La terre kabyle, c'était le véritable amour de sa vie. Il l'écrivait et le ressassait dans tous ses livres. Il le disait interminablement à ses amis et à la poignée de personnes qui lui rendaient visite chez lui ces dernières années, dans son village natal Tassaft Ouguemoun. Chabane Ouahioune a rejoint finalement cette terre bien-aimée, adulée et vénérée dont il savait la vraie valeur. Il est l'un des derniers écrivains de Kabylie de sa génération. Lui, Mammeri, Feraoun, Bittam, Fadhma Nath Mansour, Malek Ouary, etc, ont raconté la Kabylie profonde, chacun à sa manière. Différemment certes et avec des talents inégaux, mais tous ont chanté avec verve cette région, ses traditions, sa culture et tout simplement sa vie quotidienne. Chabane Ouahioune aurait pu écumer continuellement les médias et exhiber à tout bout de champ ses livres pour devenir beaucoup plus célèbre qu'il ne l'est. Mais une telle attitude aurait pu être en totale contradiction avec sa nature de montagnard discret, bien instruit de surcroît. Même quand il publiait un nouveau livre, il ne s'empressait pas du tout d'aller accorder des interviews en guise de promotion. Chabane Ouahioune, c'était donc la discrétion incarnée d'abord et avant tout. D'ailleurs, il est plus connu en tant que chroniqueur avec ses inoubliables «Lettres de Kabylie», d'abord à Horizons puis au Soir qu'en tant qu'écrivain relativement prolifique. Mais quand on se donnait la peine d'aller lui rendre visite chez lui dans le village Tassaft Ouguemoun, l'accueil était des plus chaleureux et des plus naturels. Ce n'était pas seulement Chabane Ouahioune qui l'était mais même sa femme et tous les voisins savaient être affables pour mettre à l'aise le visiteur, quel qu'il soit. C'était le cas lors de notre dernière visite en septembre dernier. C'était la dernière rencontre avec l'auteur de «Tiferzizwits ou le parfum de la mélisse». Malgré son état de santé (il ne pouvait pas quitter son lit), il a gardé tout de sa jovialité, de son sourire et même de son sens de l'humour. Même le corps affaibli, l'esprit de Chabane Ouahioune était presque le même. La seule chose qui avait changé ce jour-là, c'était son incapacité à raconter pendant des heures ce que fut la Kabylie durant toutes les tranches d'âge qu'il a eu à vivre, des années quarante à nos jours. Cette dernière rencontre avec Chabane Ouahioune restera indélébile plus que les précédentes car il n'y en aura plus d'autres. Mais Chabane Ouahioune est le genre d'homme qui reste vivant dans les esprits et pas seulement. Grâce à ses livres qu'on pourra lire et relire avec la même succulence, il demeurera avec nous. S'empresser alors à acheter ses livres pour les lire au moment voulu est la meilleure chose à faire après son départ pour l'éternité. Même si, pour bon nombre d'entre ses ouvrages, il faudrait aller fouiner chez les bouquinistes les plus fournis car non disponibles dans les librairies à cause du problème d'absence de réédition. C'est le cas de «Parmi les collines invaincus», «Itinéraires brûlants», «Ce mal des siècles»... Etant publié récemment, son dernier livre «L'aigle et le rocher» est toutefois disponible partout. Mais pas pour longtemps car les livres de Chabane Ouahioune finissent par se volatiliser des étals en peu de temps. Ses lecteurs, discrets certes, sont nombreux. Du 22 avril 1922 au 4 avril 2016, Chabane Ouahioune a su vivre près de sa terre, qui a été sa muse tout au long de sa carrière d'écrivain, avant de la rejoindre définitivement pour un monde meilleur, comme on dit. Chabane Ouahioune et la terre enfin réunis, c'est la fin d'un roman qui aurait pu s'appeler: Tassaft.