion des discours et des �uvres frapp�s de ce sceau ind�l�bile(2). On sait, pour l'avoir lu et entendu, que les productions cin�matographiques et t�l�visuelles sont soumises � un �cahier des charges� draconien. Ainsi, le r�alisateur est-il tenu d'�viter de montrer et m�me de sugg�rer que le terrorisme existe encore, m�me dans sa version r�siduelle officielle. On ne manque pas aussi de vous laisser entendre qu'il est de bon ton que des policiers fassent la pri�re du �Asr� dans la mosqu�e du village o� ils enqu�tent. Sous la plume verte d'un apprenti sc�nariste, soucieux de nouvelles �v�rit�s � historiques, n'avons-nous pas vu un h�ros de la r�volution en imam conduisant la pri�re ? Comme le hidjab fait d�sormais partie des �constantes nationales�, il est plus que recommand� de lui faire plus de place � l'�cran. Toutes les vedettes de la t�l�vision et du cin�ma qui se sont voil�es vous le diront : elles ont men� une lutte acharn�e, et m�me au corps � corps, avec le diable, et elles l'ont finalement terrass�, selon l'expression consacr�e. Dans ce domaine, nous passons notre temps � critiquer les Egyptiens tout en copiant tous leurs travers et m�me en reprenant les expressions de leur parler populaire. Les Egyptiens qui nous ont offert ces derniers jours, sur une de leurs nombreuses cha�nes, la rediffusion de Nida al-kiraouane (L'appel du courlis)(3) en rajoutent encore. Aujourd'hui, lorsqu'un acteur prononce la formule consacr�e en guise d'aveu d'impuissance, �La Illah Illa Allah�, celui qui lui donne la r�plique doit ajouter : �Mohamed Rassoul Allah�. M�me si cela est hors sujet. Les Egyptiens ont un autre p�ch� mignon, et il est incurable : celui de croire qu'ils sont les meilleurs en tout. C'est un peu vrai, mais il y a des jours o� ils exag�rent : c'est le cas lorsque leurs journaux annoncent en grosses manchettes qu'un de leurs chercheurs a d�couvert un rem�de miraculeux contre le cancer. Puis, au fil des jours, on oublie le �chercheur � et sa d�couverte, attir� par d'autres informations � sensation ou d'autres �v�nements plus dramatiques. Cependant que la cha�ne publique Nile TV pousse le nationalisme jusqu'� la d�rision en offrant � notre admiration le �combat d'un Egyptien contre un lion�. On voit, en effet, dans une cage un �dompteur� �gyptien arm� d'un trident et d'un filet, essayant de sortir un lion de son apathie. L'animal d�charn� fait peine � voir tant il semble las et r�sign� � son sort. A force de taquiner le vieux lion, le �dompteur� r�ussit � lui soutirer un miaulement, remplac� vraisemblablement par un rugissement plus convaincant au montage. Puis, le h�ros quitte la cage laissant l'ombre du f�lin retourner � sa sieste. La foule autour de la cage pousse des cris de joie et lance des �Allah Akbar� d'all�gresse. Que voulez-vous ? On s'offre les victoires qu'on peut. Et � ce niveau, la r�volution du 25 janvier n'a rien chang�. A moins que l�on consid�re comme une victoire militaire le fait de hisser le drapeau �gyptien sur le m�t de l�ambassade d�Isra�l au Caire. A. H. (1) J'ai appr�ci� ce mot d�licieux du ministre fran�ais de l'Int�rieur qui a affirm� que les services ne mettaient pas les journalistes sur �coutes, mais proc�daient � des �rep�rages �. Si nos services concern�s avaient la bont� de me consid�rer comme un dangereux opposant et d'effectuer des �rep�rages� sur ma ligne, je suis s�r que j'aurais moins de pannes d'internet. (2) Ce qui me rappelle la fameuse plateforme des �Archs�, scell�e de fa�on d�finitive en son tombeau, avec des animateurs aussi muets aujourd'hui qu'ils ont �t� diserts � la belle �poque. (3) L'un des plus beaux r�les, sinon le plus beau, de Faten Hammama. R�alis� en 1959 par Henry Barakat, d'apr�s l'�uvre de Taha Hussein, ce film est consid�r� comme l'un des tout premiers chefs-d'�uvre du cin�ma �gyptien.