Sous d'autres cieux, un parquet qui se saisit de dossiers aussi lourds que ceux de la grande corruption doit être soucieux de cultiver la transparence et l'éthique, en optant pour un autre modèle de communication, plutôt que d'alimenter des relais visiblement triés sur le volet. Alors que l'incertitude politique s'épaissit de semaine en semaine, aggravée par le lancement de ce semblant de campagne de moralisation de la vie publique, au plan tant du timing que des cibles choisies, le doute s'installe en l'absence d'une communication censée dissiper les zones d'ombre cultivées par cette intrigante opération dite anticorruption. Dès les premiers discours du vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd Salah, appelant tantôt à rouvrir les dossiers de corruption, dont celui de Sonatrach, de Khalifa et d'El-Bouchi, tantôt à accélérer la cadence des poursuites, la justice s'est réveillée en sursaut après une longue période d'hibernation et s'est mise à convoquer hommes d'affaires, politiques, responsables et gestionnaires. La machine a été ainsi mise en branle, suscitant moult questionnements sur l'indépendance de la justice, sur le respect des procédures, ainsi que sur le mode de communication choisi. Sur le premier aspect, il faut bien reconnaître que les premières affaires n'ont atterri au tribunal de Sidi M'hamed qu'au lendemain des appels du chef d'état-major à rouvrir les dossiers de corruption qui dorment dans les tiroirs de la justice. Quant au modèle de communication choisi, celui-ci soulève à la fois la question de l'impact recherché, ainsi que l'idée de procès à charge avant même que le vrai procès des mis en cause ne soit ouvert. Certaines chaînes de télévision publiques et privées ont brillé dès potron-minet en diffusant en primeur des convocations adressées à Ahmed Ouyahia et à Mohamed Loukal, respectivement ex-Premier ministre et ministre des Finances, alors que ces missives n'avaient pas encore quitté les bureaux du procureur de la République près le tribunal de Sidi M'hamed. Ces mêmes relais médiatiques d'un régime politique au fonctionnement opaque avaient même annoncé l'arrestation du président du groupe Cevital, alors qu'il ne s'était pas encore rendu — de son plein gré, faut-il le préciser — à la brigade d'investigation de la Gendarmerie nationale. Alors qu'il était encore dans les bureaux des enquêteurs de la Gendarmerie nationale, certaines chaînes de télévision se sont illustrées par la présentation du scénario qui devait se réaliser et qui devait se conclure par la mise sous mandat de dépôt d'Issad Rebrab, président du groupe Cevital. Ce qui laisse croire que le scénario était établi d'avance avec, comme ingrédients d'assaisonnement, l'organisation de plateaux-télé à charge, ne se souciant point du respect de la présomption d'innocence, encore moins de la dignité des personnes et de leurs familles. Ce mode de communication aussi nocif que peu conventionnel relance de plus belle le vieux débat sur le fonctionnement d'une justice aux ordres. Le parquet avait diffusé la semaine dernière un communiqué dans lequel il disait s'agripper à sa pleine autonomie, appelant, par là même, à ne pas perturber le travail des magistrats. Mais il n'a fait que prêcher dans le désert, car d'aucuns pensent réellement que l'avalanche d'affaires dites de corruption qui submergeaient les tribunaux était soudainement née du néant sans qu'il y ait un moindre précédent. Or, au moment où le parquet est attendu sur toutes les questions et les zones d'ombre qui entourent ces affaires enclenchées en un bref laps de temps, cette quête de spectacle à effet visuel et médiatique à très grand impact qui s'était jouée à maintes reprises devant le tribunal de Sidi M'hamed en dit long. Sous d'autres cieux, un parquet qui se saisit de telles affaires et qui se dit soucieux de cultiver la transparence et l'éthique opte pour un autre modèle de communication plutôt que d'alimenter des relais visiblement triés sur le volet. Il avait pourtant promis de communiquer, mais voilà qu'il ne fait que rééditer les mêmes pratiques.