Lorsque les policiers ramènent le voleur et le receleur dans le même «panier», on peut dire haut et fort que le travail est mâché pour le juge. Haroun B. est un chômeur de luxe qui adore vagabonder dans les grandes artères de la capitale sans attirer l'attention des flics sur lui. Et quand un délit est commis dans les parages, il est déjà loin, -souvent à l'opposé de la ville. C'est une astuce qui éloigne les enquêteurs de son giron. Il est assuré de recevoir une partie du butin la nuit tombée, hors d'Alger ou du moins de la commune d'Alger, on peut citer aisément, Ouled Fayet, Draria, Birtouta, Boufarik (Blida) ou encore Ben Choubène et autres Hammadi (Rouiba).Un appartement a reçu la visite d'étranges personnages à Sidi M'hamed - Alger et la machine huilée de la police judiciaire se met immédiatement en branle: les renseignements recueillis sur place permettent d'avoir une nette idée des voleurs qui ont rendu visite à l'appartement d'Alger. Les malfaiteurs ne prennent aucun risque avec les policiers qui obtiennent tout ce qu'ils veulent savoir. Présentés en comparution simmédiate, les deux voleurs se mettent de suite à table et donnent comme receleur, Haroun B. Ce dernier est évidemment présenté devant le juge heureux comme tout d'avoir le receleur sur qui la police a retrouvé les bijoux dérobés cette fameuse nuit. Le magistrat est ravi d'avoir le receleur en face pour avoir l'équipe au grand complet, une équipe out, abattue dans Alger qui se débarrasse momentanément de bandits des centres urbains ou de la banlieue. Tahar J., Djamel T. et Haroun B. sont debout face au président de la section correctionnelle du tribunal de Sidi-M'hamed-Alger, qui est réputé comme un juge pas facile à manier. Le premier inculpé, Tahar J. est prompt à répondre aux questions du juge, comme par exemple: «Est-ce que vous reconnaissez l'homme ici présent, qui est à votre gauche? -Bien sûr, c'est Farid, le boucher. Je ne le connais que trop! rétorque le premier détenu poursuivi pour vol par effraction, fait prévu et puni par l'article 350 du Code pénal. -Non, ce n'est pas Farid M.mais Haroun. B. rectifie le magistrat qui paraît sûr de lui. -Je suis désolé mais je vous contredis pour la simple raison que je connais cet homme depuis maintenant deux années et demie et pas une seule fois je n'ai entendu les gens l'appeler sous ce patronyme. -Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire montée de toutes pièces par je ne sais qui?» reprend le juge qui voit le procureur de la République lever la main, signe que le parquetier désire prendre la parole afin d'éclairer le tribunal embourbé déjà dans les quiproquos propres aux juridictions. Cela relève de l'autorité du juge du siège Et l'intervention polie du représentant du ministère public va effectivement éclairer le magistrat du siège après les explications: «Monsieur le président, des gens de cette catégorie de malfaiteurs prennent toujours les précautions les plus élémentaires pour semer les enquêteurs sur leurs pistes. Mais chez nous, au parquet, nous avons aussi nos précautions. C'est ainsi que nous savions que l'inculpé de recel, Haroun, emprunte le pseudonyme de Farid le Boucher, mais ce n'est pas important car l'usage d'un pseudonyme est utile pour le receleur car, une fois pris, le voleur nous donnera une fausse coordonnée. Alors Haroun ou Farid, peu importe», récite sans ponctuation, le magistrat pas déstabilisé du tout. Il passe alors à son interrogatoire au sujet de Haroun ou Farid. «Qu'est-ce que vous lui aviez donné, quand et où?» interroge-t-il, juste pour montrer au receleur que le bras de la justice est plus long qu'il ne le croit. Et avant que l'inculpé ne réponde Haroun marmonne: «Je ne le connais pas. Comment pourrais-je ramener quelque chose à quelqu'un que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam et... - Vous, taisez-vous! Personne ne vous a adressé la parole!», ordonne presque violemment le juge, visiblement agacé par le comportement du receleur. Tahar est à l'aise. Il a choisi de coopérer avec la justice: on ne sait jamais. (Ici, il a dû songer aux circonstances atténuantes). Il mâchonne: «Mercredi dernier, il est venu au café avec un paquet, ou plutôt une liasse de billets verts qu'il m'a remis à la porte du café, le plus discrètement possible alors que Djamel jouait aux cartes avec Houssem, le voisin. - Et alors? insista le magistrat qui voulait avancer... - A mon tour, j'ai sorti de la poche de ma veste, un foulard contenant des petits bijoux du butin du méfait commis récemment. Il y avait là des bijoux d'une valeur de 35 millions de centimes en attendant de remettre le reste. Dans ces cas-là, on fait beaucoup attention aux regards des gens... - C'est bon! A vous Djamel! Qu'avez-vous à dire dans cette affaire, ou à ajouter? -Rien qui puisse venir grossir les propos de Farid, le Boucher. -Il ne reste que Haroun, Farid, Ali, Madjid ou Rabah, peu importe le prénom du receleur! Vous voulez dire quelque chose pour votre défense? C est le moment et le bon! - Rien, je suis innocent et ce n'est pas un rat comme ce Tahar qui me fera parler. Et puis parler de quoi? - Commencez par retirer l'insulte que vous venez de proférer à l'encontre de votre copain. Ce n'est pas poli d'évoquer un «rat» dans une salle d'audience! Parlez-nous un peu du lot de bijoux que les policiers ont trouvé sur vous, voulez-vous? -Je m'excuse, monsieur le juge. Et puis, je n'ai rien à ajouter pour un citoyen honnête et innocent comme moi. Les bijoux, quels bijoux? Ils n'ont rien trouvé du tout, c'est une machination... - C'est très bien! monsieur le procureur, vos demandes, SVP! lâche le juge, au bord de la lassitude face à ce coriace inculpé. «Haroun B. 3 ans ferme et 10.000 DA d'amende. Tahar et Djamel pour vol commis la nuit dans un appartement dont les occupants étaient absents, 4 ans d'emprisonnement ferme et 250.000 DA d'amende aussi ferme», récite le parquetier sans état d'âme. Sur le siège, le magistrat inflige la peine requise par le procureur, car les faits étant têtus et graves, la loi doit être appliquée dans toute sa rigueur.