Il est vraiment incroyable notre voisin libyen ! Il ne craint pas d�accumuler les contradictions mais dans sa guerre contre les moulins � vent, il dit parfois des v�rit�s qu�aucun historien n�oserait contester. Bref ! Kadhafi est un Arabe, venu du Y�men avant ou apr�s et, en tant que tel, il accommode l�histoire � sa guise. Ainsi, apr�s avoir �t� anthropologue et ethnologue, le leader libyen a rev�tu la tenue de l�historien pour exprimer sa vision politique. Comme � son habitude, il s�est adress� � ses interlocuteurs privil�gi�s, les tribus touaregs, r�unies, pour l�occasion, � Agad�s (Niger). Et ce n�est pas par hasard qu�il a choisi le moment de la c�l�bration du Mouloud pour livrer le fond encore accessible de sa pens�e, comme nous allons le voir. Kadhafi, qui r�ve de rassembler les tribus sahariennes et subsahariennes sous sa houlette, s�est d�fendu de vouloir les unifier sous un m�me drapeau. Il ne veut pas toucher aux fronti�res actuelles des Etats mais les rendre perm�ables, en quelque sorte, et accessible � tout le monde. Ceci dans l�attente du nouvel Etat fatimide qu�il se propose de construire en Afrique du Nord et dans les r�gions subsahariennes. Avant d�entrer dans le vif du sujet et de raconter l�Histoire, Kadhafi livre, comme � l�accoutum�, une charge violente contre les dirigeants arabes. Ces derniers, coupables surtout de s��tre r�unis au sommet sans lui, sont responsables de la d�confiture actuelle du monde arabe et musulman (on ne peut pas �tre arabe sans �tre musulman, bien s�r). Ce sont des jouisseurs, des ivrognes, dit-il, et ils passent leur temps � se quereller. D�signant implicitement les Saoudiens, qu�il assimile � la dynastie abasside d�cadente, Kadhafi les accuse d�avoir occult� tous les symboles et les rep�res de l�Islam. �O� est le tombeau du Proph�te ? interroge-t-il. On m�a permis d�acc�der � la mosqu�e de M�dine mais je n�y ai vu aucune trace. Je d�fie quiconque de me montrer la tombe du Proph�te.� Sur cette lanc�e, le leader libyen affirme que les deux seuls sanctuaires de l�Islam sont La Mecque et El-Qods. Il pourfend aussi le syst�me du califat qu�il consid�re comme une erreur : �Le Proph�te ne peut avoir de successeur (khalife). Ils ont d�sign� un khalife pour r�gler des querelles de pouvoir. � �Ils ont fait dispara�tre aussi tous les tombeaux des proches et des compagnons du Proph�te sous pr�texte de se pr�munir contre l�idol�trie. Si nous sommes capables de retourner au paganisme, c�est que nous ne sommes pas de vrais musulmans, ajoute Kadhafi. En r�alit�, ils ont agi ainsi pour p�renniser leur pouvoir. Certaines factions vont m�me jusqu�� nous interdire de c�l�brer le �Mawlid�. Ils ont aussi cr�� de toutes pi�ces l�antagonisme entre sunnites et chiites, note-t-il avant d�ass�ner son argument-massue : �Nous sommes tous des chiites en Afrique du Nord. C�est chez nous qu�est n�e la premi�re dynastie chiite, celle des Fatimides. Le chiisme, ce n�est pas en Iran mais en Afrique du Nord. Nous, en Afrique du Nord, nous sommes arabes et la r�gion est arabe � cent pour cent. Les Arabes sont donc chiites. Allez n�importe o� en Afrique du Nord ! Vous verrez qu�on y c�l�bre l�Achoura. Les gens appellent leurs enfants Ali, Fatima, Hassan, Hocine ou Khadidja mais vous ne trouverez jamais un Mouawiya.� Et Kadhafi d�expliquer que le chiisme, c�est l�attachement et la fid�lit� aux gens de la �Maison du Proph�te�. Organisez ici un sondage et demandez aux gens s�ils pr�f�rent Ali ou Mouawiya et ils vous r�pondront tous : �Ali�. S�il faut entrer dans le d�bat sur la l�gitimit� et le droit, les membres de la �Maison du Proph�te� ont plus de droits � guider la nation que tous les dirigeants actuels. En somme, Kadhafi est un salafiste moyen courrier. Le retour � la dynastie fatimide est, en effet, moins ardu et moins long que le repli sur le premier �ge de l�Islam. En bon B�douin, le fr�re Ma�mar sait appr�cier les distances. Puis, Kadhafi se livre � un vibrant pan�gyrique de la premi�re dynastie fatimide qui a rassembl� sous sa banni�re toutes les tribus de la r�gion, alors en guerre les unes contre les autres. Il s�enflamme : �Nous sommes chiites, un point c�est tout ! Le chiisme a quitt� l�Iran et s�est install� en Afrique du Nord. Nous devons y fonder le 2�me Etat fatimide. Nous sommes chiites en Afrique du Nord mais si vous nous interrogez sur la sunna du Proph�te, nous r�pondons : Et alors ! Bien s�r, comment ne suivrions- nous pas la sunna du Proph�te ? Nous sommes sunnites, parce que nous appliquons la sunna du Proph�te. Nous sommes chiites parce que nous sommes fid�les � Ali.� Ce serait donc de cette profession de foi, selon Kadhafi, que serait n�e l�identit� fatimide sous la f�rule d�une dynastie jeune et imp�tueuse qui a dur� deux si�cles et demi. On pourrait ajouter que cette dynastie a fini dans la violence et le d�sordre comme celles qui l�ont pr�c�d�e mais Kadhafi n�en a cure. Comme �a faisait longtemps qu�il n�avait pas taquin� son voisin de l�est, Moubarak, notre ami Ma�mar rappelle aux Touareg que les Fatimides ont fond� Le Caire et, surtout, �difi� Al-Azhar. Quant aux rites, officiels de l�Islam, �c�est une innovation� � ses yeux et il ne leur accorde, par cons�quent, aucun int�r�t. C�est dans les colonnes du quotidien saoudien Al-Charq-Al- Awsat que sont intervenues les premi�res r�actions au discours d�sobligeant de Kadhafi. Se sentant interpell�s, les th�ologiens de l�Universit� Al-Azhar ont affich� un �gal m�pris. �C�est une gymnastique mentale et un bavardage sans fondement�, r�plique le Dr Abdelmoati Bayoumi, ancien doyen de la Facult� des sciences religieuses. De son c�t�, le Dr Abdelfattah Idris a affirme que les Fatimides ne s�apparentaient pas � la famille du Proph�te m�me s�ils s�en r�clamaient. Ce qui a �t� d�montr� par les historiens, dit-il. Il est �vident que ces gens-l� et la qualit� de leurs r�ponses finiront par nous le rendre sympathique ce Kadhafi. En attendant les sauveteurs fatimides, les naufrageurs continuent � faire recette. Notre confr�re Sami Buhairi �voque la rencontre qui a eu lieu le mois dernier � Kowe�t entre le chanteur �gyptien Amr Diab et le pr�cheur kowe�tien Mohamed Audhi. Ce dernier, interrog� sur le site de �Al-Arabia. Net� a laiss� entendre qu�il avait conseill� � Diab de se repentir et de renoncer � chanter. Commentant la rencontre, Sami Buhairi imagine que Omar Diab ait conseill� lui aussi au pr�cheur de se mettre � chanter. Mohamed Audhi, chantant Habibi Ya nour a�ni, ferait un tabac. Ce qui lui permettrait, � coup s�r, d�augmenter son audience. Mohamed, en fait, croit comprendre Sami Buhairi, les pr�cheurs qui occupent de plus en plus d�espace dans notre vie veulent �largir davantage cet espace. Avec la retraite escompt�e des chanteurs vivants et des morts que nous continuons � �couter, il ne nous restera plus que les pr�ches et le foot-ball. Et si nous r�ussissions, un jour, � persuader les footballeurs que le ballon est �haram�, les pr�cheurs auraient ainsi toute la place qu�ils d�sirent �. Le journaliste rappelle incidemment les fameuses diatribes du d�funt Cheikh Kechk contre Oum- Kalthoum. Il l�accusait d�exhiber ses charmes alors qu�elle avait plus de soixante-dix ans. �S�il voyait aujourd�hui Ha�fa Wahbi ou Rubi, il ferait une attaque�, note-t-il, amus�.