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“L'Algérie perd 5 milliards de dollars par an” Professeur Chemseddine Chitour, spécialiste des questions énergétiques (*)à Liberté à propos du gaspillage deressources non renouvelables
Dans cet entretien, ce chercheur dans le domaine de l'énergie insiste sur la nécessité pour l'Algérie de se doter d'une stratégie énergétique supra ministérielle à même de garantir les intérêts des générations futures. Liberté : Quel a été l'impact du scandale de Sonatrach sur l'Algérie ? Pr Chemseddine Chitour : Vu de l'extérieur, il n'y a pas eu d'impact. L'Algérie n'a pas cessé d'exporter. Ses différentes ressources énergétiques, Sonatrach continue à les vendre, et les acheteurs sont “satisfaits” de disposer d'une énergie rare, sûre et pas chère. La gestion de Sonatrach ne préoccupe pas les compagnies pétrolières internationales. Tant que l'approvisionnement de ses clients ne connaît pas de rupture. Nous voulons toujours faire plaisir aux clients et/ou Etats étrangers. Mais le gros problème de l'Algérie, c'est sa dépendance “tragique” à l'égard des ressources tirées des hydrocarbures. La bonne gouvernance attendue, c'est de pouvoir gérer la ressource comme un bon père de famille. Pour nous, le meilleur engagement, c'est notre engagement vis-à-vis des générations futures . Réglons nos problèmes internes. Essayons plutôt de mettre en œuvre une stratégie énergétique efficiente. Pouvez-vous être plus explicite ? Selon un rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) de 2009, l'Algérie aura une production estimée à cette échéance à 700 000 barils/jour contre le double actuellement. De ce fait, cette production suffira juste à couvrir les besoins nationaux. Nous ne pourrons plus exporter de pétrole si des découvertes majeure, - très improbables - ne seraient pas faites. La durée de vie de ses réserves de pétrole (12 milliards de barils) est estimée à 20 ans. Pour le gaz, elle cessera d'exporter à partir de 2045-2050. Mais cela dépendra du rythme d'exploitation des gisements de gaz. Il y a le nouveau jocker des gaz de shiste qui font l'objet d'interdiction en Europe (sauf en Pologne) du fait des dégâts environnementaux, des risques sismiques mais aussi d'énormes quantités d'eaux consommées et polluées. En France, l'Assemblée nationale vient d'interdire de faire la fracturation hydraulique pour récupérer les gaz de schistes. Que se passera-t-il en 2030 ? Si aucune stratégie majeure qui engage toute la société et le gouvernement dans son ensemble, l'Algérie, qui n'a pas joué la prudence ces vingt dernières années selon même l'avis de Sarkis, avis qui nous conforte, on sera importateurs de pétrole avec quoi ? puisque la source de devises sera de plus en plus tarie !La sagesse veut qu'il faille aller à marche forcée vers une stratégie énergétique. Nous n'avons pas d'autres solutions que de chercher d'autres sources alternatives et de faire durer les ressources fossiles. Au risque de me répéter, la meilleure banque de l'Algérie c'est son sous-sol. À quoi sert-il de pomper frénétiquement du pétrole et du gaz qui excèdent largement nos besoins pour avoir des dollars qui s'effritent ? Si au moins on faisait comme la Norvège, qui a créé un Fonds de pension, qui constitue un pactole de 200 milliards de dollars pour les générations futures, en le plaçant d'une façon intelligente, comme par exemple dans l'immobilier dans les grandes capitales comme récemment à Paris, mais aussi en achetant de l'or qui a vu son prix augmenter de 50 % en moins de deux ans. Le baril de pétrole vaut 100 dollars aujourd'hui. Il peut valoir trois fois plus dans dix ans. Il ne faut sortir du sous-sol que ce dont nous avons besoin pour notre développement. Tout ce qui est superflu doit être évité pour ne pas compromettre l'avenir des générations futures. Avons-nous une réelle politique d'économie d'énergie ? La politique énergétique est à inventer ! S'il y avait seulement un programme d'économie d'énergie, nous gagnerions 20% de la consommation d'énergie globale. C'est l'équivalent de 6 millions de tonnes de produits énergétiques, soit 450 millions de barils, soit l'équivalent de 5 milliards de dollars. Tout le monde est concerné par la stratégie énergétique. Ce que fait le ministère de l'Energie et des Mines est très important, mais il faut que cela s'inscrive dans une démarche globale. À titre d'exemple, nous importons des voitures qui émettent en moyenne 150 grammes de CO2 par kilomètre. En Europe, la norme 2011 est de 120g de CO2/km, elles sont de ce fait invendables, interdites. C'est 20% de consommation d'essences en plus. C'est donc plus d'un million de tonnes d'essence que nous allons à terme gaspiller ; paradoxalement nous avons beaucoup de GPL. Pourquoi ne pas imposer la double carburation GPL/essence aux vendeurs ? Par ailleurs, du fait d'une politique des prix erratiques, le gasoil a un prix du même ordre que le sirghaz (13 et 9 DA). Résultat des courses, tout le monde se met au gasoil. L'Algérie a importé 500 000 tonnes de gasoil en plus en 2009 pour 250 millions de dollars. Ce gasoil est bradé à un prix trois fois moins cher que son prix d'achat. S'il y avait une stratégie, elle concernerait aussi la vérité des prix. Avec un prix du kwh à moins de 10 Dan et des équipements électroménagers, notamment les climatiseurs, sans aucune limite de consommation, il est normal que Sonelgaz n'arrive pas à contenter tout le monde, d'où les fréquentes coupures. Du fait que le ministère du Commerce n'a aucune coordination avec les ministère de l'Energie . Tout le monde peut acheter n'importe quoi. L'Aprue (Agence pour la rationalisation de l'énergie), avec un budget publicité dérisoire, tente d'informer sur la nécessité d'acheter des équipements sobres en énergie (classe A ou B), mais combien de revendeurs savent ce qu'il commercialisent ? Nous n'avons pas de stratégie en la matière. La stratégie énergétique ne doit pas être de la responsabilité d'un seul ministère, elle est supra ministérielle. Quelles sont les chances de succès du plan de développement des énergies renouvelables ? Nous ne pouvons pas faire l'économie d'une stratégie globale. Mais ce que fait le ministère de l'Energie trouvera sa place dans le dispositif à mettre en place rapidement, en commençant à recenser les gisements d'économie d'énergie car “la meilleure énergie c'est celle que l'on ne consomme pas”. Le symposium de deux jours organisé par le ministère de l'Energie -Sonelgaz- est une très bonne chose ; il devrait aussi mobiliser, dans le cadre d'une stratégie globale, le ministère de la Petite et Moyenne entreprise et même les dispositifs pour l'emploi des jeunes, Ansej et autres, qui peuvent faire un appel d'offres en direction des jeunes ingénieurs et techniciens à qui on donnerait l'opportunité de créer leur propre emploi… Un baril à 100 dollars actuellement peut valoir 500 dollars dans cinq ans. D'où la nécessité de gérer ce patrimoine avec parcimonie en sensibilisant aussi la société civile. Les économies d'énergie c'est aussi l'affaire du ministère de l'Education qui doit former l'éco-citoyen de demain au lieu de l'égo-citoyen d'aujourd'hui. C'est aussi le ministère des Affaires religieuses et du Wakf. Les imams ont une responsabilité et leur prêche doit aussi porter sur les économies au sens large, et de l'énergie en particulier… C'est aussi de la responsabilité du Département des ressources en eau pour les barrages hydroélectriques qu'il faut redimensionner. C'est aussi le ministère de l'Habitat qui doit miser sur des centaines de milliers de chauffe-eau solaires qui peuvent être confiées pour leur réalisation à des ingénieurs et techniciens qu'il faut former en nombre et en qualité. De ce fait, il nous paraît préjudiciable pour le pays de casser ses défenses immunitaires en cassant les formations d'ingénieurs et de techniciens et en les remplaçant par un simulacre de diplôme qui n'a rien à voir ni avec la conception des métiers de la technologie, ni en terme de contenu ni en terme de finalité. À titre d'exemple, il est scandaleux d'obliger des ingénieurs de l'Ecole polytechnique, qui sont rentrés à l'école avec des bacs à mention à faire des modules pour “mériter” de s'inscrire en doctorat, chose qui est permise à des masters qui ont fait quatre ans d'étude et dont l'entrée à l'université est autrement moins exigeante. Ailleurs, notamment en France, l'équivalence avec le master est automatique, elle est d'ailleurs superflue pour le corps des ingénieurs qui est autrement plus structuré que chez nous. Là, comme ailleurs, il est nécessaire de mettre tout à plat par des états généraux sur ce que nous voulons pour ce pays en terme de formation pour permettre à l'Algérie de repartir du bon pied. L'avenir des générations futures est à ce prix. K. R. (*) C.C, directeur du Laboratoire des énergies fossiles à l'Ecole polytechnique d'Alger, ancien Professeur associé à Toulouse