On évoque trop souvent Nouara, qui est également une icône, mais on oublie Hnifa. Pourtant, Hnifa symbolise parfaitement la chanson kabyle féminine de par sa voix unique et ses chansons légendaires pour les anciennes générations de fans constituées surtout de la gent féminine. Hnifa, morte très tôt, décédée le 23 septembre 1981, n'a pas eu la chance de vivre à l'époque des nouvelles technologies qui permettent une meilleure transmission de tout ce qui est artistique. Malgré cela, Hnifa, pour ceux qui savent écouter, reste indéniablement l'interprète d'un grand nombre de chansons immortelles devenues des airs qu'on fredonne à ce jour. Certains de ses refrains sont même devenus des citations pour illustrer certaines situations vécues. C'est le cas par exemple du titre de l'une de ses célèbres chansons «Derayiw itsikhedmen» ou encore «Azahriw anda theddidh». La vie de Hnifa ayant commencé un certain 4 avril 1924 dans le village Ighil Larbaâ près d'Azeffoun a été tumultueuse. Et ce sont sans doute ses tourments, ajoutés à sa voix exceptionnelle, qui lui ont permis de graver son nom avec des lettres d'or dans le monde de la chanson. Sa rencontre avec Lla Yamina et Chérifa Son enfance a été faite de privations de toutes sortes (matérielles et affectives) et d'interminables errements de son village vers Alger puis encore vers le village et ensuite vers la France. Mais toutes ces tranches de vie difficile se déroulaient au moment où Hnifa s'adonnait au chant en privé. Sa vie est faite de mariages ratés, d'une succession de morts de tous ses proches et de la douleur que ces épreuves engendraient inéluctablement. Le déclic, au plan artistique, se produit quand elle rencontre l'artiste Lla Yamina. Cette dernière l'introduit de plain-pied dans la voie de l'art pour lequel elle était dotée de tous les atouts. Elle fait la connaissance de la grande et regrettée Chérifa. C'était dans les années cinquante. À la radio et sous la houlette de Cheikh Nordine, Hnifa réussit à s'imposer en peu de temps. Elle y faisait des prestations hebdomadaires. Cheikh Nordine était le chef d'orchestre. En 1957, Hnifa quitte le pays pour fuir une vie qui ne l'a jamais gâtée et qui n'a eu de cesse de la malmener. En France, Hnifa finit par rencontrer Kamel Hamadi qui lui écrit des textes qui sont beaucoup dans le succès de ses chansons car ces dernières étaient d'abord et avant tout thématiques. C'est ainsi que Hnifa enregistre son premier duo avec Kamel Hamadi, devenu un véritable hymne à l'amour. Cette chanson s'intitule «Yidem yidem». Le succès de cette chanson est extraordinaire. Des chansons indémodables Après la réussite de ce premier essai, Kamel Hamadi s'inspire de la vie douloureuse de Hnifa pour lui écrire plus d'une dizaine d'autres chansons. Toutes sont devenues d'énormes succès et restent à ce jour des références dans le registre de la chanson kabyle féminine. Hnifa a chanté sur la condition de la femme kabyle à l'époque en s'inspirant de sa propre existence jonchée d'épreuves insurmontables. Le succès et l'immortalité des chansons mythiques comme «Azahriw anda teddid», «Ayafroukh-iw», «Derrayiw», «Yidek, yidek», «Yessethma khaqegh», etc. ne résident pas seulement dans la qualité de leur support musical ou dans leurs textes très raffinées, mais plutôt et surtout dans la voix empreinte de magie et de mélancolie dont était dotée Hnifa. Près de quarante après ans le décès de Hinfa, la majorité de ses chansons n'a pris aucune ride malgré le fait qu'une femme d'aujourd'hui serait surprise et étonnée d'apprendre en écoutante les chansons de Hnifa, combien était différente la vie des femmes de l'époque. Différente, mais surtout éprouvante, à la limite de l'asservissement. Avec Chérifa et Nouara, Hnifa est considérée comme la plus belle voix féminine kabyle. Une belle voix qui a chanté la douleur jusqu'à mourir dans la solitude absolue, en exil, et dans la misère. Hnifa, c'est la bougie qui a brûlé pour éclairer ses fans.