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Génèse des coups de boutoir contre l´islam en europe
Publié dans L'Expression le 17 - 11 - 2004

«Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l'oeil de ton frère et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton oeil?».(Saint Luc, VI-41)
Cette parabole de Saint Luc et la fable de la Besace de La Fontaine: «Le Bon Dieu nous créa tous besaciers, il fit pour nos défauts la poche de derrière, Et celle de devant pour les défauts d'autrui.» font partie, souvent, de la façon de faire européenne. Que n'a-t-on pas écrit sur le «fanatisme de l'Islam»? Sur les «fanatiques arabes». Qui pourrait nier l'existence de fanatisme parmi les musulmans? - comme parmi les croyants d'autres religions.
Au nom d'une Bulle du pape Alexandre VI, on envoya les conquistadores pour «christianiser» les Indiens. Ils l'ont fait avec un super fanatisme qui a coûté la vie à 40 millions d'indigènes du Nouveau Monde rien que de 1492 à 1560. L'Apôtre des Indiens, Pater Las Casas, met en accusation ces «christianisateurs», en écrivant qu'ils avaient plutôt «besoin eux-mêmes de 20 prédicateurs chacun, pour les amener à la raison et les convertir». Ils ont commis leurs tueries uniquement pour voler, ou en faisant mourir au travail surhumain leurs «convertis». (1)
Sous le titre provocateur: «Faut-il craindre une invasion islamique?», au début des années quatre-vingt, l'écrivain Josef Giebel écrivait: «Si les nations industrielles de l'hémisphère nord sont renvoyées à un âge préindustriel à cause d'une guerre atomique, tout peut être changé demain. Des marchands arabes vendront alors peut-être à nouveau les «incroyants» comme esclaves ; un grand nombre d'Africains riches auraient assurément la satisfaction de se faire servir par des cuisiniers, des chauffeurs et des esclaves blancs.» (2).
J.Giebel, décidément visionnaire, continue: «C'est ce qui pourrait se produire si une Arabie unie attaquait l'Europe. Un mot d'ordre tel «Allah le veut» peut reléguer à l'arrière plan toute sorte de logique. La révolution islamique en Iran a montré quel pouvoir les chefs religieux et la religion peuvent exercer sur les hommes... L'invasion de l'Islam arrêtée en 732 par Charles Martel à Tours et à Poitiers dans le centre de la France, peut de nouveau recommencer».
Pour l'auteur, les «prophéties» ont prévu cela, il fait référence aux « prophéties de Nostradamus» qui a prévu une invasion musulmane en Europe. Il mobilise les quatrains de Nostradamus pour la bonne cause. On lit dans le quatrain V, 55 : «Dans une région de l'heureuse Arabie est né un homme puissant qui professe l'Islam. Il torturera l'Espagne et conquerra à nouveau Grenade, plus encore, il ira au-delà des mers et avancera contre le peuple de Ligure (Italie)».Plus loin dans le quatrain V, 25 : «Le prince arabe traversera les eaux et anéantira le gouvernement de l'Eglise». Dans le quatrain VII, 78 : «A la suite d'une discorde, la France néglige (sa politique extérieure). Cela ouvre la porte à l'Islam. La terre ruisselle de sang, comme la mer Adriatique, le port de Marseille est encombré de bateaux». Dans le quatrain V,68 on lit : «Il viendra du Rhin pour boire dans le Danube, le grand chameau ne s'en fera pas scrupule. Les habitants du Rhône trembleront et le peuple de la Loire frémira davantage. Mais près des Alpes, le coq (France), l'anéantira.». Enfin dans le quatrain X,86: «Le roi de l'Europe viendra comme un griffon et il sera accompagné des peuples d'aquilon (le Nord), il guidera une grande troupe composée de Rouges et de Blancs et marchera contre le roi de Babylone (Irak)». Nous y sommes, le peuple irakien agonise.
La bataille de poitiers dans l´imaginaire européen
Ces quatrains ont été écrits au seizième siècle par Michel de Notre-Dame dit Nostradamus. C'était l'époque de la chape de plomb de l'Eglise et les hommes étaient amenés à se préoccuper de leur salut. C'était encore l'époque où l'Inquisition battait son plein. Les croisades étaient loin, il fallait réveiller le chrétien de sa torpeur. On peut penser que Nostradamus voulait être dans l'air du temps. L'Islam redevenait la cible, d'autant qu'historiquement parlant, la poussée des Turcs avait mis fin à l'empire chrétien de Constantinople en 1453. La prise de Grenade en janvier 1492 fut le prélude à la «Reconquista» hors d'Espagne. Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille menèrent leur croisade au Maghreb (Oran fut occupé en 1509, Alger en 1518). Ce fut ensuite la bataille de Lépante menée par la Sainte ligue mise en place par le pape.
Bien plus tard, dans un article paru dans la revue Foreign Affairs, Samuel Huntington avait «prédit» lui aussi, le clash des civilisations, notamment l'affrontement inévitable de l'Islam et de l'Occident chrétien. Depuis, tout ce qui se passe est, d'une façon ou d'une autre, rattaché à cette prophétie.(3).
Le fanatisme reproché à l'Islam n'est pas un monopole de cette religion. Les musulmans respectèrent, toujours, la foi et les Lieux Saints des autres religions monothéistes, comme le Coran leur en fait un devoir. Du temps où l'éthique des Européens se réclamait de la religion, c'est en son nom qu'on légalisait les actes de brigandage. La déviation du christianisme a permis de commencer avec les Croisades contre l'«Infidèle», de continuer avec la «christianisation» des Indiens en les tuant après les avoir «baptisés» à la chaîne, et d'exterminer les Peaux-Rouges en chantant des cantiques de la Bible.
En Europe même, sous prétexte de pureté du Dogme, on massacra les Albigeois au cri du légat du pape Innocent III, Simon de Montfort: «Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens». C'est-à-dire, pour être sûr que pas un «hérétique» n'échappe au massacre, il fallait tuer tout le monde. Pourquoi ce fanatisme «religieux»? Parce que les Albigeois étaient des bourgeois cousus d'or. À la Saint-Barthélemy aussi, le fanatisme «religieux» fut payant. D'abord raison d'Etat: «Un Roi, une Foi». Les Huguenots étaient des bourgeois pleins d'écus, cela valait la peine de les égorger.
Non, ce n'était pas «le christianisme en tant que tel» (le christianisme n'étant après tout qu'une religion comme une autre), mais la religion du Veau d'Or, et c'est pour cela que le fanatisme européen n'est pas plus religieux qu'idéologique, au contraire de celui de l'Islam et d'autres religions.
N'est-il pas remarquable, écrit Alain Ruscio, que certains éléments constitutifs de la culture historique des Français soient intimement liés à des affrontements avec le monde arabo-musulman? Dans l'ordre chronologique : Poitiers, Roncevaux, Saint Louis et les Croisades...La bataille de Poitiers, en 732 (qui, par parenthèse, semble avoir eu lieu en 733 !). Le mot de Chateaubriand résume l'une des idées reçues les mieux ancrées de notre épopée nationale: «C'est un des plus grands événements de l'Histoire : les Sarrasins victorieux, le monde était mahométan.» Sous-entendu : ce jour-là, la civilisation a triomphé de la barbarie. (4).
Et, de fait, la bataille de Poitiers a été présentée à des générations d'écoliers comme constitutive de la nation française. Charles Martel est devenu, dans la mémoire collective, le symbole du rempart de la chrétienté. L'image des hordes déchaînées de barbares «mahométans» venant se briser, par vagues, sur les solides défenses franques reste imprégnée dans bien des esprits. Plus près de nous, au lendemain du 11 septembre 2001, un journaliste du Figaro, Stéphane Denis, expliquait tranquillement que l'Occident n'avait pas à avoir honte des croisades. Et, argument suprême,: «Je n'ai jamais entendu un Arabe s'excuser d'être allé jusqu'à Poitiers.» (5).
Pourtant, des études historiques qui font autorité s'accordent à réduire la portée de la bataille. La conquête arabe a été une réalité. Mais le raid sur Poitiers visait surtout à piller Tours et les richesses de l'abbaye Saint-Martin. Attaque puissante. Mais sans but de conquête territoriale, sans ambition de domination politique durable.(6).
L'historien Henri Pirenne écrit à ce propos: «Cette bataille n'a pas l'importance qu'on lui attribue. Elle n'est pas comparable à la victoire remportée sur Attila. Elle marque la fin d'un raid, mais n'arrête rien en réalité. Si Charles avait été vaincu, il n'en serait résulté qu'un pillage plus considérable.» Le reflux arabe fut sans doute plus lié aux problèmes internes d'un empire très jeune mais déjà immense, une sorte de crise de croissance, qu'aux coups martelés par Charles.(7).
Un autre mythe à la charge des Arabes : Roncevaux, à l'été de 778. la Chanson de Roland, dans le célébrissime «Lagarde et Michard» et les exploits des preux chevaliers carolingiens Roland et Olivier face aux Sarrasins fanatiques attaquant en nombre. Or, si nul ne conteste que la bataille de Roncevaux eût vraiment lieu, on sait depuis longtemps que Roland est tombé face à des guerriers (on dirait aujourd'hui des guérilleros)...basques.(8).
«Pourquoi une telle partialité?» poursuit Alain Ruscio. L'explication est dans les dates. La Chanson de Roland fut écrite au début du XIIe siècle. Elle retrace des faits... de la fin du VIIIe ! C'est dire si le fantasme bien ciblé peut faire recette quand il s'agit de diaboliser l'ennemi de toujours.
Toujours dans le cadre de cette lutte entre l'Orient et l'Occident, nous citerons un personnage de légende: le Cid Campéador (Essayed en arabe). Il s'agit de Rodrigo Viaz de Vivar, qui a effectivement existé. La légende en a fait le Cid, et toute la pièce de Corneille est articulée autour de la lutte contre les Maures, lutte qui n'avait pas pour le Cid, la vision réductrice à une guerre de religion, décrite avec force détails par Corneille. La seule vérité de cette pièce, en dehors de son romantisme, est la présence de Chimène qui a effectivement existé.
Les croisades perpétuelles
Voyons, en fait et à titre d'exemple, comment les Arabes se comportèrent envers des chrétiens assiégés, quand ils mirent pour la première fois les pieds sur la Péninsule ibérique. C'était en avril de l'an de grâce 713. Les armées musulmanes victorieuses, venant de Séville, avaient atteint la province de Murcia. Le chef des armées wisigoths en Andalousie, Teodomiro, s'était retranché à Orihuela, où l'assiégea le fils de Muza, Abdelaziz. «Grande fut sa surprise voyant les murailles de la ville couronnées d'une masse de guerriers. Il se préparait, nonobstant, à donner l'assaut, quand il vit sortir de la cité un jeune gaillard qui, se dirigeant vers lui, sollicitait un entretien de la part du caudillo godo (chef wisigoth). L'Arabe le fit entrer sous sa tente, écoutant avec la plus grande courtoisie les propositions de paix du caballero chrétien. Et en cette célèbre entrevue se rédigea un document des plus curieux de cette époque, dont voici le texte:
«Ecrit d'Abdelaziz, fils de Muza, pour Tadmir ben Godos (Teodomiro, fils des Wisigoths) : que la paix lui soit accordée, qu'elle soit pour lui une stipulation et un pacte de la part de Dieu et de son Prophète, à savoir : qu'il ne se fera guerre ni à lui ni aux siens ; qu'il ne sera dépossédé ni aliéné de son royaume ; que les fidèles (ainsi se nommaient les Arabes) ne tueront, ni mèneront en captivité, ni sépareront les chrétiens de leurs femmes et enfants ; ni leur feront violence pour ce qui concerne leur religion; que leurs temples ne seront pas incendiés (...) sans autres obligations de sa part que celles stipulées ci-dessous...»
Passions ou fanatisme religieux, intérêts commerciaux, désir d'utiliser les circonstances exceptionnellement favorables, tout cela a contribué à la détermination de l'Espagne mettant en oeuvre sa Reconquista, qui a de ce fait rendu ces expéditions inévitables. En l'espace de 20 ans de 1494 à 1516, l'Espagne a réalisé l'essentiel de ses conquêtes. Ainsi, en 1505, une armada espagnole s'empare de Mers El Kébir. Le marquis de Comares dirige l'expédition, et après avoir fait nettoyer la grande mosquée, la fit bénir le jour de son entrée comme église sous l'invocation de Saint Michel Archange.(10). En Espagne, les musulmans et les juifs durent se convertir sous peine d'inquisition au christianisme. Comme l'écrit H. Tincq : «L'Inquisition fera si bien ses preuves au Moyen Age que tous les Torquemada de la terre n'auront qu'à recopier les recettes de Guillaume Raymond, Pierre Durand, inquisiteurs à Narbonne ; de Bernard Guy, maître général des Dominicains, inquisiteurs à Toulouse». (11).
La procédure concernant les musulmans et les juifs ne s'éteignit qu'avec les dernières expulsions entre 1609 et 1614 des Andalous et des Tagarins vers le Maghreb, principalement l'Algérie : Alger, Bédjaïa, Tlemcen, Constantine. L'inquisition n'était pas un phénomène marginal. C'était tout le peuple espagnol qui était conditionné par les Dominicains à l'intolérance et au mythe de la pureté de la race, sous le regard indifférent, voire complaisant et complice de l'Eglise.(12).
Plus tard, les rapports de la Régence avec la France n'ont jamais été sereins ; Louis XIV sut, certaines fois, joindre l'utile à l'agréable...à Dieu. C. A. Julien écrit : - La grande habileté de Louis XIV fut de faire sa croisade à peu de frais, en se plaçant au point de vue national. Les expéditions contre les Barbaresques, inspirées pour des raisons purement commerciales, lui permirent de répondre aux voeux de la Chrétienté, qui murmurait, en se posant en champion de la foi, contre les Musulmans. -.(13)
Dès 1827, le marquis de Clermont Tonnerre, ministre des Affaires étrangères de Charles X écrivait : - La providence a permis que Votre Majesté fut brutalement provoquée, dans la personne de son consul, par le plus déloyal des ennemis du nom chrétien. Ce n'est peut-être pas sans des vues particulières qu'elle appelle ainsi, le fils de Saint Louis à venger à la fois la religion, l'humanité et ses propres injures. En résumé, la guerre est commencée contre Alger, elle doit être terminée de façon honorable pour la France. Alger ne vit que par la guerre qu'elle livre aux puissances chrétiennes, Alger doit périr si l'Europe veut être en paix. C'est pour tous ces motifs, que je supplie Votre Majesté... de prendre une détermination par suite de laquelle vous vengerez la Chrétienté en même temps que vos injures -.(14)
Lorsque les Français, en 1830, entreprennent la conquête de l'Algérie, ils sont dans un état d'esprit prédisposant à une nouvelle guerre sainte. Non que la motivation religieuse ait été première. Mais l'hostilité à la «fausse religion» imprègne toute la société française. Les événements de la conquête, puis de la «pacification» de la colonie nord-africaine, ne vont pas l'amoindrir. Il y eut, cependant toujours des Français pour saluer la majesté de la civilisation musulmane, la beauté de ses réalisations, pour observer sans a-priori les populations arabes ou berbères. Ou cette phrase de Lamartine, écrite en 1833 : «Il faut rendre justice au culte de Mahomet qui n'a imposé que deux grands devoirs à l'homme : la prière et la charité. (...) Les deux plus hautes vérités de toute religion.»
Du temps de l'invisibilité de l'Islam, les immigrés devenus européens ou américains - on parlera toujours à leur propos de l'origine -, étaient tolérés. A partir du moment où l'Islam réclame sa part dans l'espace public, comment rien n'est prévu pour lui, chaque revendication de respect des canons de l'Islam est l'objet d'un véritable débat social. Les gouvernants de gauche ou de droite ont toujours instrumentalisé l'Islam et ont «joué sur les peurs» pour être en phase avec la grande majorité de la société.
Comment être musulment en Occident aujourd´hui?
Ceci a démarré après la révolution iranienne, on s'est mis à parler de l'Islam en le diabolisant. La société européenne qui était globalement a-religieuse et était définitivement «sortie de la religion» selon le mot de Marcel Gauchet, redécouvre qu'elle est d'essence chrétienne à partir des années 90. Le philosophe Michel Foucaud racontait à ce propos «qu'en 1968, quand il faisait un cours sur les religions, les étudiants lui riaient au nez, maintenant dit-il, c'est l'inverse». Paradoxe important, les Français pour parler d'eux se bricolent leur propre parcours religieux faisant de la ou les religions «les supermarchés du croire», où ils ne prennent pour leur viatique existentiel que ce qui les intéresse. Pourtant, l'influence négative des médias, et les politiques ambiguës des gouvernants, font que face à l'Islam, ils opèrent un véritable dédoublement, ils redeviennent croisés contre le péril vert.
Les chrétiens s'interrogent à juste titre : ils veulent savoir d'où ils viennent. «Nous sommes dans une période identitaire, analyse Odon Vallet, spécialiste des religions. Il y a vingt ans, les chrétiens jouaient la discrétion. Aujourd'hui, l'Eglise cherche à s'affirmer dans le débat public. Elle veut montrer qu'à côté du Ramadan, il y a aussi le carême.» Elle se bat contre «Halloween» la fête importée des Etats-Unis, et met en place un slogan : «Holy winn», le sacré - sous-entendu chrétien - vaincra», elle fait rentrer la techno dans une église à Metz. Pour la première fois depuis bien longtemps, l'église fut pleine. Peu importe si les jeunes ne croient pas, comme certains l'affirment.
D'ailleurs, avec une complicité suspecte dans une république laïque censée être équidistante des religions, l'Eglise déclare son intention d'évangéliser sous les yeux indulgents des reporters et des pouvoirs publics. On en parle déjà comme de «JMJ bis» (Journées mondiales de la jeunesse). Pour la première fois depuis sept ans, l'Eglise catholique organise, du samedi 23 octobre au lundi 1er novembre, dans toutes les églises, une manifestation internationale de foi, intitulée Toussaint 2004. Des milliers de Parisiens, chrétiens ou non chrétiens, sont conviés à ce rendez-vous de la «nouvelle évangélisation».
Il n'est pas difficile d'imaginer que de jeunes beurs français tentent de faire du prosélytisme sur les trottoirs parisiens, comme l'ont fait les jeunes catholiques, Tous les bien-pensants de droite comme de gauche, les philosophes autoproclamés crieraient à l'invasion. C'est un fait qu'en dehors des éruptions fréquentes des extrémismes de plus en plus en Europe, en règle générale, si les immigrés de confession musulmane rentrent dans le moule, et que leur religion soit réellement invisible, ils peuvent vivre dans des conditions matérielles autrement plus correctes que celles qu'ils avaient dans leur pays d'origine. C'est un fait aussi que les immigrés musulmans ont, pour certains, abdiqué l'islam sans pour autant être chrétien.
Pour d'autres, ils cherchent, c'est le grand écart, le compromis, tenir à une liturgie islamique au rabais, tout en tentant d'être invisibles pour mériter le label de musulman moderne. D'autres, enfin, poussés par le désespoir d'une vie matérielle ratée, puisque la société dans laquelle ils vivent ne leur fait pas de place, se réfugient dans la religion qui leur sert d'exutoire, voire de seules certitudes, ils peuvent, alors, être poussés à faire des actes délictueux qu'ils présentent comme des commandements religieux vis-à-vis d'un milieu occidental qui les agresse au quotidien.
On se souvient de la diabolisation par l'Occident de l'affaire Salman Rushdie, auteur des «versets sataniques» et du tollé occidental quand une fetwa de Khomeiny avait mis sa tête à prix. C'était l'une des premières agressions contre l'Islam, restée d'ailleurs sans suite puisque le gouvernement iranien a été contraint de lever cette fetwa. Plus près de nous le cas du cinéaste hollandais Theo Van Gogh, assassiné le 2 novembre 2004 pour avoir réalisé un film-brûlot contre l'Islam. Ce journaliste renvoyé de nombreux journaux, magazines et revues néerlandais, pour propos diffamants, s'est découvert une carrière de réalisateur en mettant en scène, avec l'aide d'une députée néerlandaise «musulmane» d'origine somalienne, ce film «Submission» où il montre le dos nu d'une femme lacérée et tatouée de versets du Coran.(15). Les Pays-Bas que l'on croyait immunisés contre la «peste brune», redécouvrent la «nuit de cristal» vis-à-vis des musulmans, ils incendient des écoles et des mosquées. «Nous devons nous demander si nous n'avons pas été naïfs ces dernières années, si nous n'avons pas pendant longtemps accepté n'importe qui, l'Europe ne doit pas devenir le bouillon de culture du terrorisme musulman», a déclaré Rita Verdonk, la ministre de l'Immigration des Pays-Bas, le mercredi 10 novembre, à Groningue, Ces deux «affaires» mettent en exergue un principe oublié: la diffamation et le délit et le blasphème. Ce dernier a pratiquement disparu en Europe. Ce qui a permis à toutes les Oriana Fallaci et à tous les Michel Houllebecq de l'Europe, d'injurier l'Islam à longueur d'écrits. En fait, la République pour affirmer son pouvoir s'est prémunie contre ces dérives: il y a des délits contre tout; injures contre les policiers dans l'exercice de leur fonction, outrage à magistrat, mieux encore, les injures à caractère raciste, et plus récemment, le délit spécifique de l'antisémitisme. On peut donc, au nom de la liberté de penser, injurier, de blasphémer sans fin, en principe pour toutes les religions, en réalité seul l'Islam est visé. Ceci est un véritable problème, car en fait on respecte la force visible, et il est de bon ton de se dire «libéré» de la religion, considérée comme archaïque. Pour illustrer l'ambivalence d'une république qui surfe sur les peurs, le cas du foulard dit «islamique» est symptomatique d'une société qui n'accepte pas le compromis et s'arc-boute sur une laïcité ringarde qui n'est naturellement pas en phase avec le nouveau visage de la société française qui a culturellement et culturellement changé. En 1905, Le vis-à-vis de la république était l'Eglise. Le modus vivendi a été progressivement trouvé, la République ayant laïcisé les attributs qui segmentent la vie du Français. Ainsi cinq jours fériés sur dix (remarquons la parité) sont des fêtes chrétiennes (Noël, Pacques, Ascension, Assomption, Toussaint) et naturellement le dimanche: le jour du Seigneur. Souvenons-nous en décembre 2003, du tollé provoqué par le rapport de Bernard Stasi. Ce dernier voulant donner «quelque chose en compensation» suite à la proposition de l'imposition de l'interdiction du foulard, avait proposé de déclarer jour férié, la fête de l'Aïd El Kebir. Cette proposition fit long feu. En fait, est-ce que la République qui veut appliquer la laïcité, toute la laïcité, rien que la laïcité, est prête à une semaine de quatre jours, respectant ainsi, le repos hebdomadaire de chaque religion du Livre?
Pour un gain très relatif (la possibilité pour des jeunes filles d'enlever, à l'école, un voile dont elles ne veulent pas, mais qu'elles doivent remettre en sortant), on accepte par le vote de cette loi en février 2004, un «sacrifice» aussi lourd que la déscolarisation de plusieurs autres filles voilées ; De plus, la contrainte de la loi a amené certaines filles à se raser la tête, obéissant à la laïcité et à la religion, préférant ainsi l'humiliation à l'apostat pour ne pas perdre le bénéfice de s'émanciper par l'instruction. Curieusement une voix discordante est venue de là où l'on s'attendait le moins à la voir paraître. En effet, en octobre 2004, Nicolas Sakozy qui, en tant que ministre de l'Intérieur, a mis une politique de chasse au faciès musclée, publie un livre où, courageusement, il propose que les lieux de culte musulmans soient pris en charge financièrement par l'Etat pour tarir les sources de financement prosélytes externes. On l'aura compris, ce livre a été ignoré si ce n'est par le site de Proche-Orient infos, connu pour sa croisade ou plutôt son khérem biblique contre l'Islam, dirigé par Elisabeth Chemla qui s'insurge, au nom de la séparation des pouvoirs de la république et de la religion. Il arrivera un moment pas très éloigné où les musulmans seront pourchassés par les nouveaux Torquemada. Le malheur du monde, voire l'apocalypse du monde, viendra de l'alignement injuste et inconditionnel de l'Occident chrétien sur Israël qui défie la communauté internationale et humilie chaque jour un peu plus, le milliard et demi de musulmans. S'agissant des musulmans en Europe, il est indéniable que s'ils veulent vivre à l'ombre des lois de la république, qu'ils donnent une image apaisée de la religion musulmane sans compromis ni compromission. Cela est possible par le dialogue qui sous-tend naturellement une compétence qui portera le débat sur le plan des idées. Il faut faire en sorte qu'ils s'adaptent à leur nouveau milieu en étant des citoyens à part entière, prêts à défendre les valeurs essentielles de la République. C'est dur et le cheminement spirituel ne peut être cherché qu'en solitaire. Des «philosophes» va-t'en-guerre comme M.Finkielkraut viennent apporter de l'eau au moulin de la haine. L'essor du mouvement dit «populiste», nationaliste, raciste et xénophobe, en Europe, s'alimente à de semblables délires. Ce qui irrite et inquiète Finkielkraut, c'est qu'au nom de l'humanisme, certains, en Occident, répudient le concept de «choc de civilisations» en niant l'existence même de tout ennemi. «Illusion, car on ne désigne pas son ennemi, c'est lui qui vous désigne.» On l'aura compris qui est l'ennemi. Au contraire, les «intellectuels arabes» surtout ceux qui sont installés en Occident, font de leur reniement identitaire un combat, en tentant à tout prix de faire dans «l'intellectuellement correct» dans leur pays d'adoption pour s'attirer les bonnes grâces. Ainsi, à titre d'exemple, beaucoup parmi eux, décidément plus royaliste que le roi en rajoutent, ils deviennent le pourfendeur «par procuration», du moins le croit-il, de tous ceux qui sont, par exemple, contre la laïcité. Pourtant, ces intellectuels devraient nous faire part de la dilution de leur identité. Comme l'écrit si bien Albert Memmi parlant de la mentalité de ces «anciens colonisés» qu'ils s'auto-détruisent symboliquement pour renaître dans une identité qui n'est pas la leur.
(1). Bartolomé de Las Casas, Historia de Las Indias, Mexico 1951, tome III, page 363, page 199.
(2). J.Giebel : Prophezeiungen im Spiegel wissenschaftlicher fakten und prognosen.Editions Ariston Verlag,genf, (1981). Prophéties face à la Science.p.130. Editions Sand et Tchou. Paris. 1983.
(3).S. Huntington. The clash of civilisations. Foreign Affairs. Mai (1994)).
(4).Alain Ruscio. Des Sarrasins aux Beurs, une vieille méfiance Le Monde Diplomatique, février 2004.
(5). Le Figaro, 24 septembre 2001.
(6). Jean-Henri Roy et Jean Deviosse, La Bataille de Poitiers, Gallimard, Paris, 1966.
(7). Henri Pirenne, Mahomet et Charlemagne, Alcan, Bruxelles, NSE, 1936.
(8).Manuel de littérature utilisé dans les années 1960-1970 par les élèves depuis la 6e jusqu'à la terminale.
(9). Modesto Lafuente, Oeuvre cité, tome II, pages 91 et 132.
(10). Suarez : Mers El Kébir.Revue Africaine.Vol.9.P.345. (1865).Réédition O.P.U. (1985).
(11). H.Tincq. Les milices de Dieu à l'assaut des nouveaux mondes. Courrier International. p.10. 22juillet (1999).
(12). H.A.F. Kamen. The spanish Inquisition. London. (1965). Trad.Fr. L'inquisition espagnole. A. Michel. (1966)
(13). Ch.A. Julien. Histoire de l'Afrique du Nord. Tome 2. p. 287Ed.Payot Paris. (1952).
(14). Marquis de Clermont Tonnerre : Rapport au Roi, le 14/10/1827.Revue Africaine.Vol.70, p.215, (1929)
(15).Courrier International n°732, p.14. du 10 au 17 novembre 2004


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