Le Conseil de sécurité échoue à adopter un projet de résolution concernant l'adhésion de l'Etat de Palestine à l'ONU    Le Président-directeur général du quotidien "El Djoumhouria" relevé de ses fonctions    Rencontres bilatérales entre M. Attaf et ses homologues brésilien et jordanien à New York    Le secteur des moudjahidine "déterminé à poursuivre l'actualisation des textes juridiques et réglementaires"    Le Général d'Armée Saïd Chanegriha reçoit le président du Comité militaire de l'Otan    Coup d'envoi de la célébration du mois du patrimoine    Rencontre d'évaluation du Plan de prise en charge des malades atteints de cardiomyopathie hypertrophique obstructive    Mois du patrimoine : un concours national pour le meilleur projet architectural alliant tradition et modernité    La révision des programmes scolaires a atteint un "stade très avancé"    Coupe d'Algérie 2023-2024 (demi-finales) : MC Alger-CS Constantine à huis clos    Inauguration du Centre national de regroupement et préparation des talents et élite sportive de Fouka    CNEP-Banque ouvre à Béchar une nouvelle direction régionale    Agression contre Ghaza: 33.970 martyrs et 76.770 blessés, selon un nouveau bilan    Ouverture du 1er séminaire sur "Les tribunaux de commerce spécialisés"    Reddition d'un terroriste à Bordj Badji Mokhtar et arrestation de 10 éléments de soutien aux groupes terroristes en une semaine    Football : le sélectionneur national assiste à une partie de l'entraînement du CSC    Le projet du périmètre irrigué par les eaux recyclées, une phase importante de la stratégie nationale du secteur    BM/FMI : Faid participe aux travaux des réunions de printemps à Washington    Production prévisionnelle de plus de 4 millions quintaux de pomme de terre saisonnière    L'OM Annaba vise le 2e tour    Manchester City passe à l'action pour Ryan Aït Nouri    Défaite du WA Tlemcen face à Al Nasr    Toutes les structures prêtes pour la réussite de la saison du Hadj-2024    Les objectifs réels d'Eric Zemmour aidé par Jean Messiah (II)    Impacts géostratégiques et énergétiques    Saisie de 4,55 g de drogue dure (kétamine), une arrestation à Aïn Nouissy    Démantèlement d'une bande de cambrioleurs    Plus de 152.000 colis alimentaires distribués durant le mois de Ramadhan    Le mouvement «Peace Now» qualifie de «fasciste» la formation par Ben Gvir d'une unité spéciale pour poursuivre ses activistes en Cisjordanie    Rencontre sur le programme d'économie sociale et solidaire    Trois hauts cadres d'ATM Mobilis derrière les barreaux    La bibliothèque de cheikh Benbadis remise à titre wakf à « Djamaâ El-Djazaïr »    Soixante-dix nouveaux films en compétition    Mustapha Ramdane, homme de lettre et réformateur apprécié dans la vallée du M'zab    Rendre nos lois plus claires    Le correspondant de presse Abdallah Benguenab n'est plus        Le Président Tebboune va-t-il briguer un second mandat ?    L'ORDRE INTERNATIONAL OU CE MECANISME DE DOMINATION PERVERSE DES PEUPLES ?    L'imagination au pouvoir.    Le diktat des autodidactes    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Coupe d'afrique des nations - Equipe Nationale : L'Angola en ligne de mire    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    El Tarf: Des agriculteurs demandent l'aménagement de pistes    Ils revendiquent la régularisation de la Pension complémentaire de retraite: Sit-in des mutualistes de la Sonatrach devant le siège Aval    L'évanescence de la paix    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



BENJAMIN STORA AU SOIR D�ALG�RIE :
La France ne veut toujours pas regarder en face son histoire coloniale
Publié dans Le Soir d'Algérie le 21 - 01 - 2010

Le Soir d'Alg�rie: Cette histoire de l'immigration alg�rienne en France est parue une premi�re fois, en 1992 chez Fayard, sous le titre Les Immigr�s alg�riens en France. Pourquoi cette r��dition presque vingt ans plus tard ?
Benjamin Stora : Ce sont les �diteurs qui d�cident d'une r��dition en fonction des demandes, en rapport avec des situations particuli�res. Au d�but des ann�es 1990, l'histoire de l'immigration alg�rienne int�ressait peut-�tre moins en France. Vingt ans apr�s, les jeunes ont envie de conna�tre le destin de leurs grands-p�res. Il existe une exigence, un d�sir de s'inscrire dans une filiation. La soci�t� fran�aise a chang�, elle se montre beaucoup plus attentive aux origines, aux cultures diff�rentes. Et les gens qui appartiennent � des communaut�s particuli�res sont, eux aussi, beaucoup plus attach�s � leur propre histoire personnelle. J'ai �t� sollicit� par Hachette qui a jug� bon de remettre sur le march� ce type d'histoire. Donc, il existe forc�ment des demandes.
Dans la pr�histoire de l'immigration alg�rienne en France, vous mettez en �vidence le r�le des caf�s dans la gen�se du mouvement nationaliste. Quel est pr�cis�ment ce r�le ?
Dans l'histoire g�n�rale de l'immigration en France, et pas simplement dans l'immigration alg�rienne, les caf�s ont toujours rempli ce r�le de brassage social, de circulation, de lieu de rencontres. Cela a �t� le cas pour les Bretons, les Auvergnats, ce que l'on pourrait appeler l'immigration int�rieure en France. Cette tradition du caf�, comme une sorte d'agora publique, s�est enracin�e dans une histoire longue. Les Alg�riens ont poursuivi cette tradition. La premi�re fonction du caf�, c'est le rapport direct au travail. On va au caf�, car il est proche de l'usine. La r�gion parisienne, la r�gion lyonnaise, l'est de la France, le Nord, � chaque fois que se d�veloppe une implantation industrielle, on trouve une pr�sence importante de caf�s. On y d�jeune le midi, on y retrouve les camarades de l'atelier. Le caf�, c'est aussi la possibilit� de trouver un logement par les gens qu'on y rencontre. Un logement au-dessus du caf�, ce que l'on appelle le caf�-h�tel. Troisi�me fonction, le caf� est le lieu o� l'on discute politique. On y rencontre des compatriotes qui viennent d'autres r�gions, d'autres usines. C'est un lieu de circulation de la parole libre. C�est aussi le lieu de la r�union politique ou bien de la pratique religieuse. Il remplit ainsi �norm�ment de fonctions. Logement, travail, politique. Ce qui explique l'importance strat�gique du caf� dans l'histoire politique que l'on retrouvera ensuite pendant la Guerre d'Alg�rie, dans les ann�es 1950. D'ailleurs, les deux principales organisations alg�riennes, FLN et MNA, vont se livrer bataille pour le contr�le des caf�s. Qui contr�le le caf�, contr�le le quartier car � travers un caf�, on est au courant de ce qui se passe dans le quartier. Donc, la �ma�trise� des caf�s, leur encadrement, sont essentiels dans toute l'histoire de cette immigration, pratiquement jusqu'aux ann�es 1980. Pendant cinquante ans d'histoire, le caf� a rempli cette fonction. Ensuite, il d�cline comme tous ceux du pays. En l'espace de vingt ans, ils ont disparu. D'autres lieux de sociabilit� possibles sont apparus, Internet, Facebook... Une autre fa�on de faire de la politique �merge, de se rencontrer, qui provoque un affaiblissement du r�le du caf�. Dans le mouvement ouvrier de fa�on g�n�rale, le caf� a jou� le m�me type de fonction. L'immigration ouvri�re n'a pas �chapp� � cela. On peut faire l'histoire politique ou une g�ographie politique de l'implantation de l'organisation nationaliste alg�rienne � travers les implantations de caf�s.
Vous soulignez l'histoire conflictuelle entre la gauche fran�aise et le mouvement nationaliste. Comment les militants sont-ils pass�s d'une conception avant-gardiste de la lutte, sous l'influence du PCF, � un engagement nationaliste de type traditionnel ?
L'influence du parti communiste dans les ann�es 1920 �tait forte. Parti anticolonial � l'�poque, son influence dans le milieu des colonis�s a �t� d�terminante. Les premiers travailleurs immigr�s coloniaux se sont �veill�s � la politique par les mots d'ordre anticolonialistes lanc�s par le parti communiste, faisant r�f�rence � l'Indochine, � la Syrie, au Liban, � la Guerre du Rif avec la r�volte d'Abdelkrim 1924-25. Le parti communiste va recruter, � la fois, des ouvriers chinois, indochinois, marocains ou alg�riens. Ils vont assister aux r�unions, certains adh�rer au PCF. Cette influence n'est pas seulement id�ologique, elle va �galement s�exercer sur le plan organisationnel, se propager sous la forme des structures mises en place par le parti communiste. A l'�poque parti r�volutionnaire d'avant-garde, le PCF met en place des cellules dans une construction pyramidale sur le mode clandestin. Cette construction va influencer consid�rablement les premi�res organisations nationalistes alg�riennes, dont la plus c�l�bre est l'Etoile nord-africaine, dirig�e par Messali Hadj, lui-m�me pass� tr�s bri�vement par le parti communiste et qui va �tre marqu� durablement par ce type de structuration d'avant-garde. On ��duque� politiquement une avant-garde qui, ensuite, s'adressera � l'ensemble de la classe ouvri�re, de la population, des pauvres, etc. Ce sch�ma l�niniste �tait tr�s puissant apr�s la Premi�re Guerre mondiale. Il existait � la fois cette r�sonance du socialisme et ce souci des nationalistes alg�riens de parler pour le plus grand nombre. Cela, on le doit surtout � la personnalit� de Messali, le leader charismatique de ces ann�es 1930 jusqu'aux ann�es 1960 et qui avait ce souci de ne pas rester confin� dans le cercle �troit de ceux qui apportent au peuple le savoir. Messali est un homme du peuple qui a le souci de trouver les mots qui touchent le plus grand nombre, ce qui passe bien s�r par la langue arabe. C'est un tribun populaire de langue arabe avec ce paradoxe que, dans les ann�es 30, la majorit� des immigr�s alg�riens vivant en France sont des Kabyles. C'est ce paradoxe qui fait qu'il y a � la fois cette volont� de parler au plus grand nombre par la langue arabe dans une situation o� il y a beaucoup de Kabyles. D'ailleurs, si les Kabyles �taient majoritaires � 80 % dans cette population ouvri�re des ann�es 30, l'id�e nationale �tait, � ce moment, plus forte que la sensibilit� identitaire particuli�re kabyle. Le r�glement de la question coloniale emportait de loin l'adh�sion de tous, ind�pendamment des clivages r�gionaux. Ce ne sera plus vrai � la fin des ann�es 1940, puisque 1948-49, conna�t une crise importante. Mais, quand le mouvement national d�marre � la fin des ann�es 1920, la dimension unifi�e de la nation l'emporte, la sensibilit� particuli�re kabyle n'est pas exprim�e de mani�re �vidente. Elle est latente, mais elle n'est pas le moteur principal du rassemblement national, sinon Messali n'aurait pas pu �tre le leader incontest� dans une immigration alg�rienne ouvri�re majoritairement kabyle.
Comment le nationalisme d'avant-guerre conciliait-il son refus de l'assimilation et l'adoption des valeurs de la R�volution de 1789 ?
Cela est possible dans la mesure o� la question centrale est celle de la conscience nationale. Or, cette question ne peut s'exercer qu'en rapport avec l'application des principes �galitaires r�publicains, qui n'existent pas dans les colonies. Certains immigr�s alg�riens ont le sentiment que la France qu'ils �vivent� en m�tropole n'est pas la m�me que la France qu'ils vivent dans les colonies, une France de pr�pond�rants, de colons, de privil�gi�s. Une France qui m�prise les droits fondamentaux. Le mot d'ordre de la double France appara�t, un pays qui proclame des id�aux de libert�, de fraternit� et un pays qui opprime, pratique le racisme, la s�gr�gation. Sur le plan politique, �merge la volont� d'opposer une France qui �mancipe � une France qui opprime. Cela fait partie du jeu politique, mais dans une conviction enracin�e que l'Ind�pendance de l'Alg�rie est n�cessaire, in�luctable.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, comment expliquer le glissement de certains ind�pendantistes vers la collaboration avec le nazisme ?
Le principe, en forme de proverbe, qui s�impose dans les esprits est le suivant : �Les ennemis de nos ennemis sont nos amis.� C'�tait la pr�occupation principale de certains militants alg�riens, d'ailleurs �loign�s de la gauche fran�aise traditionnelle. Il faut bien pr�ciser qu'� l'�poque de l'effondrement de 1940, une petite partie aussi de la gauche fran�aise a vers� dans la collaboration. Des d�put�s socialistes ont vot� les pleins pouvoirs � P�tain. Certains dirigeants du parti communiste n�gocient avec les autorit�s allemandes la reparution l�gale de L' Humanit� dans l'�t� 1940. Une partie de la gauche fran�aise est pass�e du pacifisme int�gral � la collaboration. Les militants alg�riens qui suivaient cette gauche-l� n'ont pas �chapp� � ce mouvement de bascule, certains ont aussi vers� dans la collaboration. Mais, sous l'impulsion de Messali Hadj, la majorit� des militants politiques alg�riens ont refus� la collaboration, d�s 1940, et ont pr�f�r� rester ancr�s dans un camp d�mocratique. Ce choix historique de Messali a permis au mouvement nationaliste alg�rien de sortir indemne de la Seconde Guerre mondiale, car une partie de ses dirigeants avait choisi la collaboration. Le prestige personnel de Messali et son choix d'appartenance au camp d�mocratique r�publicain, contre les puissances de l'Axe, a permis, d'autant plus facilement, l'effacement des pratiques collaborationnistes dans les ann�es 1940-1943. Apr�s 1943, la plupart des hommes politiques, alg�riens et fran�ais, sont pour la r�sistance et contre le r�gime de Vichy, tout le monde se retrouve du c�t� des Alli�s. De m�me, la direction nationaliste alg�rienne s�adapte � la nouvelle donne, en rapport avec la pr�sence am�ricaine en Alg�rie, la prise de pouvoir de Charles de Gaulle � Alger. Mais l'effondrement militaire fran�ais, en juin 1940, a laiss� des traces. Pour beaucoup de nationalistes au Maghreb et au-del�, c'�tait la d�monstration que la France �tait fragile et qu'elle pouvait �tre renvers�e. Le choc est immense chez les peuples colonis�s et, bien s�r, chez les militants anticoloniaux. La d�faite fran�aise de 1940 a �t� vue aussi comme un encouragement au nationalisme politique qui existait dans les ann�es 1940-1941.
Aujourd'hui encore on parle peu de la participation des Alg�riens � la r�sistance. Comment expliquer cette impasse ?
Au moment de l'exode des populations fran�aises, la plupart des ouvriers alg�riens ont quitt� la France. Ils ont rembarqu� � Marseille. Il y avait 80 000 Alg�riens en France en 1939 et plus de la moiti� sont rentr�s en Alg�rie. Parmi ceux qui sont rest�s, un peu moins de la moiti� d'entre eux ont �t� affect�s � la construction du mur de l'Atlantique, entre 1940 et 1942. Il ne restait plus grand monde dans les usines de m�tallurgie de la r�gion parisienne. Les maquis, sur le plan politique, �taient organis�s essentiellement par deux courants, le courant gaulliste et le courant communiste. Le premier �tait totalement inconnu dans les milieux alg�riens, il appartenait � une certaine classe sociale fran�aise. Le monde communiste, quant � lui, �tait en opposition tr�s violente avec les nationalistes alg�riens. Avant 1939, la plupart des responsables communistes �taient oppos�s � l'ind�pendance de l'Alg�rie et ils suspectaient les nationalistes alg�riens d'�tre du c�t� de Doriot, le transfuge passant du PCF au fascisme. Ils les traitaient de fascistes. De ce fait, pour un Alg�rien ouvrier, entrer dans un maquis dirig� par les communistes, c'�tait un peu comme les trotskystes fran�ais qui refusaient de monter dans des maquis dirig�s par des staliniens, de peur de se faire ex�cuter. Donc, cette dimension forte de l'affrontement id�ologique entre nationalistes et communistes explique aussi le niveau de participation relativement peu �lev� dans la r�sistance officielle jusqu'en 43. Les nationalistes alg�riens font confiance � leur propre force. Ils sont pour l'Ind�pendance et ils savent que les communistes ne sont pas pour l'ind�pendance. La r�sistance fran�aise pensait � la pr�servation de l'Empire, les trois couleurs, la sauvegarde de la France. Il y avait une part de nationalisme fran�ais dans la r�sistance fran�aise. La seule place �tait d'�tre communiste dans la MOI. L'affiche rouge, ce sont tous des militants de la jeunesse communiste. Or pour un Alg�rien en 1942 et 1943, comment �tre communiste alors que pendant les dix ann�es pr�c�dentes, ce ne furent que des affrontements id�ologiques tr�s forts. Lorsqu'a �t� proclam� le PPA � Nanterre, le 11 mars 1937, imm�diatement l' Humanit� a fait campagne sur le th�me PPA cousins germains du PPF de Doriot. Le Parti communiste fran�ais avait plus que de la m�fiance � l'�gard du PPA. L'inverse �tait aussi vrai. Les ph�nom�nes de r�sistance sont plut�t le fait d'individus qui ne sont pas organis�s et qui ont jou� des r�les relativement importants dans tel ou tel maquis, � la Mosqu�e de Paris, mais, � ma connaissance, il n'y a pas eu d'engagement en tant que tel d'une communaut� ou d'un groupe politique alg�rien dans la r�sistance.
Quelle a �t� la place r�elle de l'Islam dans le mouvement ind�pendantiste ?
Elle est r�elle, mais pas aussi importante qu'on voudrait le croire aujourd'hui. Beaucoup de ces Alg�riens militants, ouvriers, nationalistes ont des pratiques religieuses tr�s d�tach�es par rapport � l'orthodoxie traditionnelle. Beaucoup vivent en m�nage avec des Fran�aises. Plus de la moiti� des dirigeants de L'Etoile nord-africaine vivent avec des Fran�aises, pratiquent une religion, je dirais, tr�s la�que. On n'est pas dans un mouvement radical, religieux avec une observance, une contrainte. Chacun est libre de pratiquer la religion comme il l'entend. Cela va se durcir pendant la Guerre d'Alg�rie. ` Le rapport � l'Islam est davantage un rapport d'instrumentalisation nationaliste qu'un rapport de conviction orthodoxe. D'ailleurs, ceux qui vivaient en Alg�rie se m�fiaient des militants �migr�s parce qu'ils �taient suspects d'�tre europ�anis�s, subissant trop la la�cit�, en particulier. Mais la plupart se vivaient bien �videmment comme musulmans.
Vous faites le parall�le entre les revendications des Beurs et l'histoire militante de leurs parents. O� se situe la jonction ?
Ce que l'on a appel� les Beurs, ce sont les enfants de cette g�n�ration militante arriv�e en masse en France apr�s la Seconde Guerre mondiale et qui a v�cu la Guerre d'Alg�rie, le racisme au quotidien, les pers�cutions polici�res. Ces enfants, dans les ann�es 1970, d�but des ann�es 1980, ont eu le sentiment de la r�p�tition du rejet. Ils ne voulaient pas revivre l'humiliation v�cue par leurs p�res. Il y avait m�me, pour certains, cette volont� de revanche. C'est donc un sentiment tr�s fort qui a commenc� � habiter beaucoup de jeunes hommes et femmes � la fin des ann�es 1970, en France, lorsqu'ont �clat� les crimes racistes, les arrestations arbitraires, etc. La France des ann�es 1970 �tait une France tr�s dure sur ce plan, avec beaucoup d'engagements militants, les gr�ves d'ouvriers, d'immigr�s, la multiplication des bavures polici�res. Le souvenir de la Guerre d'Alg�rie �tait tr�s proche dans la m�moire de ces enfants qui avaient 20 ans � cette �poque-l� et qui se sont lanc�s dans la construction d'une fronde politique, citoyenne, � travers Radio Beurs, la marche des Beurs de 1983, etc. Il y a eu toute une effervescence avec cette volont� que soit mis fin � ce souvenir traumatique des pers�cutions de la Guerre d'Alg�rie subies par les p�res. Cette volont� de justice par rapport � ce qu'avaient v�cu les parents. Il y a eu cette volont� de savoir, ce retour sur la p�riode de la guerre, avec � la m�me �poque, la jonction avec, la cause palestinienne. Deux causes li�es. La manifestation du 17 octobre 1961 comme symbole de cette humiliation, de cette pers�cution, a �t� au c�ur de ce retour du souvenir. Ce qui a donn� naissance � toute une s�rie d'associations comme Au nom de la m�moire, avec Medhi Lallaoui dans les ann�es 1980. Le retour de la m�moire de la Guerre d'ind�pendance et de l'immigration est revenue tout au long de ces ann�es 1980 et ce n'est pas un hasard si j'ai soutenu ma th�se d'Etat en 1991, au c�ur donc de ces batailles de retour de m�moire. Le travail d'historien ne peut pas �tre s�par� des enjeux politiques du moment. Les enjeux politiques de cette �poque �taient de se rapproprier cette histoire.
O� en sommes-nous trente ans plus tard, quelles perspectives pour cette immigration ?
En vingt ans, il y a eu un d�veloppement du processus migratoire. La trag�die alg�rienne des ann�es 1990 a pes� sur la soci�t� alg�rienne. Mais la sortie de cette p�riode n'a pas permis le r�tablissement et le mouvement a continu�. Il y a aussi, sur le plan politique, cette sensation de perte d'espoir. Ce ne sont pas n�cessairement les plus pauvres qui partent, il y a aussi des gens qualifi�s, des femmes, des personnes �g�es. On n'attend pas que les choses aillent mieux, on s'en va. C'est le sympt�me d'une crise de soci�t� dans une situation o� les fronti�res, en 20 ans, se sont ferm�es. L'espace Schengen existe depuis une vingtaine d'ann�es. Plus on ferme, plus il y a transgression, avec une aggravation de la crise �conomique en France et en Europe. Une nouvelle cat�gorie de migrants entre en concurrence avec les cat�gories plus anciennes. Il peut y avoir fracture entre les diff�rentes vagues migratoires. Du point de vue de la soci�t� fran�aise, je n'ai pas le sentiment qu'on ait fait un travail important sur l'apport de cette immigration alg�rienne, sur sa singularit�. On a l'impression que les Alg�riens ne veulent pas s'int�grer, on fait abstraction de leur histoire particuli�re qu'est l'histoire coloniale. On ne veut jamais la regarder en face, ce qui cr�e un foss� d'incompr�hension et on ne peut pas dire qu'en vingt ans cela se soit am�lior�. Le regard n'a pas forc�ment chang� malgr� toute les batailles des ann�es 1980, sur la citoyennet�. Il y a au contraire, d�bat sur �l'identit� nationale�, sur les exclusions, la d�finition d'une nation dans le rapport � l'exclusion de l'autre. La seule possibilit�, c'est d'essayer de transmettre cette histoire, donner ce savoir complexe qui permette d'att�nuer les barri�res de la peur.
Propos recueillis par Meriem Nour
Bio
Benjamin Stora est professeur des universit�s � Paris XIII et � l�Inalco. Il a publi� une trentaine d�ouvrages qui portent principalement sur l�histoire du nationalisme alg�rien, l�immigration et la guerre d�ind�pendance. Ses deux ouvrages r�cemment publi�s en 2009 sont : Le Myst�re de Gaulle, son projet pour l�Alg�rie (Ed Robert Laffont), et les Immigr�s alg�riens en France, une histoire politique (1912-1962), Edition Hachette litt�ratures.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.