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L'exigence du dialogue
«L'ISLAM & L'OCCIDENT» DE MUSTAPHA CHERIF
Publié dans L'Expression le 19 - 04 - 2007

Ce texte est le fruit d'une rencontre-débat féconde avec l'un des plus grands esprits du XXe siècle, Jacques Derrida.
Philosophe et islamologue algérien, Mustapha Chérif(*) a oeuvré ces dernières années, par un travail de réflexion patient et tenace, à débroussailler un champ intellectuel en friche, celui de la recherche en islamologie, contribuant à remettre dans sa véritable trajectoire le dialogue entre les religions, plus spécifiquement entre l'Islam et l'Occident. Refusant d'emblée la thèse du «choc des civilisations» popularisée par Samuel P. Huntington, l'Américain affirmant que les conflits entre blocs idéologiques allaient faire place à des conflits entre civilisations,Mustapha Chérif lui oppose une thèse plus généreuse, celle du dialogue et de la compréhesion de l'autre. Aussi, réfutant ce postulat, Mustapha Chérif défend une approche plus rationnelle et plus réfléchie des rapports entre deux civilisations, l'islamique et l'occidentale, nourries à des concepts philosophiques différents certes, mais issus du même terreau abrahamique. Point de vue partagé par d'éminents intellectuels occidentaux dont le philosophe émérite français, Jacques Derrida, avec lequel le philosophe algérien a entretenu ces dernières années des relations suivies contribuant à défricher un terrain difficile et sablonneux, celui de la place de la religion dans un monde moderne obsédé par le sécuritaire quand l'incompréhension envers l'autre est devenue un dogme. Cette ignorance de l'autre fait écrire à Mustapha Chérif qu'«il ne s'agit (...) ni de nostalgie, ni de défense de la religion. C'est le sens de l'Humanité elle-même qui est en jeu (...) Mais la haine du spirituel -qui habite les uns- et la peur d'une liberté soupçonnée de n'être que licence et permissivité -qui obsède les autres- accélèrent la déshumanisation».
Déshumanisation! N'est-ce pas ce à quoi nous assistons depuis une ou deux décennies, quand la loi de la force pour les uns, celle de la violence pour les autre sont devenues l'argumentaire le mieux usité? Ces incompréhensions réciproques ont nourri, ces dernières années, l'intolérance que ce soit de la part de l'intégrisme islamique ou de l'extrémisme occidental, avec comme conséquence, le rejet de l'autre. Ce qui fait dire au philosophe algérien que «Le retour du religieux, sous la forme légitime de la recherche d'expériences spirituelles ou sous la forme illégitime des pratiques intégristes, est le reflet de la rupture entre la morale et la vie, entre la responsabilité et la liberté.»
Le sens d'une bataille d'idées
Or, cette montée en puissance de la religion, plus sûrement de la religiosité, ne s'est pas accompagnée du nécessaire accomplissement de la foi. Le thème de la religion est, en fait, vaste et difficile, vaste car il va au delà du fait religieux pris sous l'angle philosophique ou symbolique et du politique pris comme ensemble de faits profanes qui manipulent les hommes; difficile dans la mesure où il est toujours malaisé de sérier un sujet qui implique la vie elle-même et est en discussion depuis que l'homme a appris à réfléchir. L'absence de dialogue, la méconnaissance réciproque, a contribué à donner une fausse image de cet autre qui ne correspond pas à la réalité.
L'Occident et l'Orient se sont trop longtemps ignorés pour que cela n'aboutisse pas au fossé existant aujourd'hui et qui ne fait que s'élargir sous les coups de boutoirs de tous les fondamentalismes alors que les deux spiritualités, musulmane et judéo-chrétienne, sont complémentaires car s'abreuvant aux sources de l'une et de l'autre. Aussi, c'est par le dialogue qu'il est possible de dépasser ces préventions envers l'autre. Qui pouvait mieux que deux philosophes ouverts sur l'Autre, déblayer le terrain et expliquer le fait religieux évalué au vécu de tous les jours? L'opportunité de l'année de l'Algérie en France (en 2003) a permis à Mustapha Chérif et à Jacques Derrida d'échanger, lors d'un forum à l'Institut du Monde arabe à Paris, leurs idées respectives sur un thème récurrent de notre temps: la résurgence du fait religieux.
Un retour qui n'est pas toujours marqué par des liens affirmés avec le spirituel ou l'introspection de soi. C'est donc avec des idées claires des enjeux et défis de notre vécu quotidien que Mustapha Chérif a ouvert le dialogue avec l'un des philosophe européen les plus en vue du XXe siècle, le Français, Jacques Derrida (1930-2004), un grand esprit qui a redynamisé la pensée philosophique moderne, replaçant la philosophie au coeur du débat d'idées. Derrida, natif d'Algérie, s'enorgueillit de son appartenance aux deux mondes judéo-chrétien et arabe, d'autant plus qu'il fut, précocement, marqué par l'intolérance antijuive sous le gouvernement de Vichy. Remerciant Mustapha Chérif pour son invite, Jacques Derrida, dont ce sera l'une des ultimes sorties publiques avant sa mort en 2004, dira d'emblée: «Je voudrais, aujourd'hui, parler comme Algérien» affirmation qui, loin d'être uniquement protocolaire, est en fait, une reconnaissance de cette algérianité qui a été le terreau de la formation du futur philosophe. Comme tous les juifs natifs d'Algérie, Derrida n'a jamais oublié le fait qu'il est devenu du jour au lendemain, avec toute la communauté juive d'Algérie, un paria privé de patrie et de la nationalité française par le régime pétainiste.
Il a dit à propos de ce souvenir amer: «(...) Quand j'avais dix ans, j'ai perdu la citoyenneté française, au moment du régime de Vichy, et pendant quelques années, exclu de l'école française, j'ai fait partie de ce qu'on appelait, à ce moment-là, les juifs indigènes, qui ont rencontré parmi les Algériens plus de solidarité que de la part de ce que l'on appelait les Français d'Algérie.» Cet épisode marquera durablement, le futur philosophe qui ajoute: «C'est l'un des tremblements de terre de mon existence, l'un des tremblements de terre algériens de mon existence». Et faire comprendre, rétrospectivement, au philosophe, la signification de l'infamant «code de l'indigénat» imposé aux Algériens par le colonialisme.
Par son vécu propre de la vie de «paria», imposé par le régime de Vichy aux Juifs, Jacques Derrida comprenait mieux que quiconque la condition qui était celle des Algériens durant l'époque coloniale, et cette Algérie (des Algériens), lui apporta beaucoup car, dit-il: «Parmi toutes les richesses culturelles que j'ai reçues, que j'ai héritées, ma culture algérienne est parmi celles qui m'ont le plus fortement soutenu. Voilà ce que je voulais dire, à titre de témoignage (...)» Répondant à la question de Mustapha Chérif sur son rapport avec la langue arabe, Jacques Derrida affirme: «La langue arabe, cet ailleurs, m'était comme inconnue ou interdite par l'ordre établi. Un interdit s'exerçait sur la langue arabe. Il prit bien des formes culturelles et sociales pour quelqu'un de ma génération. Mais ce fut d'abord une chose scolaire, une chose qui vous arrive à l'école, un dispositif pédagogique. L'interdit procède d'un ‘'système éducatif'' comme on dit en France.» Son, ses, expérience(s) algérienne(s) pèseront ultérieurement dans sa formation d'homme et contribueront, sans doute, à ses choix d'adulte. Ce dont le philosophe n'a pas fait mystère lors de sa rencontre-débat à l'Institut du Monde arabe (IMA) à Paris avec Mustapha Chérif. Ce dernier, en introduction de son ouvrage écrit: «Raconter ma rencontre et mon entretien avec un philosophe majeur de notre temps, voilà un devoir d'amitié. C'est le résultat, indique l'auteur, d'une conviction: l'amitié, le respect de l'autre, l'écoute sont le gage d'une saisie de ce qui demande à être compris».
Comprendre et être compris
Comprendre et être compris: n'est-ce pas là le postulat primordial de l'Homme dès lors qu'il a appris à formuler les mots et à s'interroger sur le sens de la vie? Mais le thème de la vie est large, énorme et le cadre de la rencontre ne se prêtait certainement pas pour développer ce qui est en fait, le soubassement de l'humanité et de l'être humain, la quintessence de ce que l'on appelle la «civilisation». Lors de son entretien avec Mustapha Chérif, Jacques Derrida s'est aussi limité à esquisser une approche de ce qu'est la croyance, ou la foi. S'expliquant, il indiqua: «Personnellement je distingue toujours entre la foi et la religion. Je crois qu'il y a des religions, des religions positives, qui sont multiples et auxquelles on peut appartenir ou ne pas appartenir; il y a les religions que j'appelle abrahamiques, qui sont la religion juive, la religion chrétienne, la religion musulmane, avec leur fonds ou leur tronc commun. Il y a d'autres cultures que l'on appelle religieuses et qui ne sont peut-être pas des religions.» puis d'enchaîner: «Le concept de religion est un concept obscur. J'ai essayé d'écrire dans Foi et savoir, à ce sujet, sur l'obscurité du concept même de religion. Le bouddhisme est-il une religion? Le taoïsme est-il une religion? Ce sont des questions essentielles que nous devons ici, laisser de côté» Et pour cause! Aussi, revenant au coeur du sujet qui reste le rapport entre les religions du Livre, ou religions monothéistes, que sont l'Islam et les religions judéo-chrétiennes, ou plus largement entre l'Islam et l'Occident, Jacques Derrida indique: «Si nous avons pour coutume d'appeler religion dans l'univers abrahamique, des religions du Livre, eh bien, je distinguerais entre les appartenances religieuses au judaïsme, au christianisme, à l'Islam, et puis la foi sans laquelle aucun rapport social n'est possible.» et de souligner: «Je ne peux pas m'adresser à l'autre, quel qu'il soit, quelles que soient sa religion, sa langue, sa culture sans lui demander de me croire ou de me faire crédit» car, insiste-t-il «le rapport à l'autre, l'adresse à l'autre, suppose la foi». Et c'est cette foi qui fait aujourd'hui défaut dans un univers où l'humain n'a plus son signifiant premier d'où l'amalgame entretenu approfondissant la césure entre l'Occident et l'Islam. Dans un monde où l'excès d'information brouille les cartes et n'informe pas et où la désinformation fait des ravages, le dialogue entre les religions et les civilisations est devenu une exigence, il est même vital, car l'ignorance de l'autre a nourri les préjugés et semé la confusion parmi les croyants. L'ouvrage de Mustapha Chérif, «L'Islam & l'Occident» est précieux dans la mesure où l'auteur va à la rencontre de l'autre, lui tend la main de l'amitié, tente de lui expliquer ce qu'est la réalité de l'Islam, tout en étant à l'écoute de ce que dit l'autre, de le comprendre. Didactique, l'auteur va droit au coeur du sujet, sans tabou ni réserve, avec, au final, ce débat enrichissant entre deux philosophes, le musulman, Mustapha Chérif et le juif, Jacques Derrida; de poser sans a priori, un regard positif sur des questionnements sensibles de notre temps afférents à la religion, à la culture et à la civilisation.
*Ancien ministre et ambassadeur d'Algérie, Mustapha Chérif, philosophe et islamologue, est spécialiste du dialogue des cultures, des religions et des civilisations, professeur à l'université d'Alger, il a été professeur invité au Collège de France.
L'ISLAM & L'OCCIDENT,
Rencontre avec Jacques Derrida:
de Mustapha Chérif
Editions Barzakh Alger 2006


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