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Othmane Baly ou la médecine tindi
Hommage au Barde du Tassili
Publié dans Liberté le 02 - 07 - 2005

Djanet sans toi est orpheline. Un peuple perdu dans tes pas. La vie après toi ne continue pas. Pas vraiment, en tout cas. Les flots qui t'ont pris sont-ils repus de ta poésie ? De ta générosité ? Quel houleux destin, toi dont l'eau comme le désert était l'élément ! Toi, dont ce fleuve tari était l'encrier, l'étui de ton ûd, fleuve de sagesse que tu étais. Dire Baly. Dire la sainteté d'un homme ceint de bonté. Quel exercice difficile que celui de raconter l'homme d'exception que tu étais. Toi, le roseau tindi, le roseau altier de Tinjdad qui ne se ploie que pour prier.
Oui, toi. Prince des troubadours touareg. Pierre immortelle du Tassili…
D'abord une précision à propos du nom exact de l'artiste disparu. On l'a toujours connu sous le nom de Othmane – ou Athmane – Baly. Sur certaines pochettes de disques, on a pu voir Baly avec un “y”. Sur d'autres : Outhmani. Avec un “u”. Une pagaille orthographique qui en dit long sur notre profonde méconnaissance de nos artistes. L'aède du Tassili s'appelle en vérité Othmani M'barek. Baly, avec un i insiste son fils aîné, était son nom de scène. Un nom généreux comme une clé de sésame. En ce vendredi 24 juin, toute la population de Djanet se rue vers Tinejdad, le quartier où habite Khadidjata, la mère de Baly, matriarche de la famille, gardienne de la mémoire collective. La société targuie, est-il utile de le rappeler, est fondamentalement matriarcale. La maison maternelle se trouve à la lisière d'une splendide palmeraie, entourée de jardins luxuriants, sur l'autre flanc de l'oued. Nonagénaire et presque aveugle, Khadidja retient stoïquement ses larmes. “C'est ici qu'a grandi Baly”, nous dit-elle. Courageuse, elle reçoit dignement les nombreux visiteurs qui ne cessent d'affluer. Dans le lot, quelques personnalités politiques et artistiques. Hamid Baroudi, qu'une longue amitié liait à Baly au point que l'ex-leader du groupe Dissidenten se proclame ardemment de la culture targuie. Le Dr Saïd Sadi aussi a fait le déplacement pour présenter ses condoléances de vive voix à la famille Baly. Le président du RCD a toutefois souhaité inscrire sa visite sous le signe de la discrétion. Le député Hamou (FLN) a tenu également à témoigner sa sympathie à la famille du défunt. Des tolba psalmodient le Coran. Une ouaâda est offerte à titre de charité. La tradition veut que la population se retrouve après la prière du asr au septième jour de la disparition de l'enfant du village pour honorer sa mémoire. Khadidjata dit de son fils qu'il avait une aura particulière. Qu'il était investi d'une attention divine exceptionnelle. Samir y croit. Samir est son fil aîné. 34 ans, licencié en lettres françaises, il est chef du personnel à l'académie d'Illizi et animateur à radio Tassili où il présente tous les samedis “Amthal, hikam oua maâni”, une tranche dédiée aux proverbes du terroir. Samir raconte que le corps de son père a été repêché dans un coin des jardins de sa grand-mère Khadidja, à croire qu'une main céleste a veillé à déposer soigneusement sa dépouille auprès de sa maman, celle qui lui donna la vie, le lait et la musique.
Un mélomane né
Othmani M'barek est né (présumé) en 1953 à Djanet, au quartier dit Ouballou. Ayant grandi dans une famille de mélomanes, la musique était sa langue maternelle. Sa mère et un de ses oncles seront pour beaucoup dans sa formation musicale. En effet, Khadidja a beaucoup appris à son barde de fils, elle qui passe pour une virtuose de l'imzad, un violon monocorde confectionné à base d'une citrouille barrée par un poil de chameau. Après des études secondaires à Tamanrasset, Baly suivra une formation dans le paramédical à Laghouat, avant de la parfaire à Ouargla où il sort comme : technicien supérieur de la santé. Il totalisera trente-trois ans de service comme instrumentiste rompu au maniement du bistouri à telle enseigne que d'aucuns le présenteront comme un chirurgien accompli. Il servira à l'hôpital de Djanet jusqu'à la fin de ses jours, n'interrompant son travail que le temps d'une tournée avec son ensemble. “C'était un collègue exemplaire. Il excellait autant dans le chant qu'au bloc opératoire. Il a formé des générations d'infirmiers”, témoigne Brahim Ouanella, un de ses anciens disciples devenu collègue. “Elli t'goulha fih qelil !” ajoute Brahim avec émotion. Même impuissance sur toutes les lèvres à dire l'élégance, la bonté, la magnanimité de Baly, lui, qui a circoncis la moitié des bambins de Djanet. Abdelkader, un autre de ses collègues, se souvient : “Je l'ai connu à l'Institut paramédical de Ouargla. Aux coups de minuit, il s'enfermait dans le réfectoire et passait une bonne partie de la nuit à répéter seul en grattant son luth.” Bohémien dédaignant l'aspect pécuniaire de la vie artistique et ses paillettes, Baly logeait dans un modeste F3 d'un petit immeuble de deux étages, dans le quartier de Zellouaz, depuis le début des années 1980, à l'ombre du Timbeur, un majestueux rocher emblématique de Djanet. Son salaire d'infirmier était sa principale source de revenu. “Mon père s'est toujours désintéressé de l'argent. Il ne gardait jamais rien pour lui. Il me disait : le jour où j'ai pris le luth, je ne l'ai pas pris pour gagner de l'argent”, témoigne son fils Samir avec une voix emplie de fierté. “Quand on voit une chanteuse comme Magda Eroumi – qui, par ailleurs, le mérite – toucher un cachet de 500 000 euros et un artiste comme Baly se voir verser un cachet de 50 000 DA, on mesure toute l'idée que se font nos responsables culturels de nos artistes”, déplore Driss Louadah, imprésario de Baly. De quoi tomber à la renverse pour un virtuose qui a fait deux fois le tour de la Terre/personname /, qui s'est produit à Paris, Londres, Berlin, Prague, Pékin, Caracas, Copenhague et, tout dernièrement, au Japon, à l'occasion de l'Exposition universelle d'Aïchi. Encore que du peu qu'il percevait, Baly ne gardait pour lui que la portion congrue, assurent ses collaborateurs. Baly était très pieux. Humble. Humain. Charitable. Généreux. C'était aussi un père modèle. “Mon père était gentil à l'excès. Il m'était d'ailleurs arrivé de lui reprocher sa bonté exagérée. Il faisait confiance à Monsieur Tout-le-monde. Il ne connaissait pas la sévérité. Il ne savait pas dire non. Un jour, un ressortissant nigérien sans ressources était venu lui demander un peu d'argent, mon père lui donna les derniers billets qui lui restaient”, dit Samir. Baly était marié à une française musulmane, Madeleine Zineb Philippon. “Les Philippon sont une famille de vieille lignée qui a toujours vécu à Djanet. Ils n'ont jamais voulu partir. Patriote jusqu'au bout des ongles, mon père n'a jamais voulu s'installer à l'étranger”, insiste l'aîné de la tribu. Baly était père de cinq enfants : Samir (34 ans), Katia (27 ans), Houda (24 ans), Nabil (20 ans) et le petit Abderrahmane, alias Mano (11 ans). Tous peu ou prou artistes ont reçu de leur père le “gène magique”.
Nabil, Baly junior
Driss Louadah nous confie qu'il était sur le point de tout arrêter en apprenant la triste nouvelle. Les musiciens aussi. Il convient de souligner que Baly était à la tête d'une formation qui comptait jusqu'à 13 membres dont
3 femmes choristes, en l'occurrence sa mère, sa sœur et une de ses cousines. Les femmes ont pour le moment annoncé leur retrait de la troupe tant il est pénible pour elles de remonter sur scène sans le maestro. La formation a ainsi frôlé la dissolution. Le 24 juin dernier, une réunion décisive a rassemblé les membres de la troupe pour décider de son avenir. “C'était très dur. Il y avait beaucoup d'émotion. La réunion a duré jusqu'à 1 h du matin et a abouti à la nécessité de poursuivre l'œuvre de Baly en relançant la troupe avec Nabil comme leader et Mokhtar Bouaza, un intime de Baly, comme chef de la troupe”, révèle M. Louadah. De fait, Nabil est tout désigné pour prendre la place de son père ; il joue de tous les instruments et, à ses talents de musicien viennent s'ajouter des capacités vocales indéniables. Très futé, affichant une timidité mâtinée d'espièglerie, Nabil a déjà le mérite d'avoir introduit des influences africaines, du Mali et du Niger en particulier, dans le répertoire de son père qu'il connaît à la perfection. Nabil a également travaillé sur des arrangements chaâbi, flamenco et d'autres registres encore. Il a même suggéré à son père la lumineuse idée — laquelle, hélas, n'a pu être concrétisée et qui devrait inspirer nos responsables — d'œuvrer pour l'ouverture d'un studio d'enregistrement à Djanet et contribuer à sauvegarder ainsi une grande partie du patrimoine targui, victime, comme toutes les musiques de terroir de la politique outrageusement commerciale des maisons de disque du Nord qui ne jurent que par le raï. Hamid Baroudi, rencontré lors de la cérémonie funèbre, le relève sans ambages : “Quand tu leur apportes le genre de musique que faisait Baly, ils la jettent dans un tiroir en disant : c'est pas de la musique ça, on veut quelque chose qui marche !” (Lire l'interview de Baroudi dans nos prochaines éditions).
Un riche répertoire
La discographie de Baly pourrait être jugée dérisoire comparativement à la richesse de son répertoire. Le premier album qu'il a enregistré remonte à 1986 avec Cadic. Devant le peu d'enthousiasme des producteurs nationaux pour sa musique, Baly part enregistrer son second album à Paris avec la maison de disques All Stars dirigée par un bassiste et percussionniste franco-américain, Steve Shehan. C'était en 1995. L'album s'appelait Assouf (nostalgie), il sera suivi deux ans plus tard par un deuxième CD, Assarouf (le pardon). Acclamé par son public qui ne cessait de s'élargir en Algérie, Baly songeait, peu de temps avant sa tragique disparition, à réaliser quelques opus en Algérie, précisément chez Belda Diffusion. Il s'agit, en particulier, d'un disque qui devait s'appeler Kef Noun, et qui est en fait un concert live enregistré à Caracas. Sollicité de partout, Baly avait plusieurs tournées au programme. Il avait entamé un duo avec Jean-Marc Padovani dans le cadre du festival européen, travail qui devait s'étaler sur deux ans. La ministre de la Culture/personname /, Khalida Toumi, qui est très sensible à sa musique, devait lui organiser une tournée dans tout le pays. Par ailleurs, il avait été contacté pour se produire dans plusieurs capitales occidentales. Autant de projets que son ensemble devra désormais réaliser sans lui. Notons que lors des derniers mois, il avait fait une tournée à Alger, Constantine, Annaba et Oran grâce au précieux concours du Centre culturel français d'Alger et des centres régionaux dans le cadre d'un programme initié par l'Union européenne. Baly avait son répertoire personnel. Sa mère nous dira qu'elle ne connaissait pas tout de son patrimoine musical. En plus de ce qu'il avait appris de sa mère et de son oncle maternel, Baly avait considérablement enrichi la musique targuie et principalement tindie. “Baly a cassé deux tabous : il a introduit un instrument à cordes, en l'occurrence le luth, et il chantait. Or, seules les femmes chantent et seules les femmes jouent des instruments à corde dans la culture targuie”, souligne un connaisseur. Son fils Samir insiste sur le côté perfectionniste de son père. Quand il prenait son luth pour chanter, il entrait dans une sorte de transe “mystico-acoustique”, disent ceux qui l'ont connu. “Quand il chante, il exige le silence absolu. La moindre interférence le déstabilise. Un jour, à l'occasion d'un concert à Illizi, mon père se vit déconcentré par une femme qui avait lancé un youyou. Il était tellement contrarié que cela nécessita son évacuation à l'hôpital”, raconte Samir.
La voix de nos racines
Abderrahmane Chari Ali, 40 ans, danseur et percussionniste, compagnon de route de Baly depuis les années 1980, insiste sur la nécessité d'un vrai travail de mémoire autour de l'œuvre de son maître : “Il est triste de constater que Baly est plus connu et mieux considéré à l'étranger que dans son propre pays. Je serais peiné que la France/personname / lui fasse honneur plus que l'Algérie”, plaide-t-il. Baly déclarait tout récemment : “Je chante l'Algérie, le monde musulman, l'amour du désert. Je m'efforce de représenter le miroir de la personnalité algérienne où chaque citoyen de notre pays se retrouve. Je veux raviver nos racines qui sont notre raison de vivre. Un arbre sans racines ne poussera pas et ceci est valable pour notre communauté qui ne peut se développer sans la culture de ses racines.” (Horizons, 24 mars 2005). Il se plaisait à dire, rapporte son fils, que “la musique, c'est comme le sourire, c'est une langue universelle. C'est une langue qui ne nécessite pas de traduction.” Repose en paix, voix des humbles !
M. B.


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