L'oeil toujours pétillant et le sourire éclatant A 77 ans elle pète la forme. Boulimique, elle n'arrête pas d'enchaîner les rôles au cinéma avec 152 au compteur et encore d'autres projets au menu. Claudia Cardinale, cette grande dame du cinéma, à qui la vie a souri un jour en Tunisie, était l'invité de classe du Festival international du film arabe d'Oran qu'elle a assurément rehaussé de sa présence. Affable et souriante elle répondra à nos questions dans le lobby de l'hôtel Le Méridien où sont descendus la plupart des invités prestigieux du festival... L'Expression: Vous êtes ici à Oran à la faveur du Festival international du film arabe. Quelles sont vos impressions? C'est la première fois que vous venez à Oran? Claudia Cardinale: Oui c'est une première pour moi. Je ne suis jamais venue à Oran. Mais moi je suis de l'Afrique du Nord, de Tunisie. Je connais bien le Maroc, mais pour l'Algérie, c'est la première fois que je viens. Donc je suis très contente de venir ici parce que les gens sont formidables. Vous avez été Miss Tunisie à l'époque... Oui mais c'était un accident. je ne m'étais pas présentée. J'étais avec ma maman car le consulat est italien. Il y avait que des filles qui étaient sur le plateau et tout d'un coup, un homme me prend par le bras, il me met sur les planches et hop je deviens la plus belle Italienne de Tunisie! Les autres étaient furieuses car elles s'étaient présentées contrairement à moi. Avec ça on m'a donné un prix au festival de Venise et je suis arrivée en bikini et djelaba, alors qu'il n'y avait pas encore de bikini en Italie. Et tous les paparazzis me photographiaient et me demandaient de faire du cinéma. Moi, je ne voulais pas faire du cinéma. J'étais avec ma maman, parce que j'étais très jeune et quand je suis montée dans l'avion j'ai lu les journaux où c'était écrit «la fille qui refuse de faire du cinéma» (rires). Et pourtant, vous en avez fait beaucoup depuis... Je suis arrivée à 152 films, et je continue à tourner. Mais qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis? Ils ont commencé à obséder mon papa avec les télégrammes et à la fin il a cédé. Et en plus, ça a commencé en Tunisie. J'avais 16 ans et René Vautier et Jaques Barrati sont venus devant mon école. Moi j'étais une sauvage. Dès que je les ai vus, hop je suis partie! Je ne voulais pas faire du cinéma. Je voulais devenir exploratrice. Et j'ai réussi avec mon métier puisque j'ai tourné partout: l'Australie, l'Amérique, l'Amazonie, etc. Comment fait-on quand on devient comédienne? Comment faire pour incarner facilement un personnage sans aucune formation? Moi je suis du signe bélier. Je suis très forte. D'ailleurs, presque tous les acteurs sont du signe bélier. Il y a Marlon Brando, un tas d'acteurs français, c'est incroyable. Je citerai Jean-Claude Brialy, Belmondo. Vous avez joué dans de grands films réalisés par de grands auteurs, auprès de grands acteurs, notamment Alain Delon dans Le Guépard... De grands metteurs en scène, Visconti, Fellini et j'en passe... Oui. Il y a un tas de films que j'ai faits un peu partout, notamment en Russie avec Kalatozov. Ce qui est comique est le fait qu'il fallait que je me transforme. J'étais russe. Et la chose incroyable qui s'est passée pendant ce film. J'étais avec un acteur. On était censé être des amoureux. On était sur la glace et enlacés et on descendait la montagne jusqu'en bas. Quand on est arrivé en bas, on a dû emmener l'acteur à l'hôpital. Les autres ont dit, bon alors elle est née en Afrique et elle est vivante et toi non! Le pauvre acteur, toute l'équipe était furieuse contre lui. C'était formidable. Je l'ai revu il n'y a pas si longtemps. On m'invite souvent à Moscou. Je ne l'ai pas reconnu. On était très jeunes à l'époque. Il est devenu metteur en scène et producteur, c'est très important. Avec du recul, quel regard portez-vous sur votre riche carrière? Moi je ne voulais pas faire du cinéma. Ce qui était pour moi terrible c'est que ma soeur, blonde aux yeux bleus, très belle, voulait faire du cinéma. Je ne voulais pas lui voler la vedette. Elle a commencé dans un film et on l'a vite éliminée. J'en étais désespérée. Vous avez pris goût. C'est dû au star-système ou à l'argent qu'on gagne? Je gagnais très peu. J'étais sous contrat. Comme une petite employée, j'étais payée au moi, presque rien. Et quand j'ai rencontré le seul homme de ma vie qui est le père de ma fille, Pascal Squiteri, il s'est rendu compte que je n'avais aucun sou à la banque, il m'a dit: «Avec tous les films que tu as faits, tu n'as pas d'argent?» Pendant 13 ans j'étais sous contrat à l'américaine, tu es payée comme une petite employée. La chose qui m'a intéressée est que dans la vie on ne vit qu'une seule fois et moi j'en ai vécu 152. J'ai fait la pute, la princesse, femme du peuple, la révolutionnaire, j'ai tout fait. Mais quel est le personnage qui vous a été taillé sur mesure? Je n'ai pas envie de faire des trucs à moi. J'ai envie de me transformer devant la caméra. Mais pour faire ce métier, tu dois être très forte à l'intérieur sinon, quand tu sors tu ne sais plus qui tu es. C'est le conseil que vous donneriez à une débutante qui veut se lancer dans le cinéma? Absolument, tu dois être l'Autre devant la caméra. Quelle est votre actualité en matière de tournage en ce moment? J'en ai beaucoup. J'ai tourné en Autriche. Deux films américains et là j'en ai d'autres encore au programme. Avez-vous suivi l'actualité cinématographique mondiale dont Cannes récemment? Oui il y a eu beaucoup de films italiens mais on n'a pas voté pour eux. La presse en était scandalisée car le cinéma italien a reçu beaucoup d'applaudissements. Je ne suis pas triste pour eux. Les règles du jeu sont comme ça. Ce qui importe pour moi dans les films dans lesquels je joue, est le scénario. J'en reçois beaucoup. C'est très important pour moi l'écriture. Vous suivez les jeunes cinéastes et actrices entre autres? J'ai beaucoup tourné dernièrement avec des metteurs en scène de premiers films car j'essaye de les aider. J'ai tourné en Turquie, en Espagne, en Autriche. J'aime bien aider les jeunes. Aujourd'hui le cinéma est moins romantique. Avant il te faisait rêver. Parfois des films sont un peu trop banals. Depuis qu'il y a la télévision les gens regardent la télé et ne vont pas au cinéma. Mais cette culture cinématographique existe en France. Oui, effectivement, de plus, en France il y a des financements. Tandis que dans d'autres pays il n'y a pas assez de financements, donc les jeunes ne font pas de films. Moi quand je tourne avec des jeunes réalisateurs, je ne suis pas très bien payée, mais je le fais pour les aider.