"Il est impératif de libérer la vie publique de l'emprise militaire", a plaidé Saïd Sadi. Ce fut encore une fois un exercice laborieux, mais à juste titre magistral, tout au moins loin d'être inutile, qu'a effectué, jeudi, l'ex-leader du RCD, le Dr Saïd Sadi, qui, dans l'auditorium plein à craquer de l'université de Tizi Ouzou, s'est attelé avec brio à prescrire le traitement de fond nécessaire à suivre pour la réussite de la transition politique en Algérie. D'emblée, Saïd Sadi, qui animait une conférence organisée par "les débats de l'UMMTO", a posé deux grandes conditions pour la réussite de la transition : la nécessité de tenir l'armée à l'écart du processus et celle, encore plus importante, de poser les préalables démocratiques comme postulats inviolables. La mise à l'écart de l'armée du processus de transition se justifie, du point de vue de Saïd Sadi, par le fait que "l'armée algérienne n'est pas compétente pour accompagner une transition démocratique". "On l'a déjà dit, le système politique algérien a été construit par la violence et dans l'opacité, il a été régenté par une oligarchie militaro-policière budgétivore et socialement sclérosante. D'où une première évidence : il est impératif de libérer la vie publique de l'emprise militaire", a plaidé Saïd Sadi pour qui cela est d'autant plus nécessaire que "son commandement politique est toujours accaparé par des officiers sortis du rang avec pour bagage un populisme rétif à toute idée d'adaptation républicaine" et que "cette institution qui s'est confondue avec l'armée des frontière dès 1962 a été conçue comme un instrument de pouvoir". Abordant la seconde condition liée aux préalables démocratiques, le Dr Sadi estime que "l'essentiel, et on ne le répétera jamais assez, étant que les préalables démocratiques soient clairement et solennellement prescrits en tant que postulats inviolables". À ce titre, Saïd Sadi a commencé par mettre en avant des arguments de nature, d'abord, à balayer d'un revers de la main l'efficacité de l'option de la Constituante dans le contexte national actuel. On entend, a-t-il expliqué, des intervenants avancer le principe de la Constituante comme l'alpha et l'oméga de l'impasse actuelle mais il faut, appelle-t-il, se souvenir que l'Algérie a eu déjà sa Constituante au lendemain de l'indépendance mais, "d'avoir esquivé les règles qui fondent la vie démocratique, d'avoir rusé avec un spécifisme algérien censé se substituer à la norme législative rationnelle n'ont empêché ni les abus ni l'instabilité constitutionnelle". Pour lui, ce qu'il faut dans un premier temps est de se doter de lieux de débats mieux organisés et de sites d'émission de mots d'ordre car il faudra, préconise-t-il, "que le mouvement perdure jusqu'à la fin de la phase de transition". "Il y a lieu de prendre le temps qu'il faut pour débattre afin que tout un chacun entende et comprenne ce que signifie le soulèvement citoyen et ce qu'il implique pour notre destin immédiat", a-t-il suggéré expliquant que la synthèse des idées émises dans ces agoras "servira d'offre politique définissant les grandes lignes et les agendas sur lesquels doit s'organiser la transition". L'essentiel, a-t-il insisté, est que "le mouvement garde toujours l'initiative" car, a-t-il souligné, "c'est ainsi qu'il est possible de définir et de valider par la vox populi les fondamentaux démocratiques qui doivent être posés et admis comme des règles auxquelles personne ne peut déroger". Cela prendra, de son point de vue, le temps qu'il faudra car il s'agit là "de minima que nous ne pouvons pas enjamber car c'est sur eux que se sont construites toutes les nations prospères et durables". Cette manière de procéder prend en compte, de l'avis de Saïd Sadi, deux paramètres, et non des moindres, liés pour le premier à l'avenir du pays et le second à son histoire récente. "Les futures autorités algériennes devront pouvoir exercer leur mandat sur des bases solides et clairement édictées en amont des processus électoraux", a-t-il considéré en premier lieu estimant qu'il ne faut, ainsi, "rien laisser au hasard ou à l'interprétation car les chantiers sont nombreux et complexes". En outre, il ne faut pas oublier, a-t-il rappelé, "qu'il y a seulement une génération, la société qui force l'admiration du monde aujourd'hui a produit en son sein des actes d'une terrifiante barbarie" et que "l'Algérie ne survivrait pas aux slogans mystificateurs qui prétendent gérer le pays par des approximations conceptuelles populistes, des non-dits, des raccourcis ou des malentendus". Pour le Dr Sadi, si cette base est actée comme une référence imprescriptible de l'organisation de la cité, la suite peut être envisagée avec plus de facilité. "Il faudra de la persuasion, de la pédagogie et, au besoin, de la fermeté", dit-il, mais pour lui il est évident que "nul ne doit pouvoir prétendre concourir à une élection démocratique s'il ne se soumet pas aux règles universelles de la démocratie". Une manière, donc pour lui, de baliser cette transition pour qu'elle mène vers l'Etat de droit que le peuple réclame. Une manière surtout, dit-il, de concrétiser le défi vital qui consiste à "transformer un mirage en miracle". Pour lui, le reste est beaucoup plus technique, a-t-il analysé, mis à part le régime qui veut court-circuiter la révolution par une élection présidentielle à la hussarde, les acteurs les plus crédibles conviennent que l'élection législative devant aboutir à l'Assemblée qui élaborera une nouvelle Constitution doit être le premier scrutin de l'Algérie nouvelle. "C'est le Parlement, démocratiquement élu, qui aura à définir puis à adopter la nature du régime qui sied le mieux au pays", a-t-il préconisé tout en soulignant qu'aujourd'hui "c'est à la naissance d'un nouvel ordre constitutionnel que nous sommes appelés" car, a-t-il précisé auparavant, le vrai problème qui handicape le pays depuis toujours et qui nous est reposé de façon cruciale de nos jours est "l'inadéquation entre l'Etat et la société". Son intervention étant inscrite dans le cadre de la célébration du 20 Avril 1980, Saïd Sadi n'a pas omis de souligner à l'occasion que c'est la graine d'Avril 80 qui a fait éclore les nouvelles formes de lutte qui animent les revendications historiques d'aujourd'hui. "On peut, je crois, assimiler l'exaspération soulevée par l'interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri à l'humiliation provoquée par l'annonce d'un cinquième mandat destiné à introniser un cadre", a-t-il analysé, convaincu que ce sont là deux outrages qui étaient à la fois des signes de l'arrogance d'un système qui se croit tout permis et des catalyseurs d'une colère accumulée pendant des années.