Aujourd'hui, l'Opep évolue dans un contexte changeant, totalement différent de celui des années soixante. Le pétrole perd du terrain face à des économies décarbonées. Liberté : Pouvez-vous nous reconstituer le contexte historique entourant la création de l'Opep, il y a soixante ans ? Ali Kefaïfi : Le 14 septembre 1960 naissait l'Opep. L'organisation est créée avec l'idée de faire remonter les cours du pétrole et, surtout, de faire face au monopole envahissant des Sept Sœurs : Exxon, Mobil, Chevron, Gulf Oil, Texaco, BP et Shell. Il s'agit de sept grandes compagnies pétrolières dans le secteur de l'énergie. Elles ont la mainmise sur les gisements du Moyen-Orient et sur la distribution de pétrole. Les Sept Sœurs font taire les critiques que certains Etats formulent quant à la manière dont fonctionne le monde de l'industrie pétrolière. La réussite de ce projet collectif (création de l'Opep) conduit, au départ, par le Venezuela et l'Arabie saoudite dépend fortement de la compréhension des enjeux géopolitiques et de l'articulation entre les acteurs et de la qualité des hommes. Malgré son jeune âge, l'Opep réussit à mettre fin à ce monopole et à permettre aux prix de l'or noir de remonter, passant de 2 dollars, en nominal, en 1970, à 40 dollars en 1980. Mais, l'euphorie ne dure pas longtemps, puisque les cours du brut chutent fortement en 1986, provoquant ainsi une grave crise économique dans les Etats pétroliers, dont l'Algérie. L'Organisation a, néanmoins, su s'adapter efficacement à la rapide évolution qui s'est produite pendant ces années et faire face à la situation créée par la brusque baisse des cours... L'Opep est soudée, faisant preuve de cohésion en son sein. Ses membres travaillent dans un esprit de solidarité et de coopération et c'est ce qui fait sa force. L'Algérie joue un grand rôle dans cette cohésion. L'Organisation est guidée par le souci de préserver les intérêts de ses membres en matière de revenus pétroliers et de contribuer à stabiliser les marchés. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'existe pas de divergences entre certains de ses membres. Et les divergences peuvent parfois causer des frictions. De nombreux observateurs relèvent que l'Opep est dominée par les pays du Golfe qui continuent d'exercer une influence sur la prise de décision. Êtes-vous de cet avis ? Ces observateurs ne trahissent pas un secret en disant cela. Au sein de l'Opep, il y a les grands producteurs et il y a les petits producteurs. Ces derniers font de la figuration. Toutefois, les décisions se prennent de manière consensuelle, ne laissant pas transparaître les divergences en dehors des murs de l'Organisation. Soixante ans après, l'ossature de l'Opep n'a pas réellement changé. Certains pays à l'exemple de l'Indonésie l'ont quittée, d'autres, à l'instar de l'Equateur, l'ont rejointe. Mais cela n'a pas changé grand-chose à la façon dont l'Organisation fonctionne. Aujourd'hui, le contexte mondial a beaucoup changé. Et l'Opep n'a pas la même influence qu'avant... Je crois à la notion de fin de cycle. Et, j'estime que l'Opep est en fin de cycle, parce que le modèle théorique dans l'industrie pétrolière et la structure économique des coûts en matière d'exploration et de production ont changé. Certains de ses membres vont s'en retirer, car leur capacité de production va beaucoup s'amenuiser et, par conséquent, ils perdront leur statut d'exportateur net de pétrole. L'Indonésie est passée par cette situation. Par ailleurs, plusieurs pays, notamment développés, s'orientent aujourd'hui vers des économies décarbonées, faisant plus de place aux énergies renouvelables et à d'autres produits de substitution au pétrole. L'usage de l'hydrogène fait partie des priorités de l'heure dans le monde industriel. Cette métamorphose des sources d'énergie, l'Opep en tient compte dans ses projections. Mais sa marge de manœuvre est limitée, quand bien même elle renforcerait ses rangs, en comptant davantage avec les non-Opep.