«Il y a deux catégories de télévisions: la télévision intelligente qui fait des citoyens difficiles à gouverner et la télévision imbécile qui fait des citoyens faciles à gouverner.» Jean Guéhenno Hassan me regarda, l'air amusé. Il avait vu que j'ai été emporté par un sujet qui m'a longtemps préoccupé: «Tu dois en avoir gros sur la patate! Heureusement que tu en es sorti indemne! Cela veut dire que je l'ai échappé belle. Il y a des coups de pied qui sont salutaires!» me dit-il en souriant. «Tu penses! J'ai des collègues qui n'ont même pas pu jouir de la retraite! On ne gère pas une grande maison de cette taille comme une épicerie. Ce sont des gens de grande envergure que l'on place à la tête de tels monstres. Le premier responsable doit être un homme de culture et de communication. C'est-à-dire qu'il doit obligatoirement connaître les divers courants culturels de son pays mais aussi, il doit être ouvert à la culture universelle. Evidemment, l'Etat ne crée pas une institution de cette taille pour faire plaisir à la population. Il faut s'imaginer le budget que peut consommer une entreprise de cette envergure et de cette vocation. C'est que l'Etat tient avant tout à faire pénétrer les messages du gouvernement dans les foyers. Et il noie ces messages dans des émissions qu'on appelle de divertissement. Et cela a été et sera toujours ainsi. Il n'y a que dans les pays démocratiques, là où il existe vraiment une liberté d'entreprendre qu'il y a une pluralité d'expressions dans l'audiovisuel. Mais pour cela, il faut aussi en avoir les moyens. Et en plus, il y a des fils rouges qu'il ne faut pas dépasser: en France, à chaque changement de gouvernement, il y a un bouleversement à la tête des organigrammes de la télévision. Et le directeur de l'information est le premier visé. Il y a même des présidents qui ont demandé le changement de certains animateurs. C'est à peu près le climat qui prévaut actuellement. Il faut dire que sous la IVe République et sous le général de Gaulle, la Télévision et la Radio étaient sous un contrôle sévère. On rapporte, pour l'anecdote, que Madame de Gaulle avait fait interdire sur les ondes, la chanson de Pierre Perret «Les jolies colonies de vacances». Il faut dire que la morale conservatrice a lourdement pesé sur l'audiovisuel. Mais la censure politique était encore plus sévère. Quand le gouvernement français a décidé d'installer la télévision, il l'avait fait surtout pour mieux répandre la culture française tout en satisfaisant le lobby colonial qui était d'un poids certain. Mais il avait pris soin de satisfaire les attentes du public indigène: dès la création de la télévision, avant son lancement (le premier coup de pioche avait été donné au 21 boulevard Bru en 1952), un studio de tournage et un laboratoire avaient commencé à fonctionner aux Eucalyptus. Des variétés et des sketches dans les trois langues y ont été tournés. La variété la plus célèbre «Balak M'Triq» (j'ai oublié le titre original) avait eu grand succès grâce au talent des irremplaçables Mohamed Touri et Sid-Ali Fernandel. J'ai même oublié le nom du troisième larron. La réalisatrice avait un nom slave si je me souviens bien. La télévision, qui avait lancé ses programmes le 24 décembre 1946, à la veille de Noël, était devenue un outil de propagande majeur. La censure politique était plus sévère qu'en France. Les sujets du journal télévisé arrivaient par avion de France et ils étaient montés ici, avec le commentaire approprié. Des sujets anodins étaient tournés et ils étaient ajoutés à la feuille de route. Une copie du JT était tirée et expédiée en France. Je pense que les archives qui nous concernent doivent être plus complètes là-bas qu'ici.»