Lors de la rencontre animé à l'Espace France au Sila, l'auteur est revenu sur son roman qui relate le parcours d'un tirailleur sénégalais durant la Première Guerre mondiale. Aussi, sur son écriture, la traduction littéraire et le rapport entre la philosophie et la littérature. Lauréat du prix Goncourt des lycéens 2018 et du 1er Goncourt Choix Algérie, le maître de conférences à l'université de Pau, David Diop, était l'invité de l'Espace France au 24e Sila (du 31 octobre au 9 novembre à la Safex). Pour cette première à Alger, l'auteur de Frère d'âme (éditions Le Seuil) est revenu sur ce roman fort puissant –écriture, langue, traduction – qui relate le parcours d'un tirailleur sénégalais durant la guerre mondiale. "Un matin de la Grande Guerre, le capitaine Armand siffle l'attaque contre l'ennemi allemand. Les soldats s'élancent. Dans leurs rangs, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, deux tirailleurs sénégalais parmi tous ceux qui se battent alors sous le drapeau français. Quelques mètres après avoir jailli de la tranchée, Mademba tombe, blessé à mort, sous les yeux d'Alfa, son ami d'enfance, son plus que frère. Alfa se retrouve seul dans la folie du grand massacre, sa raison s'enfuit. Lui, le paysan d'Afrique, va distribuer la mort sur cette terre sans nom", peut-on lire dans la 4e de couverture. Spécialiste dans la littérature du 18e siècle, notamment sur la représentation de l'Afrique durant cette période, Diop a expliqué s'être "nourri de ses recherches universitaires" qui lui ont permis de lever le voile sur la "façon dont on voit les Africains dans cette période ancienne, à l'exemple du regard de l'Européen sur les Africains". Par la suite, il a commencé à travailler sur les "récits de voyageurs" européens, tout en s'intéressant à leur perception sur l'Afrique ainsi que leur "regard" sur les tirailleurs sénégalais durant la Première Guerre mondiale. À propos de cette dernière qu'il trouve "aberrante", David Diop, à travers une lettre fictive d'un tirailleur qui ne parle pas la langue française, a construit un psycho-récit, et ce, avec "une technique littéraire qui permet au lecteur de faire irruption dans la conscience du personnage. Un récit de la pensée du personnage où on fait irruption sans filtre", a-t-il indiqué. Selon l'auteur, cela permet de comprendre "le choc de ces tirailleurs sur une terre européenne", et l'arrivée de cette population est considérée comme "la première migration voulue par l'Europe. Ce n'était pas pour fabriquer des voitures dans les usines mais pour faire la guerre". Frère d'âme reconstitue entre autres la violence dans les guerres ; "elles sont dures, et il fallait que je replace mon personnage dans cette dureté. Je situe l'action dans le sens des personnages, c'est-à-dire en Afrique", a-t-il précisé. Et d'ajouter : "Elle n'est pas idéalisée, c'est une Afrique dans laquelle le personnage construit sa faille, celle qui va s'agrandir au moment du combat, au moment de la guerre. Il me fallait construire un personnage non pas réaliste mais presque mythique." Ce personnage est "enraciné" dans sa terre, issu d'une famille dont le père est paysan, et la mère une nomade, cette situation le "fragilise". À cet effet, "je voulais faire un personnage fragile. En écrivant le roman, je n'avais pas d'objectif politique, il s'agissait seulement d'imaginer l'état d'esprit d'un personnage qui, dans le fond, était représenté d'une manière schématique. Je voulais montrer que ces gens venus se battre avaient une sensibilité et une culture, et qu'on pouvait ressentir ce qu'ils ont vécu". Concernant la traduction de son roman dans plusieurs langues, notamment en langue arabe (disponible en Algérie aux éditions El Kalima), David Diop a soutenu qu'il trouvait cela "merveilleux". "Pour l'instant, je n'ai rencontré que mon traducteur allemand, il m'a expliqué toutes les difficultés qu'il a eues pour recréer dans sa langue cet horizon culturel complètement séparé", a raconté le conférencier. Et de renchérir : "Je ne parle pas un seul mot en allemand, mais en lisant j'ai retrouvé le rythme, le traducteur a eu le talent de le conserver. Pour moi, la traduction est un art." Questionné lors du débat sur la relation entre la littérature et la philo, le romancier a soutenu que "la philosophie et la littérature sont extrêmement proches. À travers les sensations produites par la littérature, on peut arriver à des questions existentielles. La philo réfléchit sur l'existence, au-delà de l'individu, elle réfléchit sur l'humanité".