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"Ce conflit résulte d'un dérèglement des rapports politiques entre l'état fédéral et les régions"
Eloi Ficquet, maître de conférences à l'Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris
Publié dans Liberté le 01 - 12 - 2020

Eloi Ficquet est à la fois historien et anthropologue spécialiste des pays de la Corne de l'Afrique. Il estime que deux lignes s'affrontent en Ethiopie. "D'une part, une ligne nationaliste prônant un Etat centralisé, plus fort et plus autoritaire, et d'autre part, une ligne qui a pour vision un fédéralisme où chaque région gagnerait plus d'autonomie."
Liberté : Peut-on parler de guerre en Ethiopie, après plus de deux semaines de violences opposant le gouvernement d'Addis Abeba aux dissidents du Tigré ?
Eloi Ficquet : C'est un conflit qui oppose des forces armées importantes, une force armée fédérale d'une part, et d'autre part une force armée régionale dans un Etat fédéral, où les régions ont un degré d'autonomie, d'existence politique assez forte.
Oui, c'est une forme de guerre intérieure qui implique différents niveaux, engageant des armées conventionnelles, avec des militaires professionnels qui sont engagés, mais aussi des milices locales qui interviennent aussi dans le conflit. C'est-à-dire que cette guerre revêt de multiples dimensions.
Vous voulez dire qu'il y a des milices impliquées aux côtés de l'armée fédérale dans ce conflit...
Oui, ce conflit résulte d'un dérèglement des rapports politiques entre l'Etat fédéral et les régions fédérées.
Le Tigré a exprimé des désaccords par rapport à l'organisation du pouvoir fédéral. Un autre niveau de la crise est plus local, opposant deux régions fédérées, le Tigré et l'Amhara.
Des désaccords frontaliers les opposent de longue date, pour des territoires où plusieurs populations sont installées, chacune revendiquant d'avoir précédé l'autre.
Il y a donc des enjeux dans l'attribution des ressources au niveau de ces territoires limitrophes.
C'est à ces enjeux que les rivalités régionales répondent, par une instrumentalisation des différences linguistiques et culturelles, alors que ces populations sont très proches, même religion chrétienne orthodoxe, mêmes références culturelles, langues assez proches. Encore une fois, ce sont principalement des désaccords politiques qui ont déclenché ce conflit.
Cette guerre est-elle le résultat de l'échec du Premier ministre Abiy Ahmed ou de tout un système de gouvernance, basé sur le fédéralisme ethnique ?
Ça semble plutôt être l'échec d'un processus de transition, dont Abiy Ahmed est l'une des figures, au sein d'un système de pouvoir. Abiy Ahmed n'est pas venu au pouvoir en étant élu par le peuple sur un programme.
Il a été désigné par le parti de coalition au gouvernement pour gérer une situation de crise, répondre à des mouvements de protestation populaire.
C'est par tractations internes entre les partis formant cette coalition qu'il a été désigné, avec l'objectif de réorganiser et de restructurer les équilibres politiques au sein de la société éthiopienne.
Mais les délais étaient très courts, parce qu'Abiy Ahmed a été investi en mars 2018 et il n'avait que deux ans pour agir avant les élections qui étaient programmées, selon les délais constitutionnels, pour le printemps 2020.
Donc le Premier ministre disposait de peu de temps pour réorganiser, de fond en comble, l'espace démocratique éthiopien.
Dès les premiers mois de son mandat, Abiy Ahmed a annoncé de nombreuses réformes, s'est réconcilié avec les pays voisins, en particulier l'Erythrée, et de façon très courageuse il a permis de réintégrer des forces politiques qui avaient été bannies et exilées auparavant. Avant M. Abiy, le régime s'était replié sur une forme de parti-coalition, d'apparence diversifiée, mais en fait monolithique et unique.
La transition menée par l'actuel Premier ministre éthiopien a permis une réouverture du champ politique, avec des acteurs qui étaient exclus.
Un travail de coordination aurait dû permettre à tous ces acteurs politiques de participer au jeu démocratique, en se mettant d'accord sur un code de bonne conduite. Mais des désaccords profonds se sont exprimés. Deux lignes politiques principales s'affrontaient.
D'une part, une ligne nationaliste et contraire à l'idée de fédération, prônant un Etat centralisé, plus fort et plus autoritaire, et d'autre part, une ligne qui a pour vision un fédéralisme où chaque région gagnerait plus d'autonomie. Jusqu'à présent, le régime était dans une position intermédiaire de fédéralisme fortement centralisé.
Avec le retour de forces d'opposition, deux conceptions de l'Etat s'opposaient : une option de grande unification nationale et l'autre beaucoup plus confédérale, avec des entités politiques plus autonomes. Cette question fondamentale aurait dû être débattue dans la société, entre les acteurs politiques, à travers une campagne électorale posant ces questions-là.
Mais, pour diverses raisons, de mouvements de protestation, de désordres politiques internes, ce débat n'a pas pu être mené. Ensuite, la pandémie de coronavirus a rendu caduc le calendrier des élections. Et c'est là où les pro-fédéralistes ont protesté, considérant que le cadre constitutionnel était menacé. Ils ont demandé à ce que cette situation exceptionnelle, liée à la pandémie de Covid-19, soit réglée par non pas le gouvernement en place, mais plutôt par une forme de concertation généralisée entre toutes les forces politiques pour gérer cette phase transitionnelle et permettre l'organisation d'élections.
Mais les considérations ethnico-nationalistes dont vous parlez suffisent-elles pour justifier l'enclenchement de cette guerre, puisque vous-même vous évoquez aussi la dimension foncière de la permanence de ce conflit ?
Comme je l'ai dit, il y a plusieurs dimensions qui se chevauchent. L'élément ethnique lié au projet politique national et la façon dont chaque entité politique constitutive se reconnaît dans ce projet.
Avant que la guerre ne se déclare dans le Tigré, d'autres peuples avaient exprimé leur mécontentement. Jusqu'au mois de juillet dernier, ce sont surtout les protestations des Oromo, très grand peuple au sud du pays, qu'on entendait.
Le Premier ministre est l'un des représentants de ce peuple, mais d'autres politiciens Oromo contestaient sa représentativité, rejetant son projet politique intégrateur.
En juillet dernier, plusieurs leaders de l'opposition Oromo ont été incarcérés, suite à d'importants mouvements de protestation mobilisant la jeunesse. La crise politique n'est donc pas focalisée sur la seule région du Tigré sur un seul peuple. C'est une crise plus systémique.
Mais les tensions ses sont polarisées sur cette région, puisque les Tigréens, sous l'égide du TPLF (Front de libération du peuple du Tigré) ont dirigé le pays pendant 25 ans.
En 2018, les dirigeants tigréens se sont retirés sur leur territoire pour laisser gouverner Abiy Ahmed et ses alliés.
Cependant, ils estiment en quelque sorte être les gardiens de la Constitution, parce qu'ils en avaient été les architectes et qu'ils ont une un rôle à jouer en se montrant exemplaires dans leur propre région.
C'est pour cette raison qu'ils n'ont pas accepté le report des élections sine die, considérant que la prolongation indéfinie du mandat d'Abiy Ahmed présentait un risque de dérive dictatoriale, une violation de la Constitution qui ouvrait une brèche, selon leur point de vue. Par défi, pour signifier qu'ils incarnent l'esprit de la Constitution, ils ont organisé une élection dans leur région. Ils voulaient aussi signifier que leur légitimité tient de l'élection populaire, tandis que le Premier ministre, lui, n'a pas été élu.
Ainsi, cette élection régionale dans le Tigré a créé une crise de légitimité, l'Etat fédéral considérant ce scrutin illégitime et, réciproquement, l'Etat régional ne reconnaissant plus l'autorité des institutions centrales.
Par conséquent, le gouvernement fédéral ne versait plus de budget au Tigré ni d'aide alimentaire, alors que la région a été sévèrement frappée par des attaques de criquets pèlerins. S'en est suivie une montée de tensions, une escalade verbale qui a bloqué les possibilités d'arriver à régler ce différend politiquement.
D'une certaine façon, l'épreuve de force militaire est devenue inévitable, parce que chacun menaçait l'autre de représailles militaires. Et c'est ce qui s'est produit.
Donc, cette instabilité en Ethiopie peut-elle être imputée à l'élite politique ou à la persistance des rivalités intercommunautaires ?
Oui, les rivalités intercommunautaires existent encore. Mais ce n'est pas le facteur principal. Ces rivalités sont excitées et attisées par cette instabilité politique générale. Cela permet de mobiliser des troupes paramilitaires et des jeunes miliciens qui vont aller au combat motivés par des idées de vengeance à cause de ressentiments qui sont nourris depuis des années.
Mais ce n'est pas cela qui a déclenché ce conflit.
Ces problèmes intercommunautaires auraient pu être résolus par une reprise en main politique, en proposant des solutions inventives dans le cadre du fédéralisme pour considérer que ces territoires contestés sont des territoires mixtes, avec des possibilités d'administration mixte, etc., parce que, historiquement, ce sont des territoires marginaux, isolés, habités par des populations qui sortent un peu du cadre ordinaire. Le politique a instrumentalisé ces ressentiments pour accentuer ces clivages et s'assurer des soutiens.

Entretien réalisé par : Lyès MENACER


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