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Hommage à un Philosophe-Humaniste
190e anniversaire de la moubayaâ à l'Emir Abdelkader
Publié dans L'Expression le 27 - 11 - 2022

Cet évènement qui eut lieu il y a de cela 190 ans jour pour jour, sur la plaine de Ghris sous l'arbre mythique de la Dardara, sonna le début de la longue résistance algérienne face au colonialisme français et marqua, à bien des égards, la naissance de l'Etat algérien moderne. En effet, l'émir réussit en quinze années de gouvernance (1832-1847) à unifier les populations algériennes sous la bannière d'une même autorité politique. Il dota également le pays d'une armée qui parvint à tenir tête à la plus grande puissance coloniale de l'époque, il bâtit des écoles, mit en place une justice, un système de police et d'impôts.
Bien que la date du 27 novembre 1832 soit méconnue de beaucoup de nos compatriotes, celle-ci représente pour nombre d'historiens une date charnière dans l'histoire de l'Algérie contemporaine. C'est en ce jour que le jeune Abdelkader, âgé alors d'à peine 24 ans, fut désigné par un consortium de tribus de l'Ouest «Commandant des croyants» (Emir al-mu'minîn). Cet évènement qui eut lieu il y a de cela 190 ans jour pour jour, sur la plaine de Ghris sous l'arbre mythique de la Dardara, sonna le début de la longue résistance algérienne face au colonialisme français et marqua, à bien des égards, la naissance de l'Etat algérien moderne. En effet, l'émir réussit en quinze années de gouvernance (1832-1847) à unifier les populations algériennes sous la bannière d'une même autorité politique. Il dota également le pays d'une armée qui parvint à tenir tête à la plus grande puissance coloniale de l'époque, il bâtit des écoles, mit en place une justice, un système de police et d'impôts.
C'est en son temps aussi que vit le jour le premier drapeau algérien et que fut imprimée la première monnaie nationale. On comprend à partir de là pourquoi l'émir Abdelkader fut dès le lendemain de l'Indépendance considéré comme un symbole de l'unité nationale, voire même un des pères fondateurs de la nation algérienne. C'est en tout cas ce qui ressort de la Charte d'Alger de 1964 du 1er Congrès du FLN (16-21 novembre) qui reconnaît que «par la suppression de la différence entre tribus makhzen et tribus raïa [en vigueur durant la période ottomane], Abd El Kader détruit les anciens rapports d'exploitation établis au détriment des masses paysannes et aspire à unifier dans l'action contre l'ennemi au profit d'une autorité centrale unique du pays [tout] en posant les fondements d'une économie moderne.»
L'aspect historique domine certes sur les autres traits de la personnalité de l'émir. Ceci est un fait. Mais il faut tout de même savoir qu'Abdelkader ne fut pas seulement un chef d'Etat éclairé et un fin stratège militaire. Ses écrits laissent entrevoir une autre facette de l'homme d'exception qu'il fut: celle du philosophe-humaniste. C'est justement à cet aspect de la riche personnalité de l'émir Abdelkader que nous consacrons cette contribution qui se veut un hommage au héros national algérien à l'occasion du 190ème anniversaire de sa moubayaâ.
Un défenseur de la philosophie
À l'image du célèbre philosophe andalou Ibn Rochd / Averroès (1126-1198) qui s'était employé dans son «Discours décisif» (Fasl al-maqâl) à réhabiliter la philosophie en terre d'islam après que celle-ci en a été bannie par les théologiens littéralistes de son époque, l'émir Abdelkader emprunta, sept siècles plus tard, la même voie dans son «Rappel à l'intelligent et avis à l'insouciant» (Dhikra al-'âqil wa tanbîh al-ghâfil). Tout comme le philosophe cordouan qui était convaincu que l'enseignement de la philosophie était le meilleur moyen de libérer la raison islamique du mimétisme dans lequel on l'avait enfermée, le «Rappel à l'intelligent» de l'émir nous fait découvrir un intellectuel admiratif de la Sagesse et des philosophes aussi bien arabes qu'européens. «Les savants grecs - écrit-il - étaient désignés sous l'appellation de ''philosophes''; dans leur langue, ''philo'' signifie ''aimer'' et ''sophia'' renvoie à la ''sagesse''; le ''philosophe'' est donc celui qui ''aime la sagesse''. Ils ont rédigé dans différents domaines du savoir; ce fut les êtres les plus nobles tant ils prenaient soin de l'art de la Sagesse [...] toutes les sciences rationnelles leurs sont attribuées dans la mesure où ils en furent les précurseurs.» (Rappel à l'intelligent, p. 119). Dans la même lancée, l'émir ne manque pas de nous rappeler le rôle primordial que les premiers souverains musulmans ont joué dans la préservation de l'héritage philosophique grec, en particulier le calife al-Ma'mûn (813-833). Ce fut justement ce souverain féru de philosophie qui érigera en 832 à Bagdad la «Maison de la Sagesse» (Bayt al-hikma) qu'il mit au service des érudits musulmans, juifs, chrétiens et zoroastriens pour la traduction des patrimoines grec et indien. L'émir consacre à ce dernier l'apologie suivante: «al-Ma'mûn écrit aux rois byzantins leur demandant de lui adresser des copies des ouvrages des philosophes; ils lui envoyèrent des exemplaires des traités de Platon, d'Aristote, de Socrate et de bien d'autres [...] il mit au service de ces ouvrages les traducteurs les plus habiles [...] puis imposa au peuple de les lire et encouragea leur apprentissage.» (p. 108-109)
Un anticonformiste
La considération que l'émir témoigne aux penseurs grecs et arabes et le respect qu'il voue aux souverains musulmans en ayant préservé l'héritage nous laisse entrevoir son penchant naturel pour la philosophie. Cette idée se confirme à la lecture des lignes qu'il consacre à la défense de l'intellect et, par ricochet, à la liberté de pensée. «Dieu a honoré l'humain et l'a distingué par un attribut plus noble que tous les autres: la raison» écrit-il dans son «Rappel à l'intelligent» (p. 35). Avant d'ajouter à ce sujet que «la raison est la source du savoir [...] le savoir est par rapport à la raison ce qu'est le regard par rapport à l'oeil [...] la raison est plus noble que l'oeil dans la mesure où le regard ne s'appréhende pas lui-même tandis que la raison s'appréhende elle-même.» (p. 36)
À partir de là, l'émir n'hésite pas à adresser aux «ignorants qui appellent les gens à réfuter le rôle de l'intellect» (p. 53) l'invective suivante: «La religion ne peut se passer de la raison [...] prenez garde à croire que les sciences de la religion soient réfractaires aux sciences de la raison!» (p. 54) Il adopte la même attitude à l'égard des «conformistes qui appellent les hommes à les suivre aveuglément» lorsqu'il leur rappelle que «tout homme, du seul fait qu'il soit homme, est apte à comprendre les vérités; car l'esprit, siège de la science, est par rapport aux vérités ce qu'est par rapport aux formes le miroir qui les reflète successivement.» (p. 7)
Partant de cet axiome, l'émir Abdelkader affirme le caractère infondé de l'attitude frileuse de certains religieux face aux progrès de la modernité et à l'évolution des idées, au prétexte fallacieux qu'ils constitueraient une «innovation» par rapport au legs des Anciens. «Il ne se trouve pas une sentence plus préjudiciable pour le savoir que celle qui consiste à dire que les Anciens n'ont rien laissé [à découvrir] aux contemporains - écrit-il en substance - car cette parole décourage d'ajouter de nouvelles connaissances au legs des Anciens [...] et en cela se trouve un grand péril.» (p. 102). Pour appuyer ses propos, l'émir invoque les vers suivants d'Ibn Charaf al-Qayraouânî (1000-1067), poète arabe qui vécut à Séville au 11ème siècle:
«Dis à celui qui n'accorde aucun crédit aux modernes...;
Attribuant tous les mérites aux anciens;
Sache que les anciens étaient à leur époque des modernes;
Et que ces modernes deviendront plus tard des anciens.»
Ce bref aperçu sur l'engouement de l'émir Abdelkader pour la philosophie et la liberté de pensée nous autorise à voir en ce dernier un véritable philosophe-humaniste. Un humanisme dont il a su faire montre tout au long de sa vie, aussi bien en sa qualité de chef militaire à travers le bon traitement qu'il réservait aux prisonniers de guerre, que lors de sa téméraire intervention à l'été 1860 en faveur des chrétiens de Damas qu'il sauva d'un massacre certain.
Autant l'humanisme de l'émir-philosophe nous réjouit tant il témoigne de la richesse de l'intellect algérien, autant on ne peut s'empêcher de s'insurger face à l'absence des sagesses de ce penseur des manuels scolaires de son pays. Avons-nous un jour rencontré un sujet de philosophie au baccalauréat portant commentaire d'une sentence d'Abdelkader?
Ce que nous écrivons au sujet de l'émir vaut bien évidemment pour d'autres penseurs algériens. Est-ce que nos élèves connaissent le philosophe et grand réformateur Mohamed Bencheneb (1869-1929) par exemple ou le casuiste et illustre grammairien Abdelkader el-Medjâoui (1848-1914) dont l'Unesco a célébré en 2014 le centenaire de la mort sous le slogan «astronome, réformateur et défenseur de la langue arabe»? C'est dire encore une fois toute la nécessité d'intégrer le référent identitaire national dans nos manuels pédagogiques et, par-delà, l'urgence d'une réforme de fond de l'Ecole algérienne pour lui permettre de bâtir le citoyen de demain, un citoyen du monde en paix avec lui-même et en paix avec son prochain.
(*) Professeur de droit public à l'université d'Alger I, Directeur de la chaire Unesco Emir Abdelkader pour les droits de l'homme et la culture de paix.


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