Le célèbre journaliste, militant et fondateur du site d'information Médiapart, journal en ligne et ancien rédacteur en chef du quotidien Le Monde jusqu'en 2004, était l'invité samedi dernier du Salon international du livre où il a eu à répondre aux nombreuses questions de la forte assistance venue l'écouter. Edwy Plenel aura été celui qui a drainé plus de monde lors des tables rondes au Sila. Edwy Plenel, qui vient de sortir un livre-entretien avec Benjamin Stora intitulé 89 arabe, rappellera en préambule ses années d'adolescence en Algérie où il fréquentera l'école algérienne, lycée et première année d'université avant de partir en France. Partagé entre les Antilles et l'Algérie, celui qui ne remettra plus les pieds ici depuis 30 ans décalera tout de go: «Ma jeunesse algérienne a fait le français que je suis.» Elle aura ainsi déterminé l'avenir de cet épris de liberté et de justice social dans sa relation avec le monde, faite d'exigence et d'ouverture sur l'autre mais aussi et surtout du refus du repli sur soi, chose contre laquelle il se dit se battre continuellement sous le règne du président Nicolas Sarkozy et sa politique de stigmatisation. «Nous sommes faits de cette Histoire, il faut l'accepter. Notre France est d'origine étrangère», dira-t-il, en faisant référence à tous ces tirailleurs africains notamment qui ont servi sous le drapeau français et qui constituent selon lui 96% de cette armée qui a contribué à former aujourd'hui une «France prétendu libre et démocratique». Edwy Plenel fera la jonction entre le bouleversement socio-économique, industriel et politique et l'avènement du Printemps arabe. «Nous vivons une époque traversée d'immenses transitons» a-t-il souligné. Outre la crise économique mondiale et sa folie, la spéculation sur les mannes du pétrole et le boom du numérique, Edwy Plenel annoncera la fin d'un cycle dont les changements ne se font pas sans heurts. Cela a créé selon lui des tensions partagées entre inquiétude et espoir. «Une crispation violente», selon ses termes, qui pousse les peuples à la peur et par ricochet amène les pouvoirs à réfléchir à notre place (peur de l'immigré, du musulman, etc, des préjugés dressant les peuples les uns contre les autres au lieu de chercher à connaître ce qui nous unit et nous ressemble). Contrairement à ce qu'on dit, l'Histoire pour Edwy Plenel n'est pas un éternel recommencement mais «une page à s'écrire». «C'est le sens de mon dialogue avec Benjamin Stora dans mon livre» relèvera-t-il. A cette nouvelle génération qui se retrouve face devant tous ces questionnements, et sans tomber dans le paternalisme, le journaliste adressera ce précieux conseil: «N'ayez pas peur. La liberté est notre affaire.» Evoquant à juste titre son métier, Edwy Plenel plaidera pour un engagement dans le sens de la responsabilité et d'exigence d'informer. «Nous avons besoin de faits, de liberté d'information. Il faut créer les conditions pour qu'il ait l'information ne serait-ce que pour avoir notre droit à la démocratie. Celle-ci est un suffrage permanent avec cette tentation oligarchique contre laquelle il faudra se battre et qui restera», ceci, fera-t-il remarquer est le défi à relever et ce par la liberté d'information, tout comme le droit au numérique pour tous, autrement dans le sens de la «légalité qui est le droit d'avoir le droit». «Une idée encore neuve», précisera-t-il. Edwy Plenel qui estimera que le XXIe siècle, qui a vu de grands bouleversements d'extrême violence, avec remise en cause de nos idéaux, a entraîné le retour aux idées originales populaires faisant de la société l'auteur de sa propre histoire. «Elle sera peut-être chaotique mais on ne parlera pas à sa place. Il faut lui faire confiance en lui apportant la vérité, notre rôle comme journaliste.» Etre crédible et indépendant sont aussi les deux maîtres mots qui font le sérieux d'un journaliste et dont le conférencier se proclame au sein de Médiapart. Pour Edwy Plenel le Printemps arabe a fait tomber les masques prouvant que la démocratie n'est pas l'apanage ou la priorité privée d'un seul pays, ou Etat, la vérité est le socle sur lequel doit travailler un journaliste. Evoquant les rapports entre l'Algérie et la France dans le contexte de la célébration prochaine du cinquantième anniversaire de l'Indépendance de l'Algérie, Edwy Plenel dira que cela concerne les deux rives de la Méditerranée dans la mesure où les deux pays partagent la même histoire. Il rappellera quelques dates-phares à célébrer, à commencer par le 17 Octobre 1961 considéré selon ses termes comme «la plus grave répression dans notre histoire moderne et contre le peuple ouvrier dans la commune de Paris». L'orateur plaidera pour la «réconciliation et la vérité» entre les deux peuples avec la nécessité de reconnaissance à l'un comme à l'autre de ses torts qualifiant cette guerre d'«inutile car elle a créé l'irréparable en privant une partie de l'Algérie de son histoire». Devant une assistance acquise à ses propos, Edwy Plenel dénoncera cette «guerre des mémoires instrumentalisée par les pouvoirs». A une question relative au non-alignement de l'Algérie sur le Printemps arabe, l'auteur de Défense du journalisme fera remarquer qu'en Algérie il y a «une précaution due à cette double souffrance infligée au peuple algérien. Chaque peuple doit suivre son chemin. Nos sociétés se ressemblent mais évoluent». A propos de l'affaire des moines de Tibhirine, qui a défrayé la chronique, l'éternel journaliste qu'il est revendiquera à nouveau la nécessité des enquêtes indépendantes au-delà de toute querelle partisane. Enfin, Edwy Plenel estimera par ailleurs, que la corruption qui sévit dans le monde existe même au coeur de la France, donc pas la peine de se moquer des pays africains. «Savoir dire non, cela ne fait pas tout mais c'est un premier pas vers la liberté» dira-t-il en conclusion. A méditer.