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La corruption, l'Etat et le passe-droit
L'AUTRE REGARD
Publié dans L'Expression le 18 - 12 - 2006

Certains responsables grossissaient à vue d'oeil à tel point qu'on avait parlé de trafic et de vol du fameux «Sandouk ettadhamoun».
Boudjerra Soltani vient de lancer une grosse boîte à la mer, déclarant qu'il détenait des dossiers sur des personnalités corrompues. Bouteflika a, lors de son discours devant les walis, menacé, à mots clairs, le ministre d'Etat, couleur Hamas, de connaître les lieux étroits de la justice au cas où il ne dévoilerait pas les dossiers de ces hauts responsables. C'est vrai que jamais l'Algérie n'a connu autant de cas de corruption risquant de fragiliser dangereusement l'équilibre social et institutionnel. Le système bancaire, trop opaque, favorise cette situation préjudiciable à la sécurité nationale. On a trop glosé sur Khalifa sans interroger sérieusement les tenants et les aboutissants d'une affaire tirant sa logique du fonctionnement hermétique et trop peu transparent des institutions étatiques et des espaces financiers.
Ce phénomène n'est pas récent dans notre pays. Déjà, au temps de la colonisation, l'administration proposait des privilèges contre de l'argent ou des biens de consommation. Juste après l'indépendance, certains avaient commencé à marchander pour occuper des «biens vacants». Certes, les moyens n'étaient pas conséquents, mais, déjà, on entamait le jeu de la débrouille qu'une société, trop rurale, marquée par des habitudes peu commodes, acceptait facilement. Et au lendemain de l'indépendance, certains responsables grossissaient à vue d'oeil à tel point qu'on avait parlé de trafic et de vol du fameux «Sandouk ettadamoun». On avait aussi accusé de maversations Khider, Boumaza et Mahsas, qui n'avaient pas le droit de se défendre. Khider finit par être assassiné à Madrid. Boumaza rentre à Alger par la grande porte devenant président du Sénat avant d'y être exclu. Mahsas retourne tranquillement au pays, lavé de tout soupçon.
C'est avec le démarrage de la fameuse politique industrielle que la corruption allait dominer sérieusement le paysage national. Avec la construction de grandes usines, le jeu des contrats donnait lieu à de juteuses transactions. Ainsi, déjà, avant la mise en chantier, des offres sont faites par des entreprises européennes qui savaient par quel bout du nez prendre certains responsables algériens. Les sociétés nationales donnaient naissance à des centaines de sous-traitants, souvent recrutés dans la «clientèle» au bras long, qui s'enrichissaient légalement en se faisant choisir par l'entreprise comme des partenaires privilégiés.
Le jeu des prête-noms et des sociétés-écran allait caractériser le terrain. Les entreprises publiques du bâtiment construisaient gracieusement villas et locaux commerciaux aux responsables. Le choix du dirigeant obéissait à une logique particulière teintée du sceau du tribalisme, du clientélisme et du népotisme. Même Boumediene arrivait à soudoyer des responsables en leur donnant le choix entre l'enrichissement et le pouvoir. Les choses s'étaient aggravées. Ce qui avait poussé Boumediene à justifier la corruption en disant qu'il était normal pour quelqu'un qui travaillait dans le miel d'y goûter. Cette malheureuse image correspondait tout simplement à la réalité de l'Algérie où les postes-clés de l'économie se marchandaient à l'orée des privilèges et des territoires à occuper. Déjà, la période de Boumediene a vu l'enrichissement de nombreuses personnes, responsables centraux, qui ne pouvaient que faire pression sur le président qui avait failli laisser sa place dans la grave crise de 1974 avant qu'il ne se lance dans ses trois fameux discours de Constantine, de Tizi Ouzou et de Tlemcen, dans une campagne contre les «corrompus» qui se trouveraient dans les rouages de l'Etat, sans donner de noms ni opérer des changements. C'était tout simplement un message en direction de ceux qui s'étaient approprié le miel et le pot, les menaçant d'une possible dénonciation publique au cas où ils s'attaqueraient à son pouvoir.
C'est surtout vers les années 80 que les choses s'étaient tragiquement aggravées à tel point qu'un ancien chef de gouvernement, Abdelhamid Brahimi, avait évoqué le détournement de près de 26 milliards de dollars. Cette information, fausse ou juste, avait suscité de très nombreuses réactions et avait même été utilisée dans les campagnes électorales. Pour certains, c'était une opération politique sous-tendue par une attitude rancunière et vindicative et pour d'autres, c'était tout simplement vrai dans la mesure où l'information était fournie par un homme du sérail. Les conséquences des propos de Brahimi allaient marquer gravement la société. La Cour des comptes allait naître et commencer à sortir des noms qui auraient mouillé dans des affaires de corruption. Les procès pour corruption avaient pignon sur tribunaux dans cette période. Au FLN, à l'époque, des militants tentaient vainement d'imposer un slogan qui faisait recette alors dans les rangs de ce parti: d'où tiens-tu cela? En pleine bagarre en 1986 pour le renouvellement de la Charte nationale, Messadia avait même encouragé les journalistes de Révolution Africaine à aborder des dossiers «concrets» de corruption.
En 1976, pendant les discussions sur la Charte nationale, les Algériens avaient surtout insisté sur ce point. En 1988, lors des émeutes d'Octobre, les cibles étaient constituées de lieux connus comme des espaces de corruption. Le phénomène de la corruption voyait son champ s'élargir jusqu'à embrasser toute la société. De nombreux actes commençaient à être monnayés: permis de conduire, de construire, affectations à l'université, concours, décisions de logements, emploi...La loi sur la cession des biens de l'Etat qui a, certes, bénéficié également aux couches moyennes, a été adoptée essentiellement au profit d'apparatchiks qui pouvaient se payer des villas immenses avec quelques milliers de dinars. Ainsi, la solidarité tribale jouait également un rôle extraordinaire dans ce type de pratiques. En Algérie, l'image métaphorique «le café» (équivalent de pot-de-vin) fait fonction de lieu presque normal dans une société travaillée par des réflexes ordinaires.
Les marchés sont, dans de nombreux cas, versés de manière très douteuse. Les directions des prix et de la concurrence de plusieurs wilayas se sont souvent impliquées dans des affaires scabreuses, comme d'ailleurs certaines directions des impôts. Quand un responsable honnête prend la responsabilité d'une direction sensible, il est rapidement l'objet de nombreuses rumeurs malveillantes et de tentatives de corruption. Un directeur du commerce d'une wilaya de l'est du pays s'est vu envoyer une fille qui est sortie du bureau en pleurant donnant l'impression qu'elle avait été harcelée par le directeur en question. La promotion immobilière est le lieu qui suscite le plus la corruption. Terrains, terres agricoles, biens publics en Algérie et à l'étranger, sont squattés. A côté de ces agences foncières, trop peu crédibles, les Assemblées «élues» ont toujours été les lieux centraux de la corruption: gestion des logements sociaux, fournitures de services en tous genres, terrains, marchés juteux et rentes de situation confortablement assurées par des réseaux d'alliance, d'intérêt et de tribu. Le jeu des fausses factures n'est pas absent du terrain. Le logement social a beaucoup engendré ce type de pratiques. D'ailleurs, de nombreux walis, au temps où ils pouvaient disposer de leur quota discrétionnaire des 10%, avaient exagérément abusé de leurs prérogatives. Il y a quelques années, un wali a été condamné à une année de prison pour avoir offert une vingtaine de décisions de logement vierges à un «bras long» qui lui aurait donné un coup de pouce pour le poste de wali. Donc, il est naturellement redevable envers ce «bienfaiteur». D'autres walis vont passer le cap de la prison et évoquent souvent l'existence d'une corruption devenue légale, sinon naturelle. C'est le cas de Frikh et Arar. Beaucoup de responsables de ces structures financières risqueraient de connaître de sérieux problèmes au cas où un travail sérieux était fait: crédits, prêts, lignes de crédit. Comment et dans quelles conditions sont assurées ces prestations? Qui en bénéficie? On parle de milliers de milliards de dinars partis en fumée.
Jusqu'à présent, tous les présidents avaient, du moins en paroles, dénoncé ce mal, mais souvent en recourant à des règlements de comptes politiques. Boumediene fustigeait du bout des lèvres ces «scorpions enfouis dans les structures étatiques», Chadli voulait neutraliser les proches de Boumediene en organisant des procès mettant en cause Bouteflika, Belaïd Abdeslam, Tayebi Larbi, Draïa, Bencherif...qui se voyaient suspendus du Comité Central du FLN et présentés devant la commission de discipline. Messaoud Zeghar, un très riche homme d'affaires, très proche de Boumediene, est arrêté en 1982 avant d'être libéré en 1985. Boudiaf avait parlé de «mafia politico-financière», Bélaïd Abdesslam de «groupes d'intérêts».
On ne sait plus si les procès, du temps de Ouyahia, contre les gestionnaires publics étaient justifiés, même si la presse privée, sans vérifier l'information, s'en était allée «blanchissant» tout le monde alors qu'à longueur de colonnes, elle n'arrêtait pas d'évoquer la corruption qui toucherait les entreprises publiques. Hamrouche, alors Premier ministre, sort une liste de gens ayant bénéficié de terres agricoles alors qu'ils n'en avaient pas droit. Ali Kafi est cité, celui-ci dément et accuse Hamrouche de «manoeuvre» politique. Chadli décide d'arrêter le jeu. Des procès sont sérieusement médiatisés comme celui de Beloucif qui se retrouve seul, abandonné par ses anciens thuriféraires.
Pendant une longue période, les langues étaient en quelque sorte chloroformées, parce que le sujet était tout simplement tabou et n'était évoqué que par les décideurs qui avaient pignon sur pouvoir total, cherchant souvent à fragiliser leurs possibles opposants au sein du pouvoir censé être trop blanc, mais marqué du sceau d'une virginité douteuse. Ainsi, l'absence de transparence et de vie démocratique, engendrant un pouvoir autocratique, constituant une caste de décideurs réels et de privilégiés, se recrutant aussi bien dans certains lieux de l'armée que dans les cercles politiques, va être à l'origine de ce fléau, aujourd'hui tentaculaire. Il aura fallu l'événement majeur d'Octobre 88 pour qu'un exclu du pouvoir, muet comme une carpe du temps où il dirigeait la planification et le gouvernement, dégoupille son explosif des 26 milliards qui fera beaucoup de bruit et de dégâts, mettant, une fois pour toutes, en pièces ce secret de polichinelle et un pouvoir trop opaque, aux yeux d'une population qui s'était attaqué, en connaissance de cause, aux espaces symboliques de la corruption. Le discours autocratique neutralisait paradoxalement l'appareil étatique en le rendant otage de pratiques informelles de pouvoir engendrant de multiples micro-pouvoirs favorisant des pratiques peu orthodoxes bénéficiant d'une tentante immunité tribale, clientéliste ou familiale. L'informel fonctionne comme la négation de l'Etat et l'espace d'un pouvoir fondé sur la tradition orale et n'accordant que trop peu de place à un texte considéré comme une parole verbeuse, servant exclusivement à légitimer un discours préalable.
Les jeux de la corruption traversent donc toutes les contrées d'un espace administratif et politique, consolidé par la multiplication de nouvelles alliances, surtout familiales, régionales et tribales, se jouant d'une rente pétrolière trop mal prise en charge par les gouvernants successifs se neutralisant continuellement et faisant de l'Algérie un pays où les choses n'ont souvent pas dépassé l'éternel recommencement. Habituée à ces tournantes opérations «anti-corruption» qui émaillent souvent les débuts de règne de tel ou tel président, la population n'y croit plus et écoute un chef du gouvernement ou un ministre de la Justice, s'époumonant à soliloquer, répétant à l'envi que cette fois-ci, c'est la meilleure.


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