Avec de jeunes musiciens portés sur l'Assouf à tous les coins de rue et un nombre important de musiques et danses traditionnelles, qui ne sortent de l'espace privé qu'en de rares occasions, Tamanrasset manque cruellement, pour l'heure, d'infrastructures nécessaires à l'exploitation de ce riche potentiel culturel. La capitale de l'Ahaggar - terre d'accueil des «Ishumar» (chômeurs musiciens) qui a vu naître Tinariwen, un groupe malien aujourd'hui mondialement connu, et des défenseurs de l'imzad et du tindé (deux traditions musicales ancestrales), et du folklore comme «jakmi»- ne compte à l'heure actuelle qu'un théâtre communal de plein air et une Maison de la culture dotée du minimum vital. Faute d'infrastructures propres à l'essor culturel, le potentiel que recèle cette immense région saharienne reste invisible, si ce n'est une fois l'an, en novembre, à l'occasion du Festival international des arts de l'Ahaggar (fiataâ) ou encore le Festival national de musique amazighe, une autre manifestation à la périodicité annuelle. Les activités du fiataâ (musique, danse, théâtre et cinéma), très attendu par le public, puisent dans les légendes locales, l'art rupestre et le folklore targui, matière première pour le théâtre ou le cinéma expérimental, révélant ainsi la nécessité d'avoir un espace abritant ce genre d'activités et des ateliers de formations intensifs. Un théâtre régional pour Tamanrasset, un projet porté depuis plus de dix ans par des comédiens et metteurs en scène amateurs, serait «en cours de finalisation après un premier appel d'offres infructueux», selon le directeur de la culture de la wilaya, Karim Arib. L'espace cinéma du fiataâ qui se tient, tant bien que mal, chaque année sous un chapiteau et dans des conditions de projection inappropriées, représente «l'une des rares occasions pour la population d'assister à des projections de films malgré la possibilité de projeter en plein air», ont relevé des habitués de l'événement. Face à ces insuffisances, les responsables locaux de la culture ont évoqué plusieurs projets actuellement «en cours ou à l'étude», à savoir un théâtre de verdure de 4000 places, la réhabilitation d'une salle de cinéma, un musée et un centre d'interprétation dépendant de l'Office du parc national de l'Ahaggar (Opna), ainsi que l'affirme le directeur de la culture de la wilaya. La richesse du patrimoine musical de l'Ahaggar, comparable à d'autres régions du Sahel, ne doit sa survie qu'à la bonne volonté de ses dépositaires et aux efforts d'institutions comme l'Opna. Badi Lalla, diva du tindé, ou encore Chtima, l'une des doyennes de l'imzad, ne se produisent que rarement à Tamanrasset, tout comme les jeunes de groupes, nombreux, d' Assouf et d' Ishumar. Ces doyennes transmettent leur art chez elles, pour assurer une pérennité à ce legs et animent, à l'occasion, des scènes locales deux ou trois fois par an, en essayant d'y intéresser les jeunes artistes en apportant une touche de modernité à l'art qu'elles pratiquent. De l'aveu d'autres artistes, ces musiques «n'ont pas de visibilité en dehors des festivités», ponctuelles, dans l'espace public selon les artistes, alors que dans les pays voisins, les musiciens peuvent compter sur les multiples scènes locales pour s'exprimer, à l'image de groupes issus de pays du Sahel. C'est le cas des Maliens Tartit et Tinariwen ou du Nigérien Etran Finatawa, des groupes qui ont contribué à sortir le patrimoine musical targui de son ghetto pour le porter jusque sur les scènes internationales, où ces formations font sensation à chacune de leurs prestations. Pour des troupes des pays du Sahel comme les Maliens Super Rail Band de Bamako et Tartit ou le Burkinabé Abdoulay Cissé, le secret de la pérennité et du succès de leurs musiques résident «dans les moyens et infrastructures de formation, production et promotion mises à leur disposition en amont». En attendant des jours meilleurs, la pratique du théâtre reste à l'état embryonnaire et les poésies et musiques ancestrales de l'Ahaggar sont à peine hors de danger, loin d'être exploitées, comme elles le méritent afin de sortir les arts de cette région de l'«enfermement» qui les menace à terme d'assèchement.