Ils viennent de Londres, New York, Paris et Berlin pour exposer leurs graffitis et posters sur les murs décrépis ou dans les silos de ce qui fut jadis la plus grande usine de fonte et d'acier en Europe. Une trentaine d'artistes du Street Art ont répondu à l'appel de la première UrbanArt Biennale 2013 qui se tient dans l'ancienne fonderie de Völklingen, près de Sarrebruck en Allemagne. Sur 10 000 mètres carrés, ce site classé patrimoine culturel mondial par l'Unesco dévoile une cinquantaine de toiles et d'installations d'un mouvement qui vient de la rue, mais qui a de plus en plus la cote sur le marché de l'art. Reportage. Des couloirs sombres aux hauteurs vertigineuses des six hauts-fourneaux surplombant le paysage industriel, l'ancienne usine sidérurgique de Völklingen détient un véritable potentiel créatif. Là où, dans les années 1960, trimaient encore plus de 17 000 personnes pour produire jusqu'à 6 500 tonnes de fonte par jour, s'exposent aujourd'hui des toiles aux couleurs vives et aux formes trash de la scène internationale de l'art urbain. L'art urbain et la culture industrielle «Il se trouve qu'il y a de forts parallèles entre l'art urbain et la culture industrielle, souligne Meinrad Maria Grewenig, le directeur de la Völklinger Hütte. D'abord, tous les deux n'étaient pas reconnus ; ils trouvent leurs racines dans un mouvement contestataire et ils sont en train de devenir des lieux de fantasmes au 21e siècle». Et le commissaire de l'exposition Frank Krämer ajoute : «Je ne connais aucun autre mouvement artistique qui s'inspire d'autant de styles et de genres différents - le pop art, le futurisme ou le cubisme - et qui est capable d'en tirer et développer quelque chose qui lui est entièrement propre». L'exposition se tient dans le cadre brut de la salle des mélanges où étaient stockées jadis les matières premières destinées à la charge des hauts-fourneaux. Quant à l'art urbain, il est apparu au grand jour dès 2008, avec l'activiste américain Shepard Fairey et son affiche Change (Changement) pour la campagne de l'actuel président américain Barack Obama. Mais les origines du mouvement se situent bien avant, rappelle le Sarrois Reso, artiste et collaborateur de cette biennale. «A la base, les artistes qui viennent du graffiti traditionnel viennent par exemple du Bronx, un quartier à New York, qui, dans les années 60, 70, n'était pas accessible aux touristes parce que c'était trop dangereux. Et pour ces artistes, une possibilité de montrer leurs œuvres, c'était tout simplement de peindre sur les métros ; c'étaient en quelque sorte les toiles d'aujourd'hui. Le marché de l'art Ce qui, à l'époque, sentait l'odeur de l'asphalte et une attitude contestataire est devenu aujourd'hui un art quasi établi qui a fait son entrée dans les musées et les galeries et peut se vendre à des sommes aux alentours de 100 000 euros. A Völklingen, on peut admirer des toiles de grapheurs américains, des stars des années 80 comme Seen et Retna, mais la scène contemporaine française n'est pas en reste. «Jef Aérosol nous a prêté deux toiles typiques, se félicite Frank Krämer. Le Sitting Kid, sa marque de fabrique, est représenté une fois avec une Geisha qui nous regarde, une fois avec l'artiste Jean-Michel Basquiat. C'est grâce à la technique de pochoir qu'il est capable de le reproduire partout et très rapidement. Il paraît qu'il y a même un Sitting Kid sur la Grande Muraille de Chine.» L'art urbain n'a pas seulement trouvé le chemin des murs à la toile, il a aussi ouvert une brèche aux œuvres en trois dimensions. «On voit par exemple une installation de Speedy Graphito, explique Reso. C'est un peu le contraire de ce qu'on voit dans les grandes villes : une petite cabane construite en bois». Et le commissaire de l'exposition Frank Krämer préci-se : «C'est un lieu de repli pour l'alter ego de l'artiste, son lapin, inspiré des souvenirs d'enfance ; on pense par exemple à Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll. C'est une petite maisonnette de deux mètres sur trois, peinte en jaune à l'intérieur. Et sur la façade, on trouve quantité de personnages de bande dessinée». Et Invader, l'artiste urbain français qui ne montre jamais son visage, a placé son personnage de jeu vidéo en forme de rubicube sur une passerelle au charme rugueux à côté des silos de l'usine. Réunir art urbain et patrimoine industriel, un pari réussi qui revient désormais dans un rythme bisannuel au patrimoine mondial Völklinger Hütte, à seulement quelques kilomètres de la frontière française.