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C'est ma vie
Les oranges amères
Publié dans Le Soir d'Algérie le 11 - 11 - 2017

Précédé par deux gardes armés de fusils de chasse, le colon, un homme un peu bedonnant mais alerte, habillé comme pour une expédition en Afrique noire ou un safari, allait d'un verger à un autre en pressant le pas.
Les arbres au feuillage dru et vert laissaient pendre des branches généreusement chargées. L'air était empli de senteurs fraîches, fugaces, indéfinissables. Les effluves odoriférants de citrons, d'oranges, de pamplemousses et de mandarines, mélangés à celui de l'herbe fraîche et de la terre grasse, semblaient composer un cocktail d'arômes propre à la Mitidja.
En cette fin de saison automnale les fruits avaient eu tout le temps pour mûrir lentement sous le soleil de l'été et le doux climat méditerranéen.
Ils regorgeaient d'eau et leur peau bien colorée était luisante. Par moments les reflets lumineux du soleil les faisaient scintiller de mille feux ; des colliers de corail sur la chevelure émeraude des branches. Maintenant que les fruits étaient arrivés à maturité, la cueillette n'était plus qu'une question de jours.
Sur l'allée centrale de l'immense orangeraie qui coupait tous les vergers, deux automobiles, une Peugeot 403 et une traction avant Citroën, suivaient lentement. L'orangeraie se subdivisait en plusieurs parcelles dont la superficie avoisinait l'hectare et étaient séparées entre elles par de petites allées carrossables. Il arrive que plusieurs parcelles constituent un secteur où était plantée généralement la même variété d'oranges. On y trouvait aussi bien les fruits à chair thomson de la Mitidja au goût incomparable, la washington navel toute parfumée et à la peau bien colorée, la fameuse portugaise bien appréciée pour son goût sucré, ainsi que les oranges à jus telles que les sanguines et autres maltaises. Au gré du hasard, le colon prenait deux à trois oranges de l'arbre le plus proche et les coupait en deux d'un rapide coup de couteau, avant de les donner à ses accompagnateurs. Ces derniers goûtaient les oranges en connaisseurs puis se parlaient entre eux, prenaient des notes en indiquant le numéro de la parcelle d'où avaient été cueillis les fruits. Parfois, après avoir coupé une orange, le colon la pressait fortement pour en extraire le jus. Tel un liquide sous pression, le jus giclait instantanément du fruit, sous les hochements de satisfaction des hommes.
Maintenant que les fruits étaient bien matures et que leur cueillette semblait imminente, les gardiens, de rustres Marocains ramenés de leur lointain Rif, étaient aux aguets. Armés de fusils de chasse, ils sillonnaient de jour comme de nuit tous les vergers et s'interpellaient fréquemment pour alerter d'un danger ou d'une intrusion d'individus étrangers au domaine. Parfois, ils n'hésitaient pas à faire usage de leurs armes en tirant des coups de feu en l'air pour intimider et éloigner les éventuels maraudeurs. S'ils n'étaient pas pris au collet alors qu'ils s'agrippaient encore aux arbres, les jeunes chapardeurs, généralement des gosses venus des haouchs et des hameaux environnants, qui prenaient leurs jambes à leur cou dès la vue d'un garde, étaient bons pour une ou deux décharges de salpêtre dans les jambes ou les fesses. Cela ne les tuait pas, mais la douleur était si atroce sur le coup, qu'ils se juraient de ne plus se laisser tenter par ces «maudites» oranges, quitte à se contenter des premières herbes ou racines venues pour remplir leur estomac et calmer leur faim.
Puis telle une traînée de poudre, la nouvelle du début de la cueillette des oranges s'était très vite répandue dans tous les petits villages de la région. Dans toutes les maisons on se préparait.
Une atmosphère fébrile, propre aux grands événements, semblait s'être installée. Depuis quelques jours déjà, les pelures d'oranges et de mandarines qui jonchaient de plus en plus abondamment les sentiers et les chemins de terre étaient des prémices qui ne trompaient pas sur l'imminence de la récolte. La campagne de cueillette des oranges, comme celle des moissons ou des vendanges, n'allait pas excéder plus d'une quarantaine de jours, voire deux mois au maximum pour les grands domaines. Il fallait pour tous ces gens-là, ces sous-prolétaires corvéables à merci et disponibles à tout moment, en tirer parti.
On sortait les couffins et les vieux sacs en jute qu'on rapiéçait. On préparait les jarres et les grandes marmites pour les confitures et les marmelades qui devaient suffire et tenir jusqu'à la saison prochaine. Les plus chanceux parmi les hommes étaient ceux qui pouvaient se faire embaucher comme cueilleurs d'agrumes le temps de la récolte.
Même pour un salaire de misère, jeunes et moins jeunes n'avaient pas le choix. Ils étaient prêts à accepter de travailler juste pour une bouchée de pain afin d'éviter de rejoindre les autres, tous les autres, cette cohorte d'hommes, de femmes et d'enfants, qui allaient des jours durant sillonner les immenses vergers dans leurs moindres recoins et vérifier chaque arbre et chaque branche, pour dénicher et cueillir les oranges qui avaient échappé aux ouvriers.
Comme dans un paysage de Goya aux détails obscurcis, les ramasseurs d'oranges, une foule de miséreux, confuse, hommes, femmes et enfants mêlés, étaient, dès les premières lueurs du jour, aux abords des premiers vergers. Certains tenaient sous le bras de vieux cageots en bois renforcés avec de la ficelle ou du fil de fer, d'autres avaient sur le dos en guise de hotte une grosse corbeille en roseaux suspendue aux épaules par des cordes grossières, alors que d'autres encore, la majorité, avaient à la main de grands couffins ou des sacs de toutes sortes. Certains enfants dont c'était la première ou la deuxième expérience, filles et garçons, étaient très excités et ne tenaient pas en place. En attendant le signal avant de s'élancer, ils piaffaient d'impatience, sautillaient sur place pour essayer de voir un des leurs dans les vergers tout proches où il avait réussi à se faire embaucher.
Très nombreux, les ouvriers s'activaient dans tous les sens. Certains, un sécateur à la main, juchés sur des escabeaux ou agrippés à des branches, arrachaient les fruits. D'autres triaient les oranges, remplissaient des caisses. D'autres enfin, chargeaient les caisses sur des remorques.
Régulièrement, de longues remorques lourdement chargées de caisses d'oranges, tirées par une paire de grands chevaux de trait ou par un tracteur, sortaient des vergers et prenaient la direction des dépendances de la ferme. D'autres remorques, surchargées de caisses vides et de cageots en bois, de petites échelles et de longues perches, avançaient lentement dans les allées avant de s'engager profondément dans les vergers. La cueillette des oranges se faisant par secteur, il fallait attendre que les ouvriers aient entièrement terminé leur travail sur l'un et déplacé tous le matériel sur un autre, avant que les gardiens n'autorisent les gens à pénétrer dans les premiers vergers. Après des heures d'attente, la foule se lança en une seule vague à l'assaut de l'orangeraie en laissant éclater une immense et subite clameur faite de cris et d'appels confus.
Par familles, clans ou groupes, certains s'appropriaient quelques arbres et commençaient leur minutieux travail de récolte. Alors que les plus grands grimpaient déjà aux arbres, les plus petits sautillaient pour attraper les branches.
D'autres s'enfonçaient profondément dans les vergers en progressant lentement. L'œil vif, aucun fruit délaissé par les ouvriers ne leur échappait. Pendant que les plus grands repéraient les oranges encore accrochées aux branches, les plus petits fouillaient de leurs pieds nus le sol pour dénicher celles enfouies dans l'herbe.
Après de longues heures de labeur et avec cette persévérance qui sied aux glaneurs, les couffins, les cageots, les sacs et les corbeilles avaient fini par se remplir d'oranges. Ce n'était pas bien sûr des fruits de premier choix, mais elles faisaient l'affaire des petites gens et les enfants, filles comme garçons, étaient très fiers de leur récolte. Sur le chemin du retour, ils ahanaient quelque peu sous le poids de leur couffin ou de leur sac bien rempli, un peu lourd pour leurs frêles épaules, mais forts de leur expérience du jour en se promettant de faire encore mieux la prochaine fois.


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