Aucune hypothèse n'est à exclure, y compris celle de l'existence chez certaines parties d'une volonté de provoquer des débordements pour justifier le rétablissement de l'interdiction de marcher dans la capitale. Une petite semaine a suffi pour lézarder la confiance qui a régné pendant près de deux mois entre policiers et manifestants qui, pour célébrer cette belle entente, entonnaient, 7 vendredis durant, le fameux slogan "Police peuple, des frères" comme pour conjurer les démons de la répression des années d'avant. Il est vrai que pour empêcher certains téméraires de s'approcher d'El-Mouradia ou d'institutions sensibles, les forces de l'ordre avaient été contraintes de recourir à la manière forte et d'user parfois de gaz lacrymogènes. Mais il n'y avait jamais eu d'abus dans l'usage de la matraque ou autre moyen de répression. Ce qui n'a pas été le cas en ce 8e vendredi de l'insurrection citoyenne qui a vu la police asperger de gaz lacrymogène des manifestants, plus que jamais pacifiques, et parmi lesquels se trouvaient des enfants, des femmes et des personnes âgées, notamment dans le Tunnel des facultés. Ce qui a donné lieu à une bousculade sans qu'il y ait, fort heureusement, de blessés graves. Certes, la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) a démenti "catégoriquement", dans un communiqué rendu public vendredi soir, avoir eu recours au gaz lacrymogène à l'intérieur du tunnel. "La formation des policiers et leur professionnalisme reconnu leur permettent de bien maîtriser les moyens légaux pour maintenir l'ordre public. Ils n'ont pas utilisé et ils n'utiliseront jamais de gaz lacrymogène dans ce genre de lieux fermés", jure-t-elle. Or, les vidéos partagées sur les réseaux sociaux sont formelles : il y a bel et bien eu usage de gaz lacrymogène à l'intérieur du tunnel contre les manifestants. Si ce n'est pas la DGSN, qui a donné l'ordre aux policiers d'utiliser du gaz et à quelle fin ? Les interrogations demeurent entières et une enquête s'impose pour connaître les auteurs. Il reste que cette volonté chez les policiers d'en finir avec les manifestations de rue est apparue mardi 9 avril, le jour de l'intronisation, par les deux Chambres du Parlement, d'Abdelkader Bensalah comme chef de l'Etat, en tentant de réprimer le rassemblement des étudiants à la Grande-Poste. La marche des syndicalistes, jeudi 11 avril, a connu le même sort. Entre-temps, il y a eu plusieurs arrestations de militants comme l'avocat Salah Dabouz et deux journalistes. Et pour la marche de vendredi, la police a déployé un attirail répressif impressionnant, comme ce fameux canon à son, à Alger-Centre, tout en dressant des barrages filtrants dans plusieurs endroits pour empêcher les citoyens des autres wilayas, de Kabylie notamment, de rejoindre la capitale pour grossir les rangs des manifestants algérois. Ce sont là des signes incontestables quant à l'existence d'une volonté d'intimider les Algériens et de les empêcher d'investir la rue. Et avec l'incident du Tunnel des facultés mais aussi la diffusion, hier, sur les réseaux sociaux de vidéos (certaines datent de 2001) de véhicules de police saccagés par les manifestants, d'aucuns se poseront légitimement bien des questions : cherche-t-on à justifier la "bévue" policière du vendredi 12 avril en faisant feu de tout bois ? Ne prépare-t-on pas au contraire le terrain, notamment avec l'évocation par la police d'une "neutralisation" d'un groupe armé qui s'apprêterait à commettre un attentat le jour des manifestations et l'arrestation d'étrangers, à un durcissement encore plus fort de la gestion des foules lors des prochains jours ? Aucune hypothèse n'est à exclure, y compris celle de l'existence chez certaines parties d'une volonté de provoquer des débordements pour justifier le rétablissement de l'interdiction de marcher dans la capitale, levée de force par les Algériens pour s'insurger contre l'humiliant 5e mandat de l'ancien Président, et, peut-être même, "provoquer une déclaration de l'état d'exception" comme suggéré par le chef d'état-major de l'ANP, Ahmed Gaïd Salah, lors de sa dernière sortie à Oran. Dans les deux cas de figure, la parenthèse démocratique ouverte, il y a deux mois, risque d'être brutalement refermée et les autorités procéderont, en dehors de toute pression de la rue, à l'application de la feuille de route tracée jusqu'ici et conforme à l'actuelle Constitution.