Hamida L., la trentaine, se plaint de mauvais traitements de la part de son mari. Portant un foulard bleu ciel autour du cou, elle a un œil au beurre noir, elle ôte rapidement sa paire de lunettes de soleil en cet automne 2010. La face est livide, elle est assise sur le banc réservé aux justiciables qui attendent de voir un procureur adjoint pour porter plainte pour coups et blessures volontaires. Une autre femme vient s'asseoir auprès d'elle, Hamida détourne la tête, les épaules et les yeux, elle regarde en direction de la porte du procureur en titre. C'est une journée de réception, il y a un monde fou, comme c'est devenu une habitude. Notre société est devenue folle. Des plaintes, encore des plaintes, toujours des plaintes, rien que des plaintes. Et le cas de Hamida n'est pas facile à traiter, les gens croient à tort que le procureur a des pouvoirs. Oui, c'est malheureux mais c'est comme ça. Le ministère public et ses représentants n'ont qu'un seul pouvoir : l'opportunité des poursuites. Pouvoir déclencher une affaire au bon moment, le tout sur une plainte émanant d'un élément de la société. Et cette dernière n'a qu'un seul avocat : le procureur qui, depuis le parquet, tire à vue. Néanmoins c'est le juge du siège qui détient le pouvoir de décider, il condamne ou il relaxe, et là aussi autour d'un dossier. C'est pourquoi Hamida L. n'avait pas saisi le sens de la réponse du procureur qui lui avait rétorqué que le divorce ne dépendait pas de cette «aire». En exhibant la photocopie de la convocation, elle avait cru à tort être entendue : «C'est le problème de la section statut personnel», marmonne le parquetier dont la grosse moustache cachait la moitié de la bouche. Et par une coïncidence, Hamida L. entend ses nom et prénom, c'est la greffière qui venait de faire appel au couple qui entre chacun de son côté. L'homme évite de regarder en direction de la dame qui sort un bout de papier qui fait office de certificat médical. La présidente le parcourt durant sept courtes secondes et lâche : «Vous l'avez battue ?» - «Je n'en sais rien, c'est ce qu'elle prétend depuis que nous avions reçu la convocation pour le divorce», répond Farhat S., la quarantaine largement dépassée. La juge hoche la tête et balance : - «De toutes les façons, votre affaire est renvoyée sous quinzaine. Quant à vous, allez voir Monsieur le procureur.» - «Mais j'ai été le voir et il m'a renvoyée chez vous», proteste presque la dame qui a dû ruminer cette réflexion. - «C'est à n'y rien comprendre, il m'a griffée au cou, battue, humiliée, je vais voir le procureur. Il me renvoie chez la juge. Cette dernière me recommande de voir avec le parquetier. Je n'ai rien compris.» Elle quitte le tribunal. Si elle avait constitué un avocat, il lui aurait expliqué que le divorce est une procédure et les coups et blessures en est une autre. Le civil et le pénal sont deux «secteurs» distincts. Hamida ou Hanifa l'ignorent peut-être, mais la loi reste la loi. Et tous les jours les gens se perdent dans les dédales de la loi.