Les Algériens se souviendront très longtemps du Ramadhan 2020 qu'ils ont dû vivre pratiquement cloîtrés chez eux, privés de la mosquée et des soirées d'après-ftour. La propagation du Covid-19 a imposé, pendant ce Ramadhan 2020, des mesures strictes de prévention sanitaire, dont un couvre-feu de 17h à 7h du matin qui a conféré aux cités algériennes des airs de villes fantômes. "Je ne me souviens pas avoir pleuré mais cette année, je vous jure que j'ai versé des larmes amères", a confié sans fausse honte un sexagénaire, habitué de la mosquée, au premier jour du Ramadhan. Des larmes, les Algériens en auront versé beaucoup pendant ce mois sacré. D'abord, à cause des dégâts entraînés par le coronavirus qui continue d'endeuiller des familles et de menacer la santé publique. Les bilans rendus publics par les autorités sanitaires tous les jours n'augurent rien de bon pour l'avenir, d'autant que les mesures de prévention ne sont pas respectées par une partie de la population, sourde aux appels de la communauté médicale à la nécessité de mettre des masques de protection, d'éviter les lieux de rassemblement (les marchés de fruits et légumes) et d'observer la distanciation sociale. Il en est même qui ne craignent pas de se donner l'accolade et de s'embrasser au grand désespoir des personnels de santé (qui paient un lourd tribut dans cette bataille) et des différents acteurs impliqués dans la lutte contre la maladie. "Le confinement et la bavette sont les seuls moyens de se prémunir du virus", ne cessent-ils de ressasser en déplorant l'indifférence de la population qui continue d'ignorer ces appels. Il n'est pourtant pas inutile de relever ici que de nombreux Algériens n'ont ni les moyens d'acquérir un masque de protection à 150 ou 200 DA ni la possibilité d'observer le confinement, en raison du problème de logement (habitations exiguës, familles nombreuses) et de la nécessité de travailler pour subvenir aux besoins des leurs. Quand le gouvernement a interdit certaines activités commerciales et instauré le couvre-feu, aucun mécanisme d'aide et de soutien, faut-il le rappeler, n'a été mis en place pour aider les catégories de la population, ne serait-ce que les plus vulnérables, à traverser cette période. Ce qui a naturellement entraîné la violation des mesures d'interdiction par beaucoup de travailleurs dont des chauffeurs de taxi qui exercent dans la clandestinité, des tenanciers de commerces qui travaillent le rideau à demi-fermé ou en utilisant des issues dérobées. "Je n'ai pas de bas de laine qui me permette de rester chez moi le temps que la maladie soit endiguée. Si je ne travaille pas, mes enfants ne mangeront pas ce soir", a tonné un chauffeur de taxi au cours d'un sit-in de protestation. Ce mois de Ramadhan a également été marqué par la forte répression qui s'est abattue sur les hirakistes, dont beaucoup ont été jetés en prison, au grand désespoir de leurs proches, tandis que d'autres ont reçu des convocations, annonciatrices de poursuites judiciaires "qui conduisent systématiquement dans les geôles", comme l'a affirmé l'un des avocats qui se consacrent à la défense des activistes du hirak. Ce harcèlement contre les animateurs d'un mouvement que le premier magistrat du pays lui-même avait qualifié de "béni" est dénoncé par de nombreuses organisations de défense des droits de l'Homme et de la liberté d'expression à l'intérieur mais aussi à l'extérieur du pays. Il commence également à provoquer des actions de rue en solidarité avec les détenus. "Nous l'avons vu à Tizi Ouzou et à Béjaïa mais il n'est pas impossible que le mouvement se généralise à d'autres wilayas après le Ramadhan", avertit un avocat, excédé par cette répression qui "ne s'embarrasse pas du respect des procédures judiciaires. Nous avons même l'exemple d'un procès, sanctionné par une condamnation à la prison d'un hirakiste, sans l'assistance d'un avocat. Comment qualifier cette situation ?", s'est-il interrogé. En tout état de cause, si les Algériens se souviendront pour longtemps du Ramadhan 2020. S. Ould Ali