Cette édition du Maghreb-Orient des livres (Model) a été ponctuée d'hommages rendus à de grandes plumes algériennes disparues. Parmi ces écrivains, on peut citer Assia Djebar, Aziz Chouaki, Kateb Yacine et Albert Camus. En plus d'être une grande librairie foisonnant de livres venus du Maghreb et du Moyen-Orient — pas assez d'Algérie alors qu'il y a une production importante —, le Maghreb-Orient des livres (Model) est aussi et surtout un espace de rencontres, de débats et d'hommages. Et cette édition 2020 a été dense, émouvante et enrichissante sur le plan des hommages rendus à de grandes plumes algériennes disparues, mais dont les idées ont marqué les esprits et dont les écrits pérennisent leur passage et feront encore parler d'eux, aujourd'hui comme demain. Ainsi, Assia Djebar, Mohammed Dib, Aziz Chouaki, Kateb Yacine et Albert Camus étaient présents lors de cette édition où, durant trois journées bien pleines, les visiteurs ont pris part à des échanges sur l'un et l'autre de ces écrivains qui ont comme point commun la littérature et l'Algérie. Une littérature qui a fait connaître une Assia Djebar inoubliable dont Afifa Bererhi a voulu dévoiler quelques pans pas assez connus de cette "femme aux multiples expressions : poète, romancière, essayiste, cinéaste, dramaturge, auteure pour théâtre avec une écriture où va prévaloir son féminisme". Quant à Naget Khadda, elle rappellera au bon souvenir des nombreux présents un Mohammed Dib qui "appartient, tout comme Assia Djebar, à cette génération d'écrivains de langue française en Algérie qui ont donné droit de cité à cette littérature. Ils ont aussi comme point commun cette longévité dans la production, chose qui leur a permis de développer ce qui était en germe dans les différents univers qui constituent ce champ littéraire et culturel de la langue française qui les unissait". Lors de cette rencontre, a été dévoilé un riche programme prévu tout au long de cette année pour célébrer Dib entre Alger et Tlemcen, mais également en France. Autre moment émouvant a été cet hommage rendu à Aziz Chouaki, ce poète, musicien et romancier singulier à l'écriture unique et singulière qu'il qualifiait lui-même d'"hybride, violente et mosaïque", où il mêlait arabe dialectal, kabyle et sonorité musicale à souhait. Disparu prématurément en avril dernier à l'âge de 67 ans, son beau souvenir est revenu grâce à la voix percutante de Hovnatan Avesikian, cet acteur français d'origine arménienne, metteur en scène et partenaire de Chouaki, qui a lu à l'assistance émue et hilare parfois quelques extraits de Europa-Esperanza et Allô, faisant (re)découvrir des textes forts et incisifs, où le comi-tragique raconte les déboires des jeunes Algériens en mal d'amour, de liberté et de vie tout simplement. Par ailleurs, et sur un autre registre où la polémique a une part importante dans le débat à chaque fois qu'il est en est question, Albert Camus et Kateb Yacine ont été évoqués lors d'une rencontre intitulée "Camus, Kateb : Exilés du même royaume", à laquelle ont pris part, entre autres intervenants, Maïssa Bey, Mohamed Kacimi et Mourad Yelles, pour revenir sur la vie et le parcours de ces deux plumes algériennes qui, chacune à sa manière et avec son écriture propre, a dit son Algérie. Maïssa Bey reviendra sur ce "Je me révolte donc nous sommes" de Camus, qui "apparaît aujourd'hui, dit-elle, dans les slogans brandis les vendredis et les mardis en Algérie, qui est peut-être une manière de reconnaître en lui cet individu épris de liberté mais juste incompris car ce qu'on a retenu de lui n'est que cette phrase sujet à polémique où il dit qu'entre la justice et sa mère, il préfère sa mère (…)". Quant à Kateb Yacine, comme le soulignera Mourad Yelles, "en France, c'est un exilé, mais déjà en Algérie il se sentait exilé (…) et pour les deux, jusqu'à aujourd'hui, ils n'ont pas d'héritiers littéraires ; certes on a de bons écrivains en Algérie, mais aucun qui puisse les égaler, à mon sens". Pour Mohamed Kacimi, qui est revenu sur cet Arabe absent chez Camus, il justifie cette absence comme la simple "description d'un état des lieux de l'époque où il y a cloisonnement et séparation entre colons et indigènes". Il abordera ensuite aussi l'écriture théâtrale incisive et osée de Kateb, en mettant l'accent sur sa liberté de ton, les thèmes qu'il aborde et le talent incontestable qu'il avait, bien que peu connu et peu compris aujourd'hui encore en Algérie, dira-t-il. Des rencontres du Model qui ont fait salle comble. C'est dire l'attente et l'intérêt… et pour l'Algérie ?