“Vox populi, Vox dei”, dit le dicton depuis l'époque romaine qui affirme littéralement que la voix du peuple, c'est la voix de Dieu. Il est remarquable que lorsque l'on sollicite cette voix doublement significative dans nos rues, à propos de la corruption, on recueille une condamnation mitigée du phénomène. Avant d'aller plus loin, il est hautement intéressant de rappeler l'ancienneté de ce fléau économico-social sous le beau ciel d'Algérie. En effet, n'est-ce pas Jugurtha qui, debout sur une des sept collines entourant la ville éternelle, disait, en pensant à la vénalité des sénateurs romains : “Rome est une ville à vendre, mais qui peut l'acheter ?” Le prix était trop élevé, le roi numide le savait bien. De nos jours, et sous son nom arabe de rechwa, la corruption fait des ravages et ne laisse personne indifférent. Ainsi, Samia, universitaire et femme d'affaires, nous déclare d'un ton empreint de réprobation et de révolte contenue : “Je ne jouerai jamais ce jeu, même au détriment de mes intérêts propres ! Mon éducation m'empêche de récupérer des avantages de cette manière.” Mourad, un retraité récent, est laconique et sentencieux : “La corruption est la pire des choses qui puisse exister, que ce soit du point de vue corrupteur ou corrompu.” Hakim, un jeune chômeur à la recherche d'un emploi, est moins incisif et quelque peu indulgent à l'égard du phénomène puisqu'il affirme que “n'importe qui peut être touché par la corruption ; cela fait partie de la vie”. Omar, un technicien supérieur, s'insurge en ces termes : “Même quand on travaille sérieusement, il y a toujours des gens qui tentent de vous intégrer dans les circuits des malversations.” Bachir, un haut cadre d'entreprise, qui a été presque victime de manœuvres maffieuses, nous remballe d'un ton hargneux : “Je n'ai pas la tête à discuter de corruption, aujourd'hui !”Boualem, un cadre moyen dans une entreprise privée, se veut analytique : “La corruption, c'est une gangrène provoquée par un virus que l'on ne peut éradiquer.” Puis, il se fait accusateur : “La corruption ne vient pas d'en bas, mais d'en haut… et, c'est toujours le bas qui paie les pots cassés, je te le confirme !” Comme en écho, Hamida, une combattante de la guerre de Libération, et qui porte sur son visage raviné toutes les marques de plus profond des désenchantements, laisse tomber sans même ralentir le pas : “Tant qu'il y a des bandits en haut, la corruption sévira !” Et cette étudiante, rencontrée dans le train, qui trace d'une écriture studieuse en arabe sur toute une page de cahier cette phrase introductive : “Je pense que la corruption est le plus grave problème qu'ont à affronter le pays et la société.” Un deuxième Mourad, qui sait ce que manier la plume veut dire, puisqu'il est journaliste, rattache la corruption à la grave crise morale, entre autres crises, que traverse le peuple algérien. Pour lui, “tant que le vol et le détournement ne sont pas sanctionnés par une réprobation sociale, la corruption aura toujours de beaux jours devant elle”. Terminons sur la question avec Abdelhak, un commerçant, qui, après avoir affirmé que la corruption se constate à tous les coins de rue, nous raconte cette blague : “Un voleur de paille se plaint auprès du juge d'être condamné à la prison ferme, alors que l'auteur d'un important détournement d'argent est relaxé. C'est qu'un juge ne mange pas de paille, jeune homme !”