Le ministre des Moudjahidine et ses collègues du gouvernement ont choisi El-Bahia pour fêter le Congrès de la Soummam. La glorieuse histoire de la Révolution algérienne s'érode au fil des ans et au gré de l'usage politicien que les autorités en font à chaque date anniversaire marquant l'une des nombreuses épopées du peuple algérien. Le fait est que, ces commémorations sont devenues à la limite ennuyeuses pour la génération d'après-l'indépendance parce que servies invariablement dans le moule officiel. Point d'imagination chez nos gouvernants dans la célébration de tels évènements qui, souvent, versent dans le ronron bien connu de la sublimation et de la jubilation au lieu de faire œuvre de pédagogie pour les Algériens d'aujourd'hui. Ces haltes historiques sont pourtant une occasion idoine pour faire sortir le refoulé, corriger les imperfections et, pourquoi pas, restituer les vérités historiques. Il est évident que la majorité des Algériens doute au moins de quelque chose de tous les faits et actes de la Révolution enseignés par l'histoire officielle. Il est évident aussi que la conviction et la crédulité des gens s'émoussent dangereusement jusqu'à remettre en cause le sacrifice suprême de nos glorieux martyrs. À la veille de la célébration du cinquantenaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale, beaucoup de zones d'ombre, de contrevérités et de non-dits polluent l'histoire nationale. Ce n'est sans doute pas avec une gerbe de fleurs, un recueillement de ministre ou quelques décorations d'anciens moudjahidine qu'on va effacer tous les soupçons et masquer la réalité. Et en l'absence de cette volonté politique de réécrire l'histoire de la Révolution avec ses héros et ses “zéros”, ses blessures et ses meurtrissures dans une espèce d'introspection collective, la voie s'est ouverte à la polémique, aux règlements de compte et au lynchage, même à titre posthume. L'épisode de la diatribe de Ben Bella contre la mémoire de Abane Ramdane illustre parfaitement l'ampleur des rancunes et des rancœurs cumulées depuis 1962 qui, faute d'être canalisées et filtrées par les autorités s'échappent comme autant de bombes à fragmentation qui peuvent faire très mal au pays et dont les plaies ne sont pas encore cicatrisées. La réécriture de l'histoire de la Révolution demeure un vœu pieux dans cette Algérie qui a du mal à se regarder dans le rétroviseur. En l'occurrence, quand on voit la manière expéditive avec laquelle on liquide en deux discours, trois gerbes de fleurs, une date aussi emblématique que le 20 Août 1956, il est aisé de comprendre que quelque part on n'a pas intérêt à scanner les faiseurs de Novembre 1954. On refuse encore de voir la réalité en face pour ne pas heurter la sensibilité des gens mais surtout pour protéger ceux que la révolution a fait et non pas ceux qu'ils l'avaient effectivement faite. Il n'y a qu'à voir la scandaleuse affaire des faux moudjahidine pour mesurer terriblement l'ampleur des dommages collatéraux causés par cette amnésie officielle sciemment entretenue. Il est également déroutant de savoir que le ministère des Moudjahidine ait choisi la wilaya d'Oran pour abriter les festivités commémoratives du double anniversaire des évènements du 20 Août 1956 qui se sont déroulés à Béjaïa et à Constantine ! Et oui, les habitants d'Ifri Ouzellaguen devront se contenter demain de leurs petites expositions pour mettre en valeur le mythique du Congrès de la Soummam qui a organisé la Révolution algérienne. Tandis que le ministre, Chérif Abbas, et ses collègues iront à la lointaine Oran pour y prêcher la bonne parole. Il est vrai que depuis trois années, le pouvoir à préféré sacrifier cette date phare de la révolution au lieu de se hasarder dans cette région où les officiels ne sont pas spécialement les bienvenus. La crise de la Kabylie, c'est aussi une crise de la Soummam… De même que les descendants de Zighoud Youcef compteront uniquement sur les autorités locales pour rafraîchir la mémoire des gens sur le tournant de la guerre de Libération que fut l'attaque du Nord constantinois. Il est tout de même curieux de voir le président de la République se déplacer jusqu'à Toulon pour participer aux festivités du Débarquement chez l'ancienne puissance coloniale, pendant que le 20 Août national sera célébré sans tambour ni trompette. Comme au bon vieux temps… H. M.