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Entre espoir déraisonnable et fatalité
Derrière les statistiques, le drame des familles des harragas disparus en mer
Publié dans Liberté le 24 - 09 - 2019

Dans la nuit du 1er au 2 septembre, 17 jeunes embarquent depuis la plage de Stidia, commune balnéaire située à une cinquantaine de kilomètres d'Oran, pour rejoindre les côtes espagnoles.
Le dilemme est ce grand écart entre un espoir entretenu contre tout entendement logique et un deuil impossible à faire en l'absence d'un acte de décès officiellement établi. C'est l'état d'esprit du quotidien incertain des familles des harragas disparus en mer depuis que le pays a commencé à pousser ses propres enfants vers le large d'où beaucoup ne reviendront jamais. L'actualité est ainsi vite rattrapée par d'autres tentatives de harga, journellement comptabilisées à partir des plages de l'Algérie, et ce phénomène reste souvent circonscrit à de simples statistiques nationales qui cachent mal le drame de ces pères et mères de jeunes partis un soir sans lendemain.
Jeudi 20 septembre 2019, la chaleur de Relizane fait honneur à sa réputation de ville fournaise alors que les cris de colère de 14 familles de harragas qui ont disparu, moins de deux semaines auparavant au large d'Almeria, retentit toujours du côté du siège de la wilaya. Des familles réunies par le sang, le voisinage ou le malheur, ont improvisé un sit-in en désespoir de cause devant le mur de silence érigé par les autorités locales."Nous ne savions plus vers qui nous tourner, nous avons frappé à toutes les portes officielles et aucune réponse n'est venue apaiser notre douleur", c'est en substance la réponse de ces gens quant au processus de recherche des leurs.
Une tragédie silencieuse, à huis clos, jusqu'au débordement dans la rue où on étale son histoire qui commence dans une crique ou une plage, quelque part sur les côtes algériennes, et qui ne finit jamais pour certains. Ils ont manifesté pour avoir le droit d'être reçus par madame la wali, comme ils disent, pour qu'elle daigne leur accorder un peu de son temps et accélérer les démarches en direction d'Alger, la capitale où se trouve le ministère des Affaires étrangères, seule autorité, pensent-ils, à même d'amorcer le contact avec les Espagnols.
"Il a fallu que nous fassions preuve de persévérance pour enfin rencontrer la première responsable de la wilaya de Relizane", souligne Noureddine Ouaddah, le père d'un des disparus et porte-parole désigné des familles de ces harragas. Petit rappel des faits : dans la nuit du 1er au 2 septembre, 17 jeunes embarquent depuis la plage de Stidia, commune balnéaire située à une cinquantaine de kilomètres d'Oran, pour rejoindre les côtes espagnoles. 14 sont de Relizane dont 5 de la cité des Abattoirs (Batoir) et 3 de Mostaganem dont le guide à la tête de l'expédition. Le départ se fait dans une totale discrétion : les familles ne seront mises au courant que le lendemain. La traversée tourne au désastre et la presse ibérique est la première à donner l'information.
Elle rapporte qu'une patera transportant 17 clandestins algériens a fait naufrage et que seulement 2 passagers ont pu être sauvés. La même source d'informations rapporte que Salvamento Marítimo, l'établissement public chargé de la sûreté maritime dans les eaux espagnoles, avait suspendu ses recherches pour retrouver les 15 naufragés disparus dans les eaux de cabo de Gata, ou cap de Gate, situé au sud de la péninsule Ibérique, dans la province d'Almeria, après le sauvetage de 2 hommes repérés à environ 40 miles à l'est-sud-est de cabo de Gata.
Tranches de vie avant l'embarquement fatal
Quartier populaire et populeux de Graba, cité des Abattoirs, une des familles nous attend pour évoquer son petit-fils et neveu, Mohamed, 18 ans, qui fait partie des 15 disparus. Benyahia, l'oncle, n'arrive toujours pas à croire à ce qui leur arrive, lui qui est déjà passé par là en prenant la mer en 2005 pour rejoindre l'Espagne. Cette incrédulité, on la retrouvera tout au long de nos entretiens, portée en permanence comme un masque funéraire par les membres de la famille, particulièrement chez les femmes.
Cette impression qui vous prend à la gorge et qui vous interdit de croire que c'est arrivé à l'un des vôtres, c'est le sentiment partagé par tous ceux qui sont restés derrière, sur la terre ferme, incapables d'accepter l'inimaginable. Sa grand-mère maternelle est inconsolable et nous désigne, de son index noueux, la place où dormait son petit-fils, juste à ses côtés. Elle ne peut retenir ses larmes lorsqu'elle relate le dernier jour passé avec le fils de sa défunte fille, morte, il y a un peu plus de deux ans, à l'âge de 39 ans. "Elle me l'a laissé ‘amana' et je n'ai pas su le garder", se lamente-t-elle. Prenant à témoin son fils, Benyahia, elle se rappelle la gentillesse de celui qui devait passer son baccalauréat cette année, celui que tout le monde pleure aujourd'hui. "Mahouch qbih" (il n'est pas méchant) répète-t-elle.
"Il a pris ses Adidas pour soi-disant aller jouer un match de football et depuis on ne l'a plus revu. On lui a laissé son dîner et quand je l'ai appelé, il m'a répondu qu'il était chez son oncle à Mostaganem". Pour Noureddine Ouaddah, le départ de son fils de 24 ans, Maher Rachid, est une conséquence directe "de la cabale policière dont lui et ses frères ont été victimes", affirme-t-il. Son cadet avait déjà tenté l'aventure en 2018, en compagnie de son aîné, Mohamed Riyad, débarquant à Carthagène, dans la région de Murcie, avant de s'installer en Allemagne après un passage par la France. Le destin prendra la forme de la grave maladie de sa mère qui l'a obligé à revenir au pays. Pour Noureddine, l'acharnement de certains flics locaux sur ses enfants après une "agression d'un policier sur son benjamin" va pousser Maher Rachid à choisir de nouveau la harga sans l'en aviser.
"Tôt ou tard, je partirai", s'est-il confié à son père, certain de se faire piéger dans une affaire de détention de stupéfiants dont il serait innocent. "Depuis la nouvelle de sa disparition, je suis comme perdu, je n'ai pas mangé pendant une dizaine de jours me contentant de jus de fruits pour rester debout", poursuit Noureddine. À haï Satal, à quelques encablures du bidonville de Oued Sfa, Salmia, la sœur d'Abdelaziz, veut qu'on lui dise où est passé son frère de 28 ans. "Hay wala miyet, win rah khouya ?" (Mort ou vivant, où est mon frère ?) s'interroge-t-elle avant d'éclater en sanglots.
"Il m'a appelé ce soir de Stidia pour me dire au revoir, j'ai voulu le rejoindre mais je n'ai pas pu", racontant les dernières heures de son frère dont la situation sociale précaire est le lot quotidien de quasiment la totalité de ceux qui ont pris le départ cette nuit. "Il ne s'agit pas d'un ou de deux corps mais de quinze, où sont nos disparus ? Ceux d'Oran et de Boumerdès ont été retrouvés alors que nous sommes sans nouvelle des nôtres", s'emportant contre les responsables locaux qui n'ont rien voulu faire pour les aider. "Nous ne savons plus vers qui nous tourner, la wali n'a pas voulu nous venir en aide, qui peut le faire ?", reprenant les griefs retenus, en pareille circonstance, contre les autorités qui restent impassibles ou désarmées devant leur drame.
Que s'est-il réellement passé à bord du "Silmya 2994" ?
Sa famille, comme celles des autres disparus, s'accroche pourtant à un infime espoir malgré les nouvelles peu engageantes qui sont arrivées d'Espagne. Benyahia rapporte avoir demandé à un ami se trouvant en Espagne d'aller sur place pour s'enquérir de la situation. Ce dernier, et dans un appel sur Messenger, leur a affirmé qu'on lui a dit que les autorités navales ont arrêté quinze clandestins qu'ils ont envoyés vers le centre de rétention provisoire des étrangers de Madrid, mais impossible de vérifier l'information. "Nous avons cotisé pour lui envoyer 200 euros, nos conditions sociales ne nous permettent pas d'autres dépenses pour le moment", se désole-t-il.
La presse espagnole, quant à elle, a fait état, citant des sources du secours maritime ainsi que de la police nationale, des contradictions dans le témoignage des deux rescapés qui ont donné des versions complètement différentes sur les raisons de leur présence en mer au moment de leur sauvetage et sur les conditions de la traversée. Pour les familles, deux scénarios sont plausibles mais tous penchent pour la version donnée par Taki, l'un des deux rescapés, qui s'est fait la belle de l'hôpital où il avait été admis pour des soins, et qui raconte qu'une bagarre au couteau a éclaté à bord du "5m20" après que deux des passagers ont voulu agresser le jeune Fethi, 17 ans, originaire de Stidia, qui avait en sa possession une somme d'argent en euros assez conséquente.
Les autres passagers se sont jetés à la mer pour sauver leurs vies et Zoubir, le guide, aurait alors retiré le starter du moteur qu'il aurait balancé par-dessus bord. C'est Benyahia qui rapporte cette histoire qu'il a entendue de la bouche même d'une tierce personne en relation avec ce fameux Taki qui se trouverait actuellement soit à Nice, soit à Toulouse.
Quant à Zoubir, qui a été arrêté par les services de sécurité espagnols, il affirme que le naufrage du bateau est dû à une tempête qu'ils ont essuyée. Le témoignage des deux hommes s'accorde pourtant sur un fait, c'est qu'il n'y a pas eu d'autres survivants. Une certitude qui n'ébranle toutefois pas l'espoir des familles qui s'accrochent aux plus infimes détails comme le fait de ne pas encore retrouver le corps des disparus ou au moins quelques-uns de leurs effets personnels. Mohamed, le frère de Fethi, lui, n'arrive toujours pas à concevoir comment son petit frère soit parti comme ça.
"Il n'avait besoin de rien, (la famille étant aisée), il était sportif, jouait avec les juniors du Widad de Mostaganem", raconte-t-il, visiblement encore sous le choc. "Dimanche, vers 11h, il m'avait demandé deux millions pour s'acheter des vêtements, et n'est pas passé travailler à l'épicerie comme il avait l'habitude de le faire. Il n'a pas donné signe de vie de la nuit et ce n'est que le lendemain qu'on nous a informés de son départ".
Presque trois semaines se sont écoulées depuis la disparition des 15 harragas et il ne reste qu'un espoir fou de les retrouver quelque part, dans les geôles marocaines ou tunisiennes comme il est permis d'espérer mais tous s'accordent à dire que tant que les corps n'ont pas été rejetés par la mer, le deuil ne peut se faire. Un sentiment partagé par toutes les familles des harragas disparus en mer.

S. O.


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