Youcef Merahi [email protected] J'ai lu, sur un quotidien national, cette surprenante déclaration de notre ministre du Commerce, par intérim, une déclaration qui m'a tétanisé : «Le gouvernement compte sévir pendant le mois sacré.» A la Une, s'il vous plaît. Sévir contre qui ? Pourquoi ? Qui mérite la punition ? J'ai dû me rabattre à la page 6 dudit quotidien, pour avoir le cœur net. Voilà ce que je lis : «Des mesures répressives rigoureuses seront prises contre les spéculateurs pendant le Ramadhan.» Je reprends fidèlement la citation de notre ministre. Il faut bien analyser les adjectifs contenus dans cette promesse ministérielle. Répression et rigueur. Les spéculateurs du coin n'ont qu'à bien se tenir. Personnellement, je leur conseille d'arrêter de spéculer le temps du mois sacré et de reprendre leur spéculation dès le lendemain. Et si les spéculateurs pouvaient nous offrir les deux jours de l'Aïd comme rabiot, ça serait profitable pour les ménages. En attendant, les spéculateurs (la répétition est volontaire) peuvent s'en donner à cœur joie. Ils peuvent spéculer autant qu'ils souhaitent. A foison. A gogo. A tire-larigot. Mais, au premier jour du Ramadhan, faites gaffe ; le gouvernement vous attend au tournant, il sera rigoureusement répressif. Ayez un chouia de mansuétude, un peu de rahma ! Vous spéculez sur le dos de vos frères. Onze mois ne vous suffisent pas ? Que vous faut-il de plus ? Le treizième mois. Des heures supplémentaires. Laissez-nous vivre un peu durant ce mois de jeûne. Qu'on aille à nos prières du Tarawih le ventre plein. Bien calé. Payer l'ail à mille six cents dinars ? C'est gravement grave ! Un peu d'air, s'il vous plaît, messieurs les spéculateurs. Laissez-nous jeûner en bons musulmans que nous sommes. Puis, si vous ne faites pas gaffe, notre gouvernement est là pour que sa colère retombe sur vos spéculations comme la foudre. Wallah, vous n'échapperez pas à sa «répression rigoureuse». Ce n'est pas moi qui le dis, tenez-le pour dit. J'ai foi en notre gouvernement. C'est tellement rassurant de savoir que, pendant trente jours, je ne me ferai pas plumer par des spéculateurs sans vergogne. C'est tellement rassurant de savoir que les contrevenants à la loi, il y en a tellement, seront châtiés. C'est tellement rassurant de savoir que notre gouvernement veille sur notre bien-être. Que je saute de joie ! Que j'applaudis des deux mains. Que je hurle «sus aux spéculateurs de tout bord». Que j'exulte. Rassurez-vous, gens du peuple, notre jeûne sera un mois de félicité. D'aucuns s'interrogeront sur l'opportunité du titre de ma chronique. J'en conviens, fort bien. Ce n'est pas pour moquer le receveur du trolley d'Alger qui osa cette pirouette langagière. Est-ce un non-sens ? Un contre-sens ? Un pléonasme à l'envers ? Un oxymore osé ? Non, ce n'est pas ça. Je me dis que nous sommes en plein mouvement contradictoire. On avance à reculons ; j'espère cette expression juste. Cette impression d'aller vers l'avant alors que nous reculons me paraît justifiée dans notre pays. Notre receveur avait, dès lors, raison ; nous avancions dans le bus, mais à reculons. Nous avancions donc vers l'arrière. Juste pour laisser la place aux autres, dans les moments de rush. S'il faut attendre Sidna Ramadhan pour sévir contre les spéculateurs, c'est une avancée à reculons ; car notre gouvernement n'applique pas le «coefficient de réparation historique». Il faut décompter les années, ou les mois de spéculation impunis. S'il faut avancer vers l'avant, ce pléonasme me plaît, il aurait fallu sévir au moment opportun, c'est-à-dire au moment même de la spéculation, au temps «t» pour les spéculateurs. C'est comme si on disait au voleur de voler, sauf lors des grandes vacances. Ou au chauffard de «chauffarder», sauf au moment des pluies. On peut aller comme ça, à la démesure de notre imagination. Je n'arrive pas à comprendre cette logique ministérielle. Mais je comprends l'injonction du receveur de trolley. Il y a des textes législatifs qui régissent le commerce, dans son ensemble ; par conséquent, il y a lieu de les appliquer à tout moment, c'est-à-dire au moment de l'infraction. Si pour autant la spéculation est une infraction. A mon niveau, je considère qu'elle l'est. Comme tout le monde spécule sur tout, il y a fort à parier que le challenge est énorme. Et ces cambistes du coin qui spéculent, au vu et au su de tout le monde, seront-ils touchés par cette répression ? Il y a tellement de choses dans ce panier qu'il m'est difficile de les inclure dans cet espace réduit. Il m'arrive de penser que l'oxygène que nous respirons provient d'une spéculation humaine. Tout est possible, vous savez. Puis, comme d'habitude, je reste sceptique, parce que j'ai l'habitude de voir l'action se faire par à-coups. Jamais dans la durée. Toujours en pointillés. Comme si le ressort de la bureaucratie a la fâcheuse habitude de se détendre par paresse. Pour ce que je dis, j'ai l'impression de spéculer. Mais j'ai le temps de la spéculation. Puisque j'ai jusqu'au mois de jeûne pour spéculer. De là, je me conformerai aux usages du marché, en attendant que la répression passe. Alors, spéculons, spéculons, il en restera bien quelque chose. A la prochaine spéculation, chers lecteurs !