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Des “porteurs de valises” témoignent
Ils ont aidé activement la révolution Algérienne
Publié dans Liberté le 26 - 07 - 2005

Nous les avons rencontrés il y a quelques jours à l'occasion d'un séjour qu'ils ont effectué à Alger ; séjour qui s'est étalé du 13 au 20 juillet derniers à l'invitation de la Radio algérienne et du ministère des Moudjahidine. Ils ont fait partie du réseau Jeanson ou d'autres réseaux portant la guerre d'Algérie au cœur de la France. Ils ont eu l'amabilité de convoquer pour nous le passé. Témoignages.
Nicole Rein est avocate depuis 1958 et faisait partie du collectif des avocats du FLN pendant la guerre d'Algérie. Juive, elle a vécu dans sa chair les terribles exactions nazies contre le peuple juif durant la Seconde Guerre mondiale. Il ne lui en faudra pas plus pour se ranger aux côtés des Algériens lorsque la France “républicaine” se met à “plagier” les bourreaux nazis en s'érigeant en tortionnaire. “Je suis entrée en plein dans la guerre d'Algérie”, témoigne Me Rein. “À l'origine, ma famille avait dû fuir l'horreur nazie. Quand je me suis retrouvée face à la question de la torture, cela m'a rappelé la Gestapo et ce qu'avaient subi les Juifs. J'ai découvert la torture dans les livres, mais quand je suis allée plaider en Algérie la première fois, j'ai vu de près ce que c'était.”
Nicole Rein débarque pour la première fois en Algérie en juin 1960. Elle était venue plaider au tribunal de Sétif où devaient comparaître des militants FLN. Nicole Rein découvre l'atrocité du fait colonial dans toute sa nudité : “Au tribunal, j'étais surprise de constater que des personnes qui devaient être présentées devant le juge n'étaient pas là. Elles avaient disparu, et pour cause ! Elles avaient subi la corvée de bois. D'autres étaient victimes de brûlures après seulement un mois et demi de détention. Il y avait des certificats dans leur dossier qui attestaient qu'elles avaient été brûlées. C'était une législation d'exception. N'importe qui pouvait être arrêté. Il y avait des centres de tri, un détachement opérationnel de police qui torturait. La torture était systématique en vertu des pouvoirs spéciaux. J'ai dénoncé tout cela au tribunal en demandant où étaient passées les personnes disparues.”
Au sortir du tribunal ce jour-là, Nicole se voit approchée par un individu qui se présentait comme un instituteur.
Il prétendra qu'il savait où étaient cachés et torturés ses clients. C'était bien sûr un attrape-nigaud. “J'ai été attirée dans un guet-apens. J'ai été enlevée par des hommes armés de pistolets et emmenée hors de Sétif. J'ai été matraquée à coups de crosse. Je suis tombée dès le premier coup et j'étais déjà en sang. Je n'ai pas crié pour leur faire croire que j'étais morte. J'avais caché mon visage avec ma main et, à travers mes doigts, j'ai vu le matricule de la voiture qui m'avait ramenée. C'était une voiture de police, une voiture des RG. C'était signé. Les assaillants voulaient ainsi mettre mon assassinat sur le dos des Algériens. Un an auparavant, on avait assassiné l'avocat Me Ould Aoudia dans son cabinet, à Paris. J'ai prévenu le barreau de Paris, et le rapt a été condamné par le journal Le Monde.”
Cet attentat contre sa personne n'empêchera pas Nicole de revenir en Algérie. “Je suis revenue en 1961 plaider cette fois à Constantine. On ne pouvait laisser nos confrères algériens seuls. Ils subissaient de fortes pressions. Ils étaient constamment intimidés par la police. Les magistrats étaient des militaires chargés de la pacification. La vie de ces avocats étaient continuellement en danger”, explique Me Rein.
À Paris, Nicole Rein activera avec ferveur au sein du collectif des avocats du FLN, aux côtés de Me Oussedik, Mes Benabdallah, Jacques Vergès et autres Gisèle Halimi pour défendre les réseaux de soutien au FLN et dénoncer la torture. “Moi, ce que j'avais réclamé, c'était un combat de procédure. Je voulais montrer que c'étaient des combattants et qu'ils devaient être traités comme tels en application de la convention de Genève sur les prisonniers de guerre”, plaide Me Rein. “La torture se pratiquait à grande échelle dans les commissariats de police et jusque dans les caves du palais de justice”, poursuit-elle, avant de lancer : “La France perdait son âme dans cette guerre.” L'année 1961 sera particulièrement féroce avec les évènements du 17 Octobre 1961 et les massacres commis par Maurice Papon, ce préfet de police de sinistre mémoire. “Papon voulait reproduire la répression de la bataille d'Alger à Paris, lui qui avait commis des horreurs comme préfet de police à Constantine”, dit l'ancienne avocate du FLN.
Le libraire et le chimiste
Jean-Claude Paupert était structuré dans le réseau Jeanson. Il était agent de liaison. “J'étais chargé du transport des hommes, des fonds et des documents entre la France et la Suisse”, dit-il. Eu égard à ses activités, Jean-Claude Paupert fera partie des dix-huit Français qui comparaîtront le 5 septembre 1960 dans le cadre de ce qui est appelé “le procès Jeanson”. Il restera en prison jusqu'en 1963. “L'année 1954 est une année charnière pour les Algériens. Elle l'était pour moi aussi. C'était l'année où j'avais décidé de changer de vie”, confie Jean-Claude. “Je désirais devenir libraire et j'occupais mon temps à lire. Tout mon développement personnel va se poursuivre parallèlement à la guerre d'Algérie. J'allais découvrir de nouveaux auteurs en même temps que la réalité de la guerre. J'ai développé ma sensibilité, développé mes connaissances en littérature, musique, peinture, pendant ces années de guerre”. En 1956, il est rappelé comme réserviste et passe sept mois en Algérie, lui qui avait servi du côté de Theniet El-Had (actuellement dans la wilaya de Tissemsilt). En retournant en France, Jean-Claude passe son examen de libraire professionnel en même temps que son examen de conscience.
Tout en affinant sa sensibilité en voguant dans l'océan des lettres et des arts, il engage une profonde réflexion sur la guerre coloniale, une guerre qu'il découvrait dans toute son absurdité et sa laideur. “Je ne pouvais pas ne pas m'ouvrir à l'Algérie souffrante”, lâche-t-il. “De retour en France, je commençais à organiser des témoignages. Il y avait ceux qui se contentaient de s'informer sur ce qui se passait et voulaient en rester là. Moi, je me disais : j'ai peur qu'il n'en faille plus pour la paix.” De là, le basculement dans l'action militante proprement dite jusqu'à son arrestation. “Lorsque j'ai été jugé avec mes camarades du réseau Jeanson, Claude Simon, prix Nobel de littérature, est venu témoigner au nom des 121. Il a dit : je comprends ces hommes et ces femmes qui sont dans le box des accusés, je comprends leur déchirement. Je lui ai répondu : je vous remercie, M. Claude Simon, de votre témoignage si précieux. Mais sachez que c'est quand j'étais en Algérie (comme soldat, ndlr) et que je voyais ces crimes commis au nom de la France que j'étais déchiré. Aujourd'hui, je suis réconcilié avec moi-même et avec ma conscience.”
Adolfo Kaminisky était, lui aussi, dans les réseaux de soutien au FLN. Chimiste de formation, il était spécialisé dans les matières colorantes utilisées dans le développement des clichés photographiques. Une formation qui lui donnera la pleine maîtrise du maniement des encres. Juif, la persécution, ça le connaît.
Pour se tirer d'affaire, il aura à maintes reprises à utiliser ses talents chimiques avec une dextérité d'alchimiste en se muant en trafiquant de papiers d'identité. “Pendant la Seconde Guerre mondiale, je faisais de faux papiers pour les enfants juifs et pour les résistants à Paris. Après, j'ai mis cette expérience au service de la cause algérienne. L'injustice que subissaient les Algériens, la chasse au faciès, les humiliations, tout cela me choquait. La guerre coloniale était une guerre inutile. Notre action était contre la stupidité d'une guerre et la mort de deux peuples”. résume-t-il avec une concision touchante.
La violence qui opprime et la violence qui libère
Anne Preiss était, quant à elle, dans la Fédération de France du FLN. “J'étais dans la wilaya III. J'activais entre Lyon, Marseille et Saint-Etienne”, dit-elle. “Je suis née en Polynésie, dans une colonie française, et dès ma petite enfance, je ne supportais pas la façon dont les colonisateurs parlaient aux Tahitiens. J'avais une empathie pour eux”, explique Anne.
Après la Seconde Guerre mondiale, la famille de Anne rentre en métropole et s'installe en Alsace. “L'Alsace était elle-même une petite colonie”, fait observer notre interlocutrice. Animée de profonds sentiments anticolonialistes, elle répète comme une devise cette phrase cueillie dans la bouche d'un théologien de sa paroisse, à Strasbourg : “Il y a la violence qui opprime, et il y a la violence qui libère.”
Partie s'installer à Lyon, c'est là qu'elle adhère à un réseau de soutien au FLN. “On collectait des fonds, on prélevait des cotisations que j'étais chargée d'acheminer à Saint-Etienne. C'était une ville où il y avait énormément de travailleurs immigrés, si bien qu'elle était hautement surveillée. Il y avait même des miradors. Il y avait un service social au sein du FLN, une sorte de sécurité sociale clandestine. On distribuait ainsi de l'argent aux immigrés en difficulté. On leur assurait également une couverture sanitaire. Il y avait des médecins qui prodiguaient une assistance médicale dans la clandestinité.” Et de lancer : “Il y avait une vraie guerre à l'intérieur de la France, vous savez !” Après l'arrestation des membres du réseau Jeanson et autres réseau Curiel, Anne Preiss s'enfuit en Suisse, précisément à Zurich, avant de s'envoler pour le Maroc où elle rejoint la délégation du FLN à Rabat. Elle rentre à Alger le 5 juillet 1962 et y restera douze bonnes années. Grande amie de Kateb Yacine, “un immense bonhomme” comme elle le dit affectueusement, elle prénommera sa fille Julia-Nedjma. Nedjma a soutenu récemment un mémoire de maîtrise en histoire sous le titre : “La Guerre d'Algérie dans les manuels scolaires”. À croire qu'elle avait flairé la loi du 23 février et sa navrante apologie de la chronique coloniale.
Nils Andersson enfin est un gentilhomme qui a voué sa vie au “militantisme éditorial”. Fondateur des éditions La Cité-Editeur, il s'était réfugié en Suisse durant la guerre d'Algérie. De son exil helvétique, il fera circuler une richissime documentation sur tout ce qui a trait à la guerre coloniale et à sa scabreuse littérature sanguinolente.
Dans un texte magnifique sur le rôle de l'édition durant la guerre d'Algérie qu'il nous a remis, texte paru dans un numéro des Temps Modernes (Francis Jeanson, est-il utile de souligner, faisait partie du comité de direction de cette prestigieuse revue, lui le compagnon de route de Jean-Paul Sartre), il chute par ces mots effrayants de Sartre : “Les Français découvrent cette évidence terrible : si rien ne protège une nation contre elle-même, ni son passé, ni ses fidélités, ni ses propres lois, s'il suffit de quinze ans pour changer en bourreaux les victimes, c'est que l'occasion décide seule : selon l'occasion, n'importe qui, n'importe quand, deviendra victime ou bourreau.”
M. B.


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