À chaque fois qu'une polémique s'engage sur une question de fond, on se frotte les mains, enfin ravis d'en savoir plus. Puis la controverse se dissipe en aménité. Comme ces contradicteurs de l'ouvrage de Saïd Sadi sur Amirouche, on explose avant de se répandre en aimables rappels méthodologiques et déontologiques. On quitte alors le sujet. Et on est quitte avec le rappel de “l'essentiel” : Amirouche est grand et Boussouf est grand et Boumediene est un grand. La Révolution est grande et nous sommes tous grands. Et c'est pour cela que nous sommes encore là. La question de fond était, pour cette fois-ci, de savoir si l'armée coloniale avait pu organiser l'élimination du colonel par ses moyens propres ou si celui-ci a été donné. Une telle question est décisive parce que la réponse a une portée politique. L'enjeu est de reconstituer le coup d'Etat originel et, en considérant la filiation clanique instituée par le système, d'établir que le coup d'Etat est permanent. Ce processus fait du pouvoir un butin de clan arraché à des forces nationales dont l'attention était, à l'époque, exclusivement orientée vers la libération du pays et la promotion démocratique et sociale. Pour que cette démarche putschiste n'entame pas la légitimité “nationale” d'un pouvoir fractionnel, les liquidations de pleine guerre, comme les victimes de l'après-indépendance et celles des répressions ultérieures doivent être niées. De quelle manière ? En conservant le statut de nationalistes, de moudjahidine, de héros… La Révolution ne renie aucun de ses héros, même ceux qu'il a fallu éliminer ou éloigner pour pouvoir confisquer sa moisson de pouvoir. C'est par commodité que le système se contraint à glorifier tous les héros et à exalter une révolution homogène : la partie, le pouvoir factionnel, se confond avec le tout, l'héritage de tous les révolutionnaires. La société a été préparée à subir le récit de l'histoire et de ne l'interroger que par procuration. C'est parce que la révolution est une affaire d' “historiques” que Kafi dénie à Sadi le droit d'écrire sur une période qu'il n'a pas vécue. L'autorité du récit du chef politique a imposé le discours rassembleur posthume qui, dans l'ambiance populiste entretenue, ne manque pas d'efficacité. Qu'il soit établi que Abane Ramdane fut assassiné par “ses frères” ne les a pas disqualifiés et n'a pas empêché le système de tourner. C'est pour cela que le débat est soigneusement évité. Passé le moment d'instinctive émotion, on proteste encore un peu pour la forme, puis on repose le couvercle. On évite d'approfondir, pas seulement par manque de temps, parce qu'il faut compter ses conteneurs, réunir ses associés ou préparer son imminent voyage… C'est aussi parce que le débat est contre-productif pour l'ordre établi. Et les situations acquises se doivent à cette confusion qui soutient le système politique : l'alternance querelleuse mais feutrée des clans tient lieu de tranquille continuité de la révolution. Il vaut mieux ainsi, des fois que le peuple s'en mêle. M. H. [email protected]