Il est de certaines personnes qui appartiennent définitivement au paysage culturel algérien. Ils sont là, présents par tous les temps, dans les moments de bonheur et dans les moments de malheurs. Loin des nouveaux débats sur les nouveaux médias et sur cette ouverture attendue de l'audio-visuel, il nous a paru intéressant d'aller à la rencontre de ces personnes représentatives de ce paysage à dimension humaine. Parmi ceux-ci, Hacène Ali-Mazighi, natif de la Basse Casbah en 1958. Quand il est tout jeune, Hacène grandit comme tous les enfants de la vieille Bahdja, entre modestie des revenus et apparente enfance heureuse dans les tendres arcatures de la vieille ville. Jeunesse aidant, études accomplies, il finit par accéder au monde du travail dans les années 1980. C'est précisément en 1984 que sa vie prendra un tournant lors de la célébration du 30e anniversaire du 1er Novembre 1954. Il acquiert alors une sorte de polyvalence qui le mène dans les méandres policés du protocole mais aussi de la régie générale lors de la première apparition en public de Safy Boutella à l'Oref. Après ce premier succès d'organisation, Hacène est souvent chargé du cérémonial de Riadh-El Feth. N'oublions pas que le monument du martyr est une escale protocolaire obligée des hommes d'Etat et des représentants diplomatiques. C'est ainsi que, lors de ces visites, il rencontra les présidents Jimmy Carter et Fidel Castro. Et puis la consécration viendra une année plus tard en 1985 où il est un des présidents des commissions chargées d'organiser la grande fête de la jeunesse avec les immortels Raïna Raï, T34, Alpha Blondy, Djamel Allam et beaucoup d'autres artistes flamboyants qui seront aussi de la partie avec Cheb Khaled qui émergera à cette époque. Dans le récit de ces années en compagnie du colonel Senouci, Hacène garde le ton enjoué ; il connaîtra à cette époque M'hamed Issiakhem, Mouloud Mammeri. Mais l'année charnière de sa carrière sera à l'orée des années 1990 lors de la première guerre du Golfe où il organise, avec le regard bienveillant de Senouci, une manifestation à l'hôtel El-Djazaïr avec l'ex-président Ahmed Ben Bella contre l'invasion de l'Irak, tout cela en compagnie des élites intellectuelles, politiques et culturelles maghrébines. Dans un élan de confidences, Ali-Mazighi nous fera part de son plaisir de l'avoir fait aussi pour montrer son amitié et sa gratitude à celui qui fût un des mentors de la scène culturelle de l'époque, le premier DG de l'Oref. Viendra tout de suite après une période de latence, les activités culturelles sont gelées et le terrorisme prend de l'ampleur. L'Oref sera alors un souvenir de plus. Il quitte cet organisme qui perd sa substance culturelle originelle. Sous la férule de Farid Mameri, l'ami, le collègue, poète, animateur culturel et homme de radio, notre ami ira grossir les rangs des animateurs de radio qui feront date dans ces années de fer et de sang. Dans cette aventure radiophonique, Hacène passe d'un espace public devenu clos par la force des choses à un espace public hertzien ouvert et dédié à la résistance tous azimuts. Dans le choix d'intégrer la radio, il ne voulait point que son capital expérience de l'humain disparaisse. Encouragé par Farid Mameri, il entre dans un nouveau monde magique pour lui. La retenue est là. Timide et timoré, il ne veut pas entrer dans cet univers par effraction dans les réflexes installés de ce média lourd générateur de toutes les légendes. Il sera reporter dans un magazine socioculturel crée par Farida Lamhane qui a été l'épouse de l'un des plus brillants réalisateurs radio, le défunt Hafid Amalou, qui deviendra d'ailleurs son réalisateur attitré. C'est alors que dans ces premiers moments radiophoniques il finira par apprivoiser sa timidité dans une passion devenue inoxydable dans ce qu'il considère comme un fabuleux espace de concorde et de convivialité en ces périodes de «guerre» (les années 1990, ndlr) où l'antenne était ouverte avec cette mission particulière dont ces animateurs se sentaient investis. Bien évidemment, la polyvalence de l'expérience lui permet d'évoluer naturellement dans ce milieux médiatique où la rencontre humaine est fondamentale. Il est comme un poisson dans l'eau dans son contact avec les sportifs, les hommes politiques, les intellectuels, les artistes, les hommes d'affaire, ce qui lui permet de réaliser des interviews diverses dans lesquelles il se découvre un contact aisé avec les autres. Il adopte aussi cette devises : «Rien de ce qui est humain m'est étranger». Il déclare aussi à tous ceux qui veulent exercer ce métier, qui est l'un des plus beaux du monde, que ce dernier ne peut être exercé qu'avec l'estime de soi et des autres sachant que tout peut se dire : il faut juste que la pudeur soit au rendez-vous. Les tournants professionnels se suivent et ne se ressemblent pas, et un concours de circonstances lui vaut de se retrouver au sein de la rédaction de la Chaîne III où l'activité de l'évènement impose la réactivité impérieuse de coller à l'évènement. Il faut dire que l'action et les manifestations culturelles étaient à l'époque agressées de toutes parts ; il fallait donc réagir et couvrir vaille que vaille tout ce qui se faisait de culturel dans un sens quasi militant pour rendre hommage et encourager les artistes et intellectuels qui n'ont jamais abandonné le navire Algérie. Et que pour celui-ci ne devienne jamais un «Radeau de la Méduse» prophétisé par certains. Dans un air déterminé, il appuiera ses propos par ces dires : «Je suis quelqu'un qui n'abandonne jamais, mais qui a toujours une lettre de démission sur moi». D'ailleurs, il illustrera ses propos dans ce que Tahar Djaout avait appelé la rupture, avec un hommage appuyé à celui qui, pour lui, la symbolisa, l'ex-président Liamine Zeroual. L'expérience radio de Hacène Ali-Mazighi va durer quelque temps. Il intègre alors la toute nouvelle Radio Bahdja et se retrouve dans la première rédaction en compagnie d'un ami, Djamel Senhadri, pour tenter de créer une information de proximité et renforcer la pratique de l'arabe dialectal correct, plus efficace pour toucher le maximum d'auditeurs en quête d'informations lisibles et compréhensibles par tous, le but à l'époque étant de porter aux oreilles les plus exigeantes une information de qualité plus pédagogique que démagogique. Dans d'autres sociétés, on pouvait parler des trains qui n'arrivent pas à l'heure. En ce qui concerne cet homme de radio hyper sensible il s'agissait de parler des trains qui arrivent à l'heure, car derrière, il y avait, selon lui, «des hommes et des femmes qui, en transcendant leur quotidien aux dépens de leur vie familiale et de leurs ambitions personnelles, font que ces trains arrivent à l'heure». Mais l'expérience de Radio Bahdja tourne court, la radio change de cap et choisit des voix plus généralistes. Ali-Mazighi, peu avare en idées lumineuses, initie alors un espace de rencontre souvent itinérant appelé «Maqamat el arbiaâ», les rencontres du mercredi avec des artistes et des intellectuels comme l'anthropologue historien Slimane Hachi, le dramaturge comédien Ziani Chérif-Ayad, le chercheur Lakhdar Maougal, l'urbaniste Azzag Louaer… Et puis, c'est la suite de l'épopée radiophonique en réintégrant les ondes de la Chaîne III sous l'égide de Leila Boukli, journaliste et directrice de l'époque. Durant ces années, il s'attelle à combattre ce qu'il nomme le terrorisme le plus abject, le chômage. Il va alors créer une série d'émissions qui s'appelleront «Métiers de nuit» qui reposaient sur la réappropriation de l'espace de la cité en parlant de tous ces métiers oubliés qui sont pourtant incontournables. Il crée aussi l'émission «Métiers de jours» destinée à réhabiliter tous les métiers victimes de malentendus tenaces alors que d'autres métiers comme pilote, médecin ou avocat font rêver, sachant qu'en réalité tous les métiers ont un code déontologique comme plombier, mécanicien, plâtrier ou maçon, des métiers fondamentaux à la bonne marche de la société. Cette double émission avait eu un grand impact et beaucoup de succès car la dimension humaine de cet espace radiophonique a beaucoup servi à revaloriser l'image de métiers souvent décriés. Dans cet élan d'ouverture du champ audiovisuel prochaine, l'optimisme est de mise car générateur pour lui d'emplois directs et indirects avec l'expérience des gens de la presse à condition que les gens respectent les cahiers des charges et l'éthique de ce métier public. Il est temps de partir vers d'autres horizons. Il remonte ses lunettes sur deux yeux qui regardent l'interlocuteur direct cash, il met sa casquette et le voilà disparu dèja dans la jungle des rues, en attendant de le réentendre sa voix sur les ondes…