Par Ahmed Halli [email protected] Depuis quelques jours, et sans doute à la faveur du Ramadhan, des vidéos à contenu religieux circulent sur les réseaux sociaux, propagées aux fins de prosélytisme, ou de contre-propagande. Certains de ces documents peuvent être pris au sérieux, surtout par ceux qui sont disposés à croire, mais d'autres sont franchement hilarants, pour peu qu'on ait un gramme de raison. Comme cette matière est le bien le plus mal partagé, les histoires les plus invraisemblables, depuis que Jésus-Aïssa a marché sur l'eau, ont le plus de chances d'être crues. Il s'agit précisément d'eau dans cette histoire, en forme de sermon, du prédicateur ou prêcheur cathodique saoudien Mohamed Al-Arifi, qui sévit sur toutes les chaînes satellitaires arabes. Il est membre de la Ligue mondiale des pseudo-savants musulmans, fondée et animée par le cheikh égypto-qatari Karadhaoui, suborneur de jeunes filles en mal d'extases spirituelles. Al-Arifi est une célébrité, non seulement en Arabie Saoudite, mais aussi dans les mosquées de nos quartiers où le message d'un Islam maghrébin, ouvert et tolérant, est depuis longtemps lettre morte. Le cheikh Al-Arifi, qui commercialise entre autres des prêches sur la fin du monde, n'a pas le droit de faire de la politique depuis qu'il s'est hasardé à soutenir les Frères musulmans d'Egypte. Il s'est donc rabattu sur le thème des miracles scientifiques du Coran, sujet de prédilection de tous les charlatans islamistes depuis que le «prophète» français Maurice Bucaille en a fait la révélation. Mohamed Al-Arifi nous parle d'un congrès scientifique, de physiciens précisément, qui aurait eu lieu au Canada, terre des «accommodements raisonnables», autour de la structure de l'eau. Il s'agissait, comme nous le conte le théologien, de vérifier la validité de la théorie selon laquelle l'eau prêterait une oreille attentive, si j'ose dire, au discours humain. Selon que vous prononcez des mots doux ou des paroles méchantes dans un verre d'eau, le contenu s'en trouvera bonifié ou dénaturé. Or, donc, nos savants se piquent au jeu, et chacun d'eux tente sa propre expérience en noyant le verre d'eau sous un flot de paroles agréables et apaisantes. L'examen au microscope des eaux ainsi traitées a montré que le contenu de l'un des verres offrait une structure moléculaire inédite et surclassait en qualité les autres liquides soumis à la même expérience. Le savant concerné avoua alors qu'il n'avait pas prononcé des paroles flatteuses pour amadouer l'eau, mais qu'il avait simplement eu recours au Coran et avait récité la Fatiha. Comme il avait affaire, comme toujours en pareils cas, à un peuple d'incrédules, il proposa de refaire l'expérience. On se remit à l'ouvrage, et l'astucieux cheikh Al-Arifi de préciser que le savant musulman demanda d'abord à faire ses ablutions avant de réciter à nouveau la Fatiha dans le verre d'eau. On recommença donc l'expérience, et les nouvelles analyses révélèrent les mêmes résultats, à savoir que dans le verre du musulman il y avait une eau d'une meilleure qualité encore. Et ce miracle est quasiment la reproduction, à des millénaires (?) et des milliers de kilomètres de distance, de la découverte de l'eau du puits de Zemzem par Hadjer, alors qu'elle errait, avec son fils, dans le désert. Sur cette vidéo, on ne voit pas le public, mais on peut supposer que les ouailles de Mohamed Al-Arifi ont sans doute entonné des «alléluias» d'allégresse et même fondu en larmes, selon la tradition. Aucun de ces gogos crédules n'a eu l'idée de demander au cheikh des détails sur ce soi-disant congrès ou sur l'identité du «scientifique musulman» qui a eu l'idée d'utiliser la Fatiha en guise d'aubade à l'eau. Comment peut-on croire que dans cet auditoire, il n'y avait pas un petit malin qui a tout de suite deviné tous les bénéfices que l'on pouvait tirer de cette prodigieuse découverte ? Dire que l'Arabie Saoudite dépense depuis des décennies des milliards de dollars pour adoucir l'eau de mer, importer des icebergs et faire pousser du blé, au pris des épis d'or ! Comment peut-on formater des individus et des peuples au point de leur faire gober n'importe quel mensonge et leur faire admettre toutes les sornettes, pourvu qu'elles portent l'estampille wahhabite ? Si Jésus-Aïssa revenait parmi nous et accostait au port d'Alger, en marchant sur l'eau, comme il le fit jadis sur le lac de Tibériade, savez-vous comment réagiraient certains de nos journaux ? Ils n'iraient pas interviewer le Messie, lui poser la question de savoir pourquoi il avait tant tardé à revenir, ce qu'il pensait de l'Algérie et comment il faisait pour marcher sur l'eau ? Non ! Ils iraient voir Mohamed Al-Arifi, pour lui demander si c'était normal qu'un prophète choisisse l'Algérie comme port d'attache et y revienne en marchant sur l'eau. Sa réponse serait inévitablement celle-ci : «Qu'est-ce que ce prophète, juif de surcroît, qui ne sait même pas nager ?» Encore deux exemples puisés dans l'actualité de ces derniers jours : Al-Azhar, que le Président égyptien Sissi a chargé de réformer le discours religieux pour le débarrasser des références à la violence, vient d'opérer une volte-face en affirmant que le voile est une obligation en Islam. Plus près de nous, le bruit a couru récemment au Maroc que le gouvernement envisageait de changer l'intitulé des cours d'éducation islamique qui deviendront «Education religieuse». Devant la levée de boucliers et la mobilisation des enseignants de cette matière, le ministère marocain de l'Education a prudemment battu en retraite. Dès lors, il n'est plus question de reparler du projet de débarrasser les manuels scolaires de certains textes religieux faisant explicitement référence au djihad armé et à la violence. Tempête dans un verre d'eau, dirait Cheikh Al-Arifi.