Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Ce dimanche, 24 février, une bonne partie de l'Algérie officielle se donnera rendez-vous à In Aménas à l'invitation du syndicat unique. L'opportunité est sans doute bonne pour faire de la communication, sauf pour l'hôte de la célébration. En effet, la solennité de l'anniversaire de l'UGTA n'est-elle pas devenue pour celle-ci un rendez- vous annuel difficile à assumer ? Le malaise chronique qui la ronge depuis quelques années n'a-t-il pas fini par la marginaliser de la scène sociale ? Réduits aux laïus compassés, parce que vides de sens, ses animateurs ne se sont-ils pas retrouvés dans le rôle de comparses compromis qui n'ont plus droit au chapitre de la contestation, laquelle est, comme on le sait, la vocation traditionnelle du syndicalisme. Son instrumentalisation par le pouvoir politique, l'ayant progressivement discréditée auprès du monde du travail, elle ne puise désormais le peu de légitimité qui lui reste qu'à travers les sinécures du partenariat que lui octroie ponctuellement l'exécutif chaque fois qu'il a besoin de faire passer des lois antisociales. Un seul exemple suffit à souligner cette cruelle dépendance vis-à- vis du régime. Elle date précisément de 2005. C'était justement à un semblable 24 février de l'année en question que s'opéra la privatisation historique de l'exploitation pétrolière dont Chakib Khelil fut le maître d'œuvre. Sous les chaleureux applaudissements de la claque de la maison de la place du «1er Mai», le même Sidi Saïd fit l'éloge de la loi qu'il qualifia sans sourciller, «de nouvel élan pour le domaine stratégique qui ne remet guère en question la souveraineté nationale». Terrible plaidoyer pour un texte fortement contesté à cette époque par les mêmes travailleurs de ce secteur et dont on mesure de nos jours les dégâts qu'il a occasionnés collatéralement. A l'ombre des ruines de Tiguentourine, comment l'inamovible SG peut-il se dédouaner en ce 24 février 2013 ? Et quels genres de propos est-il en mesure de tenir pour exciper de sa bonne foi ? De plus, comment l'UGTA en général peut-elle se dédouaner sur chaque dossiers alors qu'elle a, en permanence, fait la courte échelle aux propositions du gouvernement lors des tripartites. Sur de nombreux sujets, elle n'a cessé d'ailleurs d'accumuler les déroutes. Convertis prétendument au pragmatisme de la seule «concertation–négociation», ses dirigeants n'ont-ils pas fait de ce concept un principe indépassable pour se justifier en mettant toujours en avant l'argument de la nouvelle réalité économique à laquelle ils reprocheraient de réduire considérablement les marges de l'action syndicale. Une curieuse vertu qui leur sert de feuille de vigne pour habiller la pseudo-pondération qui leur interdit d'engager sur le front social les véritables batailles. Car la multitude d'ex-travailleurs en rade qui n'ont plus d'emploi ou, au mieux, sont dans la précarité témoigne du contraire. Or, que reste-t-il dorénavant à cette «centrale» afin d'éviter le pire et se repositionner efficacement dans l'espace social, sinon d'ouvrir un grand débat national sur le devenir du mouvement syndical et de la pluralité de ses expressions ? Bien que le temps lui soit compté et que les risques de son démantèlement soient réels, l'UGTA réfute ce compromis historique avec les courants autonomes qui pourtant occupent actuellement le haut du pavé de la contestation. Un entêtement exigé et alimenté d'ailleurs par le pouvoir ; et cela pour des raisons évidentes qui l'arrangent, mais qui, à l'arrivée, affaiblit même les capacités de l'UGTA de tenir le rôle de pompier sur le front social. De part et d'autre, c'est-à-dire aussi chez l'UGTA que dans les cabinets du pouvoir, l'on est en train de faire des appréciations erronées quant à la validité de ce modèle ancien basé sur l'unicité syndicale. A court terme, le syndicalisme ira en se dépréciant dans le monde du travail et les pouvoirs se retrouveront dans de périlleuses situations en l'absence de baromètres fiables de l'état de la société et notamment des couches sociales privées de médiation légitime. D'ailleurs, ce cas de figure ne s'est-il pas posé dans de nombreux secteurs où les grèves, initiées en dehors et contre l'avis de l'UGTA, ne purent être dénouées qu'au moment où la puissance publique fut contrainte de se mettre autour d'une table avec les «autonomes» dont elle dénonçait l'illégalité de leur existence le jour d'avant. L'autre fait significatif majeur est celui de la «tripartite », à elle seule celle-ci est le lieu géométrique de la négociation et où l'UGTA est moins un partenaire à part entière comme l'est le patronat à plusieurs représentants, mais pitoyablement un «trois quarts» d'alibi dès l'instant où elle n'est qu'un «relais» en panne totale. Le rétrécissement de son influence est tel qu'il a été abondamment illustré au quotidien à travers l'activité gouvernementale. Ainsi lorsque quelques ministres parmi les plus démagogues se vantaient d'avoir créé des milliers d'emplois mais précaires, l'UGTA faisait le dos rond et restait sans réaction. De même lorsque des options plus lourdes imposaient des dégraissages massifs dans le but d'aller vers la privatisation en 2001 (le cas de Mittal et la SNS Annaba), le syndicat n'avait pas été consulté et notamment s'accommoda de sa marginalisation. Réduite à un «syndic de la faillite», elle est parvenue en moins de dix ans, à perdre 80% de son taux de syndicalisation. Cannibalisée, à juste titre, par les courants autonomes et dans le même temps survivant grâce à la perfusion financière du pouvoir, l'UGTA est désormais une institution virtuelle. Et même si elle doit célébrer sa naissance à proximité des torchères du pétrole, elle n'existe que par ceux qui l'ont caporalisée au tournant de l'an 2000.