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«Ce lien passionnel avec la littérature»
Publié dans El Watan le 29 - 04 - 2017

Je vous sais grand lecteur. Que lisez-vous en ce moment ? Ou qu'avez-vous lu récemment ?
Je ne vous cache pas que je lis de moins en moins. J'écris plus que je ne lis. Mais je garde toujours cette relation passionnelle avec les livres. Très jeune, j'ai lu Les frères Karamazov, de Dostoïevski en trois jours. Je lis dans les deux langues, depuis mon jeune âge, car j'appartiens à cette génération qui a eu la chance d'être bilingue, avec tout ce que le bilinguisme peut amener d'ouverture sur d'autres cultures. J'ai connu Tahar Djaout personnellement quand j'avais vingt ans, il était mon voisin à Baïnem. C'est lui qui m'a permis d'ouvrir les yeux sur les bienfaits du bilinguisme. Lui-même faisait des efforts pour lire et écrire en langue arabe. Il a même écrit un article dans cette langue, sur l'œuvre de Rabah Belamri, et je pense que c'est le seul. Il l'a publié dans la revue Riwaya éditée par Djilali Khellas en 1990.
En ce moment, je lis le roman de Carlos Zafon, L'ombre du vent, dans la traduction arabe. Le roman raconte la Barcelone de l'après-guerre civile espagnole, cette ville que l'on retrouve dans le roman d'Edouardo Mendoza, La ville des prodiges, que j'ai lu aussi dans sa traduction en arabe. Vous voyez que lire en arabe ne veut pas dire se limiter à la culture arabe, car la traduction ouvre bien des horizons. Récemment, j'ai relu Mille et une années de nostalgie, de Rachid Boudjedra. Ce roman me fascine toujours. Boudjedra est le romancier qui me fascine le plus, après Garcia Marquez. C'est lui qui m'aide à garder ce lien passionnel avec la littérature, sans oublier William Faulkner, John dos Passos, Mario Vargas Llosa, Nadjib Mahfouz, Philipe Roth et Paul Auster.
A plusieurs reprises, vous avez évoqué votre rencontre fortuite avec Tahar Djaout en 1990, la qualifiant de «leçon» pour vous…
Oui, comme je le disais, nous habitions le même quartier mais nous nous sommes vraiment rencontrés en 1990. Je sortais fraîchement de Science Po mais j'avais, en plus de la philosophie politique et de l'histoire, une passion pour la littérature. Je m'apprêtais à préparer une thèse de magistère à Nanterre sur l'image de l'Occident dans le discours islamiste. Quand je l'ai connu, j'avais à la main Les faux monnayeurs, d'André Gide. Il m'a dit : «Ceci est un roman dans le roman».
C'est resté gravé dans ma mémoire. Ensuite, il m'a parlé de son œuvre et m'a invité à lui rendre visite à Algérie Actualité, ce que j'ai fait avec un immense plaisir. Comme j'étais déjà journaliste à El Khabar, je lui ai proposé de l'interviewer. Avec mon collègue Chawki Amin, nous avons réalisé avec lui un entretien-fleuve sur son roman Les vigiles qui venait de sortir.
Tahar était quelqu'un de très bon, généreux et modeste. Un jour, en 1992, il m'a téléphoné au journal, juste pour me dire qu'il avait bien aimé une chronique que j'avais publiée ce jour-là et dont le titre était «Brûlure intérieure». J'y exprimais ma vision de la culture algérienne qui devait sortir des méandres et des méfaits d'une vision unique pour embrasser une dimension multiple salvatrice.
A l'époque, c'était la célébration du 500e anniversaire de la découverte du Nouveau monde (1492-1992). J'étais inspiré par les idées qui se propageaient à l'époque sur le brassage des cultures comme seule solution des sociétés à sortir de leur marasme culturel. La même année, le poète antillais Derek Walcott s'est vu décerner le prix Nobel de littérature. Sa poésie sur le «brassage des cultures» m'a permis d'aller vers le «créolisme».
Où trouvez-vous le temps pour lire ?
Un écrivain doit lire continuellement. Il ne peut jamais écrire sans la lecture. Ecrire ce n'est pas seulement une histoire à raconter. C'est aussi un style à perfectionner, un moment de création, qui crée une relation étroite avec la langue. Vous savez comme moi qu'être journaliste ne vous donne pas assez de temps pour lire. Mais malgré ca, je me trouve toujours un moment bien à moi pour tourner les pages d'un livre qui me passionne. Comme disait Arthur Schopenhauer : pour lire le bon, il y a une condition, c'est de ne pas lire le mauvais !
On affirme souvent que les Algériens ne lisent pas. Partagez-vous cet avis ?
Je dois dire que la lecture passe-temps a bel et bien supplanté la lecture-passion. De nos jours, les gens lisent les best-sellers. L'âge d'or de la lecture est révolu partout dans le monde, à des degrés différents, bien sûr. Selon une étude pour le National Endowment for the Arts, un Américain sur deux n'avait pas ouvert un seul livre en 2014. Aujourd'hui, on raconte que dans 25 ans, la littérature n'existera plus. Récemment, Télérama a posé cette question pertinente : «Le lecteur serait-il carrément en voie de disparition ?» Les Algériens ne semblent pas échapper à cette règle. Ils lisent de moins en moins, mais ils lisent quand même. Ils lisent beaucoup de livres d'histoire et peu de romans.
Votre premier roman, El Inzilaq, a été publié en 1999. Quels enseignements en avez-vous tirés ?
Très jeune, je me préparais déjà à écrire. Mon premier texte écrit sans être publié remonte à 1986. Après avoir lu Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez, j'étais sidéré et séduit. J'ai tout de suite commencé à raconter l'histoire de ma famille et de ma tribu, les Ath Moussa, une frange de la tribu Maghraoua, selon Ibn Khaldoun, cette grande tribu berbère qui a marqué l'histoire du Maghreb au Xe siècle. Je n'ai pas publié ce roman, tout comme des dizaines de nouvelles que j'ai écrites. Le glissement (Al Inzilaq) a été mon premier roman publié. J'ai raconté la triste vie d'un écrivain-journaliste menacé de mort pendant les années noires. Je l'ai écrit dans l'urgence certes, mais il contient une partie de mes souffrances. C'est donc un roman de l'individu, du «moi».
En ce sens, le «glissement» pourrait être lu comme le lieu de création où s'affrontent et se confondent les tensions du Moi individuel du narrateur en l'occurrence, Abdellah El Hamel, et celles du Moi collectif qui recèle les nombreux paradoxes de la société algérienne. J'ai tiré de l'écriture de ce roman un enseignement important : écrire dans l'urgence peut induire à négliger le côté artistique et tout ce qui est en relation avec le style. J'ai compris que le roman est loin d'être une histoire à raconter ; c'est plutôt un examen de style, un exercice douloureux avec la langue. Et aussi, le roman est loin d'être un outil de combat idéologique, comme dans Le glissement, mais un moment de création artistique ou le style n'est pas négligeable.
Il y a eu ensuite le recueil Récits du café Malakoff (2005) et un second roman, Le miroir de la peur en 2007. Cet aller-retour entre nouvelle et roman correspond-il à des circonstances ou des choix littéraires ?
Pour Gabriel Garcia Marquez, la nouvelle est un moment de pause entre deux romans. On l'écrit après un long roman pour se reposer et garder le lien avec l'écriture. Tous les grands romanciers on écrit des nouvelles, Ernest Hemingway, Scott Fitzgerald, John Steinbeck, Erskine Caldwell, Nadjib Mahfouz, Tayeb Saleh, etc. J'ai écrit Récits du café Malakoff juste après Le glissement.
Je dois préciser que j'ai cessé d'écrire pendant presque cinq ans, la raison est qu'un écrivain de nos aînés m'a sévèrement critiqué, moi et d'autres écrivains de ma génération. Il disait que notre œuvre était dénuée de sens et de touche artistique et que nous avions écrit dans l'urgence des textes qui avoisinaient le style journalistique, donc plutôt direct.
La critique l'a suivie sur cette voie, bizarrement je dirai, car je trouve aberrant que des critiques littéraires suivent les points de vue subjectifs d'un romancier. Cela m'a bloqué. Il fallait que je me remette en cause. Donc, j'ai cessé d'écrire jusqu'au jour où j'ai compris que, finalement, on nous reprochait un engagement idéologique et la question du style (malgré sa pertinence) n'était en fin de compte qu'une excuse pour descendre de jeunes auteurs qui écrivaient différemment.
Pour revenir à l'écriture, après de longues années de silence, j'ai donc écrit ces nouvelles où je raconte les transformations de la société au sortir du socialisme vers un libéralisme qui commençait déjà à nous faire peur. C'est cette peur qu'on retrouve dans mon second roman, Le miroir de la peur, qui m'a remis sur le sentier de l'écriture romanesque. Mais je dois dire que le roman pour moi est un ensemble de nouvelles.
Depuis les romanciers du début du siècle (M. Proust, V. Wolf et J. Joyce), le roman n'est que la traversée de l'âme humaine à travers des histoires tirées de la vie autour de nous. Après ces deux romans, j'ai publié un troisième Les épices de la ville (2013), où je retrace l'engagement de la bourgeoisie des villes pendant la guerre de Libération et le sort qui lui a été réservé après l'indépendance.

Dans l'ensemble de vos écrits, la part autobiographique paraît importante liée sans doute au désir de témoignage. Etes-vous d'accord ?
Tout à fait. Mais seulement pour les personnages des deux premiers romans, car là je rejoins Nadjib Mahfouz qui disait à propos de sa première trilogie du Caire : «Kamel Abdeljawad, c'est moi.» Moi aussi, je dis : Abdellah El Hamel, dans Le glissement et Zinou dans Le miroir de la peur sont moi. Je me raconte dans ces deux romans, et je raconte l'histoire de mon quartier, Saint-Cloud dans la banlieue algéroise, du côté de cap Caxine. Ce quartier si paisible dans le présent reflète un passé historique mouvementé ; la première tentative d'invasion française a eu lieu au large de cap Caxine, le 23 mai 1830. Un écrivain lorsqu'il se trouve en face d'une réalité plate n'a qu'à puiser dans la mémoire individuelle ou collectif.
C'est ce que j'ai fait dans mon troisième roman Epices de la ville, où je ne suis pas du tout présent. J'ai carrément tout inventé, en me basant sur des lectures sociologiques et historiques. Cela dit, le roman pour moi est un travail de longue recherche, avant d'être le seul fait de l'imagination.
Puisqu'on parle d'autobiographie, que pensez-vous de ce qu'on appelle l'autofiction, en vogue dans le monde sous forme de déballages intimes ou de mémoires anticipées ?
Le nouveau roman algérien, et même le roman à travers le monde, de nos jours, est un roman de l'autofiction ou autobiographique, ou roman personnel, basé sur le principe des trois identités (l'auteur est aussi le narrateur et le personnage principal). Le poids dur de la vie a fait que les écrivains se regardent, se racontent, se substituent à la société.
Ce n'est pas par narcissisme, mais plutôt par besoin. Le monde moderne est si dur, il ne laisse à certains individus, surtout les plus sensibles, que l'écriture romanesque comme rédemption, comme thérapie pour raconter des faits strictement réels. La fiction devient l'outil affiché d'une quête identitaire. Mais je dois dire que ce roman d'autobiographie commence à connaître sa décadence depuis 2012, il laisse la place notamment à «l'exofiction» ou la biographie romancée d'une personne réelle autre que l'auteur.
Votre œuvre est parcourue par la décennie noire. Simple coïncidence de votre écriture avec l'époque ou volonté délibérée de témoigner de cette tragédie ?
On écrit pour témoigner. Et pour raconter nos propres déceptions, nos échecs, nos rêves ratés à cause de cette décennie noire. Tous mes romans sont traversés par cette période qui nous a tant touchés, que nous avons vécue avec peur, mais avec courage aussi. En tant que journalistes et écrivains en même temps, mais c'était aussi le cas de la plupart des Algériens.
Comment considérez-vous, en tant que journaliste culturel, la présence de cette thématique dans la production culturelle et artistique ?
Cette période est un traumatisme, elle a glissé facilement dans le roman, d'une manière récurrente. Elle est présente dans tous les romans de ces vingt dernières années, elle revient tel un leitmotiv. Et comme l'a si bien constaté le critique Rachid Mokhtari, beaucoup de ces romans ont été écrits dans la proximité totale avec le drame.
A-t-elle donné lieu, selon vous, à des œuvres de qualité, marquantes et durables ?
Au début, les œuvres écrites durant cette période étaient traversées par cette urgence. Nous avons écrit dans le but de combattre le projet «islamiste» dans son angle totalitaire, tout comme Vercors a écrit Le silence de la mer durant la Seconde Guerre mondiale, après la chute de Paris. Tout roman qui aborde une thématique d'actualité peut avoir des lacunes, il peut servir comme outil de combat immédiat, mais il peut être matière à débat en ce qui concerne son esthétique. C'est des années plus tard, avec le recul, que l'on pourra dire si nous avons réussi ou non à écrire des œuvres marquantes.
Une nouvelle génération d'écrivains apparaît, avec plus de femmes, plus de textes en langue arabe, plus d'influences mondiales… Comment considérez-vous et analysez-vous la littérature algérienne actuelle ?
C'est juste. Les femmes sont plus présentes dans la nouvelle génération qui a créé un texte où l'idéologie est carrément absente. Nous sommes des héritiers de Tahar Djaout qui considérait que l'écriture romanesque est un acte en relation étroite avec la poésie. Les influences du monde entier sont très importantes pour nous. Personnellement, j'étais très influencé par le roman latino-américain. Après avoir lu Cent ans de solitude, de Marquez, j'ai été captivé par les romanciers du «boom» latino-américain. J'ai lu les Argentins Jorge Luis Borges et Ernesto Sabato, le Guatémaltèque Miguel Angel Asturias, le Chilien Carlos Fuentes, le Péruvien Mario Vargas Llosa (surtout La ville et les chiens, son meilleur roman), le Brésilien Jorge Amado.
Mais c'est surtout le Mexicain Juan Rulfo qui m'a beaucoup influencé. Pour moi, son roman Pedro Paramo (1959) a inventé le réalisme magique. Ces lectures ont fait de moi un écrivain en face de plusieurs expériences littéraires, cela a nourri ma vision et m'a permis de ne pas prendre l'acte d'écrire trop sérieusement.
Mais peut-on percevoir de véritables tendances littéraires dans cette production qui reste peu importante quantitativement ?
Pour moi, la caractéristique principale de cette nouvelle littérature algérienne, est qu'elle est dénuée de tout fondement idéologique. C'est une littérature de la condition humaine, de la misère des hommes, des rêves brisés et du doute quant aux choix de l'Etat nation après l'indépendance. C'est une littérature qui s'est occupée de l'histoire et a même essayé d'en donner une lecture différente. Les tendances ne sont donc pas liées aux conceptions idéologiques classiques. Nous sommes des écrivains humanistes et c'est tout. Je dois dire que Rachid Boudjedra m'a montré le chemin sur ce point. Il est communiste mais cette idéologie n'a jamais traversé son œuvre littéraire. Son œuvre est plutôt parcourue par la vie, par des questionnements d'ordre métaphysique et philosophique.
C'est pour cette raison que je considère les écrivains de ma génération comme habités par ce sentiment que la création littéraire est art et langage, qu'elle est un système esthétique, comme disait Martin Heidegger. J'ai toujours adhéré à l'idée formulée depuis Nietzsche jusqu'à Lyotard et jusqu'a Deleuze, où se développe une esthétique affirmative, pour laquelle l'art n'est pas intentions mais intensités qui s'opposent à la fois à l'esthétique objective de Platon et à l'esthétique positive de Hegel.
Vous êtes aussi l'auteur de biographies historiques remarquées sur Ferhat Abbas, Abane Ramdane et Houari Boumediène. D'où vient cette passion ?
Effectivement, j'ai même voulu me spécialiser dans ce domaine. J'ai écrit aussi la biographie de Lamine Debaghine. J'ai commencé par Ferhat Abbas en 2002, ce grand républicain aux idées précieuses, que nous avons hélas négligé. Je voulais, en ce qui le concerne, briser l'idée selon laquelle la classe bourgeoise en Algérie n'a pas participé à l'effort de guerre et que seule la masse plébéienne l'a fait comme l'analyse la théorie fanonéenne. Pour Abane et Debaghine, j'ai écrit leurs biographies en plein débat après la publication des mémoires du moudjahid Ali Kafi. Là, j'ai carrément pris position et défendu l'intellectuel du Congrès de la Soummam contre vents et marées. J'ai mis en exergue l'idée selon laquelle les intellectuels ont bel et bien contribué à l'effort révolutionnaire et que la guerre de Libération n'a jamais été uniquement «des batailles» contre le colonialisme. C'était aussi des idées et des débats. Quant à la biographie historique que j'ai consacrée à Boumediène, je la voulais comme un effort de ma part pour éloigner l'écriture historique de l'influence politique.
Les livres sur l'histoire, et notamment l'histoire moderne de l'Algérie, apparaissent en tête des demandes du lectorat. Quelles sont les sources de ce phénomène ?
C'est juste. Cela est dû à l'avènement de l'ouverture démocratique après Octobre 1988. Les langues se sont déliées après de longues années de silence et de lectures dirigées. Ce qui passe sous silence rejaillit. L'histoire, comme disait Messali Hadj, ne peut rester éternellement sous terre, elle doit jaillir à un moment de son étouffement. C'est ce qui c'est passé. Nous avons connu pendant les années 1990, la publication de dizaines de mémoires. Les acteurs prenaient la parole, ils racontaient l'histoire autrement, sans tabous, ni démystification, d'une manière subjective certes, car il faut signaler que l'Algérien n'a de penchant que pour ce qui est subjectif. Mais cela a créé cet engouement qui a concilié l'Algérien avec sa mémoire et son histoire récente.
L'absence de la critique littéraire ou autre est décriée depuis des décennies. En tant que journaliste culturel, comment le vivez-vous et le voyez-vous ?
C'est est un grand problème. Nos critiques littéraires sont cloisonnés entres les murs de l'université. Ils enseignent Dib, Mammeri et Kateb Yacine, ou bien Tahar Ouattar et Réda Houhou. Je respecte beaucoup ces écrivains, mais je crois que ces mêmes critiques devraient s'intéresser aux nouveaux romanciers.
Le journaliste Hamid Abdelkader et l'écrivain Hamid Abdelkader peuvent-ils entrer en conflit ?
Il existe une totale harmonie entre les deux. Il m'arrive d'être journaliste, même quand j'écris une œuvre littéraire. Je suis comme John Dos Passos qui, depuis La grosse galette, a introduit dans le roman la forme des manchettes de journaux. Je ne suis pas de ceux qui disent que l'écriture romanesque n'a aucun rapport avec l'écriture journalistique. L'interférence peut apparaître, car il existe des interconnexions entre journalisme et roman, mais de façon très minime. Je suis journaliste le jour, mais le soir je suis romancier, avec mes personnages et mes lectures. Le conflit peut exister lorsque le journaliste que je suis ne laisse pas apparaître le romancier. Lorsque le style journalistique essaye de dominer le romancier, là je m'insurge, je marque un moment de pause, je lis de la poésie, les anciens poètes arabes surtout, notamment El Mutanabbi, puis je me replonge dans l'écriture romanesque.
Y a-t-il quelque chose en préparation sur votre bureau d'écrivain ou en gestation dans votre esprit ?
Je vais bientôt terminer mon quatrième roman. Il retrace l'histoire d'un quinquagénaire qui raconte ses déceptions depuis l'enfance. Je retrace les dérives de notre histoire récente depuis les années 1970. Je donne la parole à tous ceux que le système a marginalisés. J'évoque nos déceptions, nos rêves et tout ce qui a fait de nous des «outsiders», comme ce jeune homme engueulé par le maire de son village, Khemissi El Khawi, seulement parce qu'il a osé visiter la tombe de Jean Sénac, ce grand poète qui revient tout au long de ce livre. C'est un roman sur les dérives de l'après-indépendance et les transformations subies par notre société.


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