Dans le cadre de la parution du n°1 de la revue Fassl, des auteurs ayant participé à cette édition se sont donné rendez-vous à la librairie L'Arbre à Dires pour échanger sur l'autofiction et le choix du "je" dans leur écriture. À l'occasion de la parution du premier numéro de la revue littéraire Fassl, une rencontre a eu lieu samedi à la librairie L'Arbre à Dires (Alger), qui a réuni l'éditrice Maya Ouabadi ainsi que plusieurs auteurs. Ces derniers sont le journaliste et romancier Mustapha Benfodil ainsi que les poètes Salah Badis et Lamis Saïdi. Le débat de cette rencontre qui a tourné autour de l'autofiction (thématique de ce numéro) a permis aux invités d'évoquer le rapport et le choix du "je" dans l'écriture romanesque. Mais avant d'entamer leur communication, Maya Ouabadi a présenté brièvement Fassl qui se veut la première revue "de critique littéraire en Algérie, qui regroupe des entretiens d'auteurs, des lectures de livres et des contributions. Chaque numéro est axé autour d'une thématique bien précise, le zéro portait sur la décennie noire". Au sujet de l'autofiction, l'éditrice a expliqué s'être interrogée sur la réelle définition de ce genre littéraire. À cet effet, elle a opté pour celle de l'écrivain et critique Serge Doubrovsky qui la désigne comme une "fiction d'événements et de faits strictement réels, si l'on veut, autofiction, d'avoir confié le langage d'une aventure à l'aventure du langage". Pour la conférencière, le passage sur le langage est le plus "intéressant", car ce genre se distingue par son "style et la recherche stylistique". Questionnés sur le choix du "je" dans leur écriture, Lamis Saïdi – dont un article sur son roman La chambre 102 est disponible dans la revue – a insisté sur le fait que l'autofiction a toujours "existé", et ce, même avant qu'on lui attribue une terminologie. "Je pense que toute écriture est une écriture autobiographique. En parlant de choses réelles, on se retrouve à raconter une autre réalité." À ce propos, elle a cité comme exemple Platon qui n'aimait pas les poètes. "Il raisonnait en termes de vérité/mensonge, et la poésie est mensonge. Mais Aristote a ouvert le champ littéraire en déclarant : ‘'Les poètes ne disent ni la vérité ni les mensonges, ce que disent les poètes se sont des réalités possibles''", a-t-elle expliqué. En argumentant : "Avec Aristote, nous sommes sortis de ce jugement sur la vérité. Nous sommes partis vers ce concept de réalité possible. À force de créer, ces réalités possibles deviennent un jour des réalités réelles." Sur l'écriture de son premier roman en langue arabe La chambre 102, la poétesse s'est inspirée de faits réels. "Avant ce roman, j'avais publié plusieurs recueils de poésie. Pour moi, la poésie, comme disait Aristote, propose des réalités possibles, à travers une façon d'être, une sensibilité, une vision et une distance. Sur le plan linguistique, la poésie fait changer le langage de la langue, on passe de la transmission du sens vers la génération du sens." Le choix de l'autofiction est venu par la suite naturellement, car elle avait commencé l'écriture quelque peu avant le décès de son père en 2015. "Dans ma poésie, j'utilise toujours la 3e personne du singulier, le "je" enlève le côté imaginaire et le charme du texte. Je préfère toujours prendre de la distance avec moi-même", a-t-elle souligné. Mais pour le roman, elle a changé de "technique" et s'est mise à rassembler des "choses réelles" et ne se cachait plus "derrière les métaphores et les images poétiques pour raconter ces réalités". Selon Lamis Saïdi, cette écriture s'est faite spontanément et "c'est la mort qui m'a ramenée à ce rapport très basique de la langue, qui est de raconter. Mon premier réflexe était de parler de mon père, de garder ses traits, son parcours et personnalité à travers l'écriture". Pour sa part, Mustapha Benfodil, qui a accordé un entretien à Fassl autour de son dernier roman Body Writing (éditions Barzakh), estime que l'utilisation de la première personne du singulier est un exercice un peu "casse-gueule". Car "on se demande si on ne tombe pas dans quelque chose de narcissique, de barbant, de people, totalement autocentré et inintéressant de mettre sa vie en scène". Pour le journaliste et dramaturge, "raconter une personne, c'est d'essayer de rendre modestement ce que j'appellerais sa dignité au réel". Concernant ses écrits, il a indiqué que "je ne prends pas ma vie comme un matériau pour être racontée dans un récit autobiographique. Je reste très pudique à cette idée de se mettre en scène". Enfin, Salah Badis ayant contribué avec le texte Maricane (Amérique), inspiré d'une résidence d'écriture de deux mois aux USA, a signalé qu'aux Etats-Unis les gens ont dépassé la fiction, car le "Big Brother", phénomène de télé-réalité, y a joué un rôle. "Ils veulent connaître la réalité des autres." "Les Occidentaux ont réglé le problème de l'individu depuis des siècles, ils ont dépassé les questions religieuses. Aujourd'hui, ils sont dans la confession : raconter son intimité."