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L'incontournable élément de l'iconographie nationaliste algérienne
Le sacrifice d'Amirouche
Publié dans Liberté le 28 - 03 - 2022


Par : Boukhalfa Laouari
Enseignant chercheur (UMMTO)
Dans le contexte algérien, l'image du colonel Amirouche et sa mort au champ d'honneur nous semble comme l'archétype par excellence, de l'approche renanienne et de sa philosophie du nationalisme. Amirouche est né en Kabylie, il a combattu en Kabylie et il est mort aux côtés de son compagnon de lutte chaoui, Si El-Houès, à Bou Saâda.
Le 28 mars 1959 au sud de Bou Saâda, au lieudit Djebel Thameur, fut un jour inhabituel, long, interminable, le jour sombre d'une rude bataille. C'est ce que je me disais en me rendant là-bas. Sur les lieux de la bataille, maintenant devenu musée, on peut voir exposés en plein air des tas de débris d'avions, des obus, des pales d'hélice, etc. Aujourd'hui rouillés, inertes et inaudibles, mais expressifs et volubiles pour celui qui veut écouter la saga d'une nation nommée Algérie. Ils témoignent de l'effroi de la bataille, de son ampleur et de la grandeur des gens qui l'ont menée contre le colonisateur pour une Algérie libre et indépendante. À l'intérieur du musée, on trouve des balles et des munitions de tous calibres, des armes ou plutôt des restes d'armes et des chaussures, beaucoup de chaussures. Des pataugas noircis par le temps, de vieilles sandales en cuir déchirées et autres souliers à moitié calcinés. Ils sont là, encore, pour témoigner de la souffrance et du sacrifice d'un peuple. Ce sont là les inestimables artéfacts qui cimentent et nourrissent notre appartenance à une nation.
Mars 1959/mars 2022. Soixante-trois années se sont écoulées depuis la bataille de Djebel Thameur ! Pourquoi donc devons-nous parler encore d'Amirouche, de Si El-Houès et de leur sacrifice ? Pourquoi devons-nous encore célébrer la mort ?! Est-ce vraiment faire le culte du revenant au détriment de l'avenir ou plutôt puiser dans notre capital de souffrance, chose inévitable selon les philosophes du nationalisme, pour matérialiser notre sens de l'appartenance à une seule et même nation ? S'agit-il là d'un discours atavique de pleurnichard ou plutôt d'une entreprise lucide de construction, afin de conscientiser une nation et d'ancrer un peuple dans son histoire pour mieux le préparer à son avenir ? Pourquoi, en parlant de la guerre d'Algérie, l'image du héros guerrier, les armes à la main, est beaucoup plus présente dans l'inconscient collectif algérien que celle du héros négociateur en costume ? Pourquoi l'image de ce dernier, qui n'en est pas moins héros ni moins libérateur, n'est pas assez présente dans l'iconographie nationaliste algérienne ?
Dans un article publié dernièrement dans un hors-série du Point intitulé "La France et l'Algérie, deux siècles d'histoire", Kamel Daoud pense qu'"en Algérie, le récit national est manichéen : le crime est français, le héros algérien". Il affirme que l'image de Krim, en tant que négociateur d'évian, par exemple, est absente du récit national algérien. L'auteur de Meursault, contre-enquête se demande pourquoi, en tant que citoyen algérien né après l'indépendance, "il ne se souvient pas des Accords d'évian mais du déclenchement de la guerre, de la vie de la guerre, des morts de la guerre" ? Il est intrigué de constater que "dans la séquence mythologique algérienne on célèbre la guerre et on fête l'indépendance, mais jamais les Accords négociés d'Evian... Déjà qu'il faut retenir que l'Histoire est faite de guerriers, de soldats en armes, de djounoud (combattants du maquis) de blessés et de cadavres, pas de cravates"...
Daoud commente une photo prise lors des séances des Accords d'Evian par le photographe Raymond Depardon. Une photo qui montre les négociateurs d'Evian, Krim Belkacem et Taïeb Boulahrouf, en apparence très détendus, lors d'une réception. Il qualifie le fait que ce genre de photo n'a pas une grande emprise sur l'imaginaire national de mort iconographique pour Krim. Il écrit : "La scène se déroule, muette et figée dans la détente, dans une pièce de la maison d'évian-les-Bains. Ambiance d'une réception mondaine ou l'on se bouscule, courtois, autour du buffet. Là non plus, cela ne sied pas à l'image des maquis algériens, bâtie sur le martyre et la souffrance. Cette part mondaine, souriante et élégante, détonne dans l'iconographie du guerrier libérateur et de son héritier, le militaire en chef des armées protecteur des frontières, des invasions et des déstabilisations intérieures."
Lydia Aït Saâdi, historienne, qui a soutenu une thèse sous la direction de Benjamin Stora portant sur "L'émergence de l'idée de nation dans les manuels scolaires algériens de langue arabe", défend les mêmes propos. Elle affirme qu'"une lecture iconographique rapide des différents manuels indique que les images sont choisies en fonction de contrastes oppresseurs/opprimés, répression/résistance, force brutale/courage et détermination, voire opulence/misère sociale. Il y a une volonté évidente d'illustrer très crûment la violence, la torture ou encore la misère du peuple algérien. Cette représentation brutale des horreurs de la guerre favorise, surtout chez les jeunes enfants, une représentation manichéenne des choses".
Affirmer que Krim, en tant que figure de la Révolution algérienne, est gommé du récit national est un peu exagéré. Krim n'est certainement pas plus victime des dérapages idéologiques et des manipulations politiques de l'Algérie post-indépendance que toutes les autres figures de la Révolution algérienne. À titre d'exemple, Saïd Sadi affirme, à propos d'Amirouche, que "le combat du colonel Amirouche et le sort réservé à ses restes après l'indépendance constituent un saisissant raccourci de l'histoire de l'Algérie contemporaine... La censure, la désinformation ou même la peur sincère de la vérité, motivée par le souci de ne pas réveiller une histoire tourmentée et complexe, ont conduit l'Algérien à la méconnaissance, au reniement puis à la haine de soi".
Il nous semble que le signataire des Accords d'évian, qui occupe une place relativement marginale dans le récit national, a une place de choix dans la mémoire nationale et l'imaginaire de la société algérienne ; on se souvient de lui comme le "Lion des djebels", le "maquisard de la première heure" (1947), plutôt que l'homme en cravate.
Parler de roman national – expression popularisée par l'historien Pierre Nora –, de récit national, etc. est trop évocateur des débats politiques et idéologiques propres à la France. Il est à souligner également que ce genre de récit se construit assez souvent sur un discours patriotique de louange de la nation ; c'est un discours glorificateur des hauts faits d'armes et non pas un discours iconoclaste. Le débat que peuvent susciter des écrits comme ceux de Daoud ou de Lydia Aït Saâdi autour de l'iconographie nationaliste algérienne est toutefois d'une grande importance. Ce genre de polémique peut nous éclairer sur les éléments fondateurs, unificateurs et, si possible, glorificateurs de notre nation. Le peuple algérien, qui a vécu une des révolutions les plus violentes de l'histoire et qui a payé son indépendance d'un lourd bilan de souffrance, de sang, de traumatismes, de viols et de morts, ne peut en sortir indemne et balayer d'un revers de main une telle expérience. Il ne peut non plus troquer son capital de souffrance pour de nouveaux récits d'une guerre soft et douce comme un accord de lyre. Les mots de Mostefa Lacheraf dans ce sens nous semblent encore plus que d'actualité. Il disait : ''Confronté à la domination coloniale étant, depuis plus d'un siècle, sur le qui-vive d'une résistance et d'une lutte aussi fermes que nuancées... il est évident que les Algériens ont appris à connaître, dans une longue pratique quotidienne, toutes les réactions, les réflexes, les intentions, la mentalité, la démarche politique globale de leur adversaire français. Le temps que ceux-ci ont employé à réprimer, à exproprier, entraver et combattre toute évolution véritable, c'est-à-dire collective par excellence, ceux-là, dans un perpétuel effort de défensive et de lucidité, l'ont passé de génération en génération, à observer impitoyablement les faits et gestes de l'ennemi, à lier aux causes les effets d'un comportement colonialiste toujours fidèle à lui-même en dépit de ces nombreux avatars depuis 1930. Et l'on viendrait demander à des gens qui ont acquis cette expérience séculaire et vigilante, dans le malheur et la lutte, de la troquer tout à coup contre la candeur puérile du Petit Chaperon rouge ? (L'Algérie, nation et société, p. 244).
Pour la construction et le maintien de son iconographie nationaliste, le peuple algérien n'a donc aucun intérêt à troquer son capital de souffrance, car c'est là le vrai capital social sur lequel on assied et on bâtit le sens d'appartenance à une nation. Pour illustrer mon propos, je m'appuierai particulièrement sur deux écrits fondateurs de la philosophie nationaliste. À savoir Qu'est-ce qu'une nation d'Ernest Renan et Imagined Communities Reflections on the Origin and spread of Nationalism de Benedict Anderson.
Ernest Renan, l'incontournable théoricien du nationalisme, affirme que la nation moderne se forme à travers une iconographie évoquant le sacrifice, la douleur, le deuil et l'héroïsme, plutôt que les images muettes et figées dans la détente. La nation, affirme-t-il, "comme l'individu, est l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale". Il ajoute : "Avoir souffert ensemble. Oui, la souffrance en commun unit plus que la joie. En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes car ils imposent des devoirs, ils commandent l'effort en commun.... Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore."
L'Histoire, la nation et le fratricide rassurant
Une des questions les plus épineuses et les plus taboues dans l'histoire des nations est celle des conflits fratricides. L'histoire de notre pays ne fait pas exception, d'autant plus qu'elle est une des plus compliquées. Benedict Anderson explique dans ce sens qu'un des mécanismes les plus importants pour construire le sens d'appartenance à une nation unie est une tendance à résister à l'autorité du passé en se souvenant et en enseignant les conflits internes et les faits déchirants de groupes opposés, mais aussi en transformant ces conflits fratricides en "affaires de famille", une histoire de famille à ajouter au patrimoine culturel national. Pour mieux expliquer la construction de ce qu'il appelle l'histoire familiale, Anderson cite encore Ernest Renan et son exemple du massacre de la Saint-Barthélemy comme archétype de ce phénomène dans le contexte français. Ou encore l'exemple de la guerre entre frères dans le cas de la guerre de Sécession en Amérique. Anderson appelle ce phénomène de l'Histoire le "fratricide rassurant".
Dans le contexte algérien, l'image du colonel Amirouche et sa mort au champ d'honneur nous semble comme l'archétype par excellence, de l'approche renanienne et de sa philosophie du nationalisme. Amirouche est né en Kabylie, il a combattu en Kabylie et il est mort aux côtés de son compagnon de lutte chaoui, Si El-Houès, à Bou Saâda. Les tenants et les aboutissants de sa mort nous enseignent, encore aujourd'hui, mille et une leçons de notre histoire familiale et de ces cas de "fratricide rassurant", pour reprendre Benedict Anderson.


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