Les manifestants étaient déterminés à marcher jusqu'au palais présidentiel. Des barrages de forces anti-émeutes les en ont empêchés, parfois en utilisant les canons à eau et la matraque. "Sortez les Algérois, sortez", appelaient quelques centaines de manifestants, drapés dans le drapeau national ou l'emblème amazigh, rassemblés à quelques encablures de la place Audin, pour marquer le premier anniversaire de la révolution citoyenne. Il paraissait peu probable que les citoyens sortent en masse dans la rue au lendemain d'un vendredi de très forte mobilisation. Pourtant, au bout d'une demi-heure, la manifestation grossissait à vue d'œil, de milliers de révoltés contre le régime. La foule a entamé une progression sur la rue Didouche-Mourad, en scandant les habituels slogans et chants hostiles au régime. Puis brusquement, elle a exprimé une intention de marcher jusqu'au palais présidentiel. "Lentement, lentement, nous arriverons à El-Mouradia", a-t-elle entonné puis d'enchaîner : "À Alger, tombera le régime." La procession est freinée dans son élan par un imposant barrage de forces anti-émeutes renforcé par des fourgons de police, à hauteur du siège régional du RCD. Impossible d'aller plus loin sans provoquer une confrontation violente. À partir de cette ligne infranchissable, la masse compacte des manifestants s'étendait sur des kilomètres. Le face-à-face police-citoyens a duré plusieurs heures. Les premiers rangs des protestataires, déterminés, ont essayé une première fois de forcer le cordon de sécurité, en criant : "Marchons vers El-Mouradia", "Dawla madania, machi âaskaria", "Hadi dawla ouala istiîmar ?" (Est-ce un Etat ou une colonisation ?). Les policiers, qui ont sans doute été instruits de ne pas recourir aux moyens de répression, avaient du mal à les contenir par le seul mouvement de corps à corps. Un deuxième, puis un troisième coup de force sont tentés. Des intrépides parvenaient à passer à travers les mailles de la triple barrière de police. Ils sont aussitôt "cueillis" par l'arrière-garde de sécurité et embarqués dans des fourgons cellulaires. Deux personnes, prises de malaise, sont évacuées dans une ambulance, stationnée à proximité. Visiblement exaspérés par les manifestants qui exerçaient un pressing constant, des policiers les ont arrosés d'un canon à eau et bastonnés. Dans la bousculade, des jeunes sont tombés à terre, perdant des chaussures, se foulant la cheville. En colère, leurs concitoyens ont martelé : "Y en a marre de ce pouvoir", "Transmettez le pouvoir au peuple", "Oh viva l'Algérie, yatnahaw gaâ", "Ya hna ya ntouma, maranach habsine" (Ou c'est vous, ou c'est nous. Nous n'arrêterons pas). Ils ont appelé, dans le même temps, à respecter les consignes du pacifisme : "Silmiya, silmiya." Se rendant à l'évidence que ce chemin vers El-Mouradia était interdit ce samedi, une partie des manifestants a dévié vers le boulevard des Martyrs, via Meissonier puis Ghermoul. À cet endroit, les attendait également un autre barrage des forces anti-émeutes. À vrai dire, tous les accès, carrossables ou piétons, menant vers le siège de la présidence de la République, étaient hermétiquement fermés. Une trentaine d'interpellations ont été signalées durant la journée.