Des dizaines de milliers de personnes ont assisté hier à Rabat aux funérailles du cheikh Abdessalam Yassine, le fondateur et chef spirituel du mouvement islamiste Justice et bienfaisance, et critique de longue date du régime monarchique au Maroc. La foule, essentiellement composée d'hommes, de tous âges, a convergé dès la matinée vers la mosquée d'Assouna, dans le centre de Rabat, où a été dite la prière pour le mort. Un imposant service d'ordre avait été déployé. La dépouille du cheikh, décédé jeudi à l'âge de 84 ans sans avoir désigné de successeur, a été ensuite amenée au cimetière des Martyrs pour y être enterrée. «C'est notre père qui nous a quittés. Je viens de Kénitra (40 km au nord de Rabat) pour assister à l'enterrement du cheikh», a déclaré un jeune militant de ce mouvement interdit mais toléré. Al Adl wal Ihsane (Justice et bienfaisance) prône l'instauration d'un Etat islamique au Maroc, mais rejette toute violence pour y parvenir. Au coeur de sa doctrine, il ne reconnaît pas au roi le statut de commandeur des croyants, ce qui représente une des principales divergences avec le Parti islamiste Justice et développement (PJD) de l'actuel chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane. Originaire du sud du Maroc, cheikh Yassine, ancien inspecteur dans l'enseignement, s'était rendu célèbre dès 1974, un an seulement après avoir fondé le mouvement, en écrivant un livre, l'«Islam ou le déluge», lettre ouverte au roi. Il mettait notamment en cause le caractère inacceptable, selon lui, de la monarchie marocaine sous Hassan II du point de vue islamique. Emprisonné et interné en hôpital psychiatrique durant les «années de plomb», il avait finalement été placé en résidence surveillée à la fin des années 1980. Il y restera jusqu'en 2000, après l'arrivée au trône de Mohammed VI. L'an dernier, son mouvement était revenu sur le devant de la scène en participant aux manifestations ayant vu le jour dans le cadre du Printemps arabe, au sein du mouvement du 20-Février, aux côtés de la gauche militante. Mais il s'était retiré des cortèges dès décembre suivant, sans explication claire, retournant dans l'ombre. Il reste toutefois très actif socialement dans les quartiers populaires.