Noureddine Bouderba pense que "certaines déclarations fantaisistes de responsables politiques de la majorité parlementaire ou émanant de leur périphérie ne sont pas faites pour calmer la situation". Les syndicats, dit-il, doivent "rester vigilants et éloignés des luttes idéologiques ou politiciennes". Liberté : Le front social gronde dangereusement, sans que les pouvoirs publics engagent un dialogue porteur de solutions. Quelles seront les conséquences d'une telle démarche ? Noureddine Bouderba : Effectivement, nous assistons à des actions de protestation qui englobent plusieurs secteurs à la fois. On aurait tendance à qualifier ces mouvements sociaux de signe de bonne santé de la société algérienne, si ce n'est l'absence de dialogue réel, ou plutôt le dialogue de sourds qui accompagnent ces actions. Cette absence de dialogue est la conséquence du verrouillage des espaces d'association et d'expression des citoyens, en général, et des travailleurs, en particulier. L'instrumentalisation de la justice ou celle de l'activité complémentaire dans le secteur de la santé comme monnaie d'échange au détriment des impératifs du système national de santé, la répression administrative ou le discrédit des syndicats ne sont pas faits pour calmer la situation. Le gouvernement a tout à gagner en favorisant la libre expression de toutes les couches de la société et en permettant l'émancipation de la société civile et des syndicats en jetant des passerelles d'un véritable dialogue social qui prend en charge les revendications légitimes de la société et dégager les solutions consensuelles en fonction des moyens du pays et des aspirations de la société. L'étouffement des libertés démocratiques et syndicales ne présage rien de bon pour l'avenir. Les travailleurs et les syndicats de leur côté ont, aussi, tout à gagner en favorisant les solutions consensuelles en s'éloignant des revendications irréalistes et en évitant l'impasse. Ce n'est qu'à ce prix que la société avancera, dans la stabilité, vers le progrès et le développement dans un environnement hostile. Les syndicats affirment mener un combat solitaire sans l'appui des partis politiques. Comment expliquez-vous le manque d'implication de l'opposition dans ce processus de revendications socioprofessionnelles ? Effectivement, mis à part quelques cas marqués par le corporatisme et parfois égoïstes, les syndicats posent des problèmes d'ordre socioprofessionnel qui ont un impact sur la vie immédiate des travailleurs qu'ils représentent, mais aussi ceux de toute la société qui se recompose sur le plan économique et social. La politique sociale suivie ces derniers temps sous l'influence des forces de l'argent tend, au nom de l'efficacité et de la performance, à remettre en cause les acquis des travailleurs et la lutte contre la pauvreté et les inégalités qui ont caractérisé la période post-indépendance. Et de ce point de vue, les politiques sont interpellés, non pas à être partie prenante dans ces mouvements sociaux qui doivent garder leur autonomie, mais pour se positionner sur les choix économiques et sociaux qui caractérisent la politique gouvernementale. Je pense notamment à la politique de privatisation, à l'abandon progressif des transferts sociaux et au recul de la protection sociale et de la retraite. En un mot, de se positionner sur le fameux nouveau contrat social prôné par la Banque mondiale et le FMI, et que le gouvernement est en train de mettre en œuvre. Les politiques doivent aussi peser de leur poids et exiger qu'un véritable dialogue social puisse voir le jour en Algérie. Faire de la politique ne doit pas se limiter à courir derrière les chaises pour les uns et les strapontins pour les autres. Le discours officiel donne une connotation politique à ces mouvements de contestation et les lie aux enjeux de la prochaine présidentielle. Croyez-vous vraiment en une tentative de manipulation des syndicats ? Comme je viens de le déclarer, tout est politique et nous assistons à un déficit et non pas à un excès d'engagement politique. Ce n'est pas l'implication transparente dans la recherche des réponses aux aspirations de la société qui pose problème, mais l'instrumentation du mouvement associatif à des fins politiciennes qui peut effectivement poser problème. De ce point de vue, la démarche du gouvernement, lui-même, n'est pas exempte de calcul politicien, sinon, comment comprendre la gestion catastrophique des grèves des médecins résidents, des enseignants, des paramédicaux ou du personnel d'Air Algérie ? Par ailleurs, certaines déclarations fantaisistes de responsables politiques de la majorité parlementaire ou émanant de leur périphérie ne sont pas faites pour calmer la situation. Maintenant, il est vrai que les syndicats doivent, de leur côté, rester vigilants et éloignés des luttes idéologiques ou politiciennes. Interview réalisée par : Nissa Hammadi