"Trouver un chat avec un collier rose et une carte-mémoire sur l'île d'Enoshima": telle fut la dernière mission assignée à la police japonaise par un "otaku", un féru d'informatique qui fait tourner en bourrique les limiers nippons et le FBI américain. Depuis mi-2012, un mystérieux personnage lance des messages d'intimidation sur des forums et des sites internet. Un jour, il menace de faire un massacre au Comic Market, un rassemblement géant de fans de manga, un autre de s'en prendre aux petits-enfants de l'empereur. Patiemment, la police remonte les e-mails et autres traces sur internet, puis arrête successivement quatre personnes. Fausses pistes: deux ont eu beau avouer, les enquêteurs se sont trompés. Mais les quatre avaient cependant un point commun: leurs ordinateurs avaient été infectés par un virus et le "maître" en avait pris le contrôle à distance. C'est en cliquant sur un lien sur un forum qu'ils ont ouvert la porte à ce "cheval de Troie" qui a permis à l'auteur des messages de piloter leurs machines, en utilisant en plus un programme dit de "routage en oignon" (Tor) qui permet aux données transmises par des chemins aléatoires d'échapper à toute surveillance. Qui plus est, le serveur qui héberge le forum en question, "2-Channel", est situé aux Etats-Unis, ce qui a conduit le Bureau fédéral d'investigation (FBI) à entrer dans la danse. Particularité de "2-channel": tous les intervenants y postent de façon totalement anonyme, sous le même pseudonyme: "Mr. sans nom". Désemparée, la police en est arrivée à proposer en décembre une prime de 3 millions de yens (25.000 euros) pour obtenir des informations qui permettraient de mettre la main sur le coupable. Les médias, eux, se régalent depuis le départ: l'homme au profil d'otaku (mordu d'informatique, de manga, animation, jeu vidéo, etc.) le sait d'ailleurs, puisqu'il les implique dans son "jeu de rôle". Début janvier, des journalistes, avocats et d'autres destinataires reçoivent une "lettre de mission" avec plusieurs énigmes à résoudre, dont celle de retrouver sur l'île d'Enoshima, près de Tokyo, un chat portant un collier rose auquel est attachée une carte-mémoire avec le fichier du virus et des explications sur les motivations de l'auteur de ces messages. Ce fut l'action de trop. La police, précédée par des adeptes de "2-channel" déjà au courant, ne met en effet que quelques heures pour retrouver l'animal surnommé "Yutaka-kun" et analyser une note qui dit en substance: "une précédente affaire a bouleversé ma vie". Les caméras de surveillance de l'île ont en outre enregistré des images d'un individu près du chat qui le prend en photo. C'est ainsi que les limiers de la police débarquent le 10 février chez un certain Yusuke Katayama, 30 ans, soupçonné d'être "l'homme qui contrôle des ordinateurs à distance grâce à un virus informatique". L'intéressé nie, même s'il a déjà été mêlé à une cyber-affaire criminelle il y a plusieurs années et purgé un an et demi de prison. Entre fuites policières et révélations de presse, tout tend à démontrer sa culpabilité. Traqué par les médias avant même son arrestation, Katayama est décrit comme un otaku adepte d'un "internet-café" du quartier tokyoite d'Akihabara ainsi que de "cafés à chats", lieux en vogue où les clients, dont beaucoup d'hommes esseulés, viennent caresser des chats. Depuis son interpellation, les fuites policières se poursuivent au rythme de l'enquête, et l'on apprend ainsi que des photos du chat d'Enoshima ont été stockées dans le mobile dudit Katayama ou encore que l'ordinateur d'où provenaient les messages est un PC de l'entreprise informatique où il travaille. Lui, qui se dit innocent, refuse de répondre aux enquêteurs, tandis que son avocat et quelques chroniqueurs agitent le spectre de l'erreur judiciaire.